Après avoir tenté une première fois de traverser le Drake (tentative avortée pour cause de météo), l'équipage reprend la mer direction l'Antarctique. Dans cet épisode 2/8, Dominique continue son récit de cette expédition décidément mal préparée.
Deux tentatives pour la traversée du Drake
La seconde tentative de traversée du Drake est la bonne : nous nous faisons violemment chahuter pendant 36 heures, avec un vent de travers établi à 35 nœuds, rafales à 40/45 et grains à plus de 50 noeuds (les fameux "chubascos" locaux). Une très grosse houle latérale fait rouler le bateau bord sur bord et déferle à intervalles réguliers en travers du pont, recouvrant totalement le bateau. Nous restons tous calés dans nos bannettes, sauf l'équipier de veille perché en haut de la descente, à l'abri de la capote en dur dont est équipée le voilier. Il fait très froid et très humide. Le pilote automatique puissant barre admirablement, soulignant à quel point le surdimensionnement de cet équipement pour ces parages est primordial.
Des batteries et un générateur défectueux
En revanche, le pilote est un très gros consommateur d'énergie et les batteries du bord sont chroniquement déchargées. En fait, il n'y a à bord aucun moyen de s'assurer de leur état de charge, en dehors d'un simple voltmètre. C'est ainsi que toutes les 2 ou 3 heures, le capitaine lance le générateur pour les recharger, se fiant à la tension superficielle indiquée par le voltmètre pour estimer leur recharge – ce qui bien entendu est complètement trompeur.
Pire encore : le générateur ne fonctionne qu'aussi longtemps qu'un équipier, précairement installé à califourchon sur ce dernier, opère la pompe de gavage manuelle, sinon il se désamorce ! Selon les informations glanées à bord, le problème était déjà là deux ans auparavant... Quant à l'alternateur attelé au moteur, il est doté d'un régulateur interne de type automobile, totalement inadapté aux besoins du bord. Il y a bien des panneaux solaires et une grosse éolienne sur le portique arrière, mais rien ne semble fonctionner.
Au bout de 36 h, le vent commence à baisser (20/25) et son orientation W/WNW nous donne des conditions de navigation idéales. Puis il disparaît totalement, la mer se calmant dans la foulée. La règle absolue dans le Drake est de profiter de la moindre accalmie pour avancer avant la prochaine dépression, nous mettons donc le moteur....qui cale soudainement.
Au milieu du Drake sans vent ni moteur…
Un tel événement n'est pas rare sur un bateau qui vient d'être violemment chahuté pendant plusieurs jours, car les mouvements violents mettent en suspension les dépôts accumulés au fond du réservoir de gasoil pendant quelques… décennies. Le remède est simple : changer les filtres (primaire et secondaire), purger le circuit de gasoil, puis redémarrer. J'offre donc mes services pour faire l'opération et demande au capitaine de me donner des filtres de rechange… sauf qu'il n'y en a pas à bord ! Interrogé sur la date du dernier changement des filtres, le capitaine répond : "je ne sais pas, mais ça fait un bon bout de temps !"
Comment redémarrer un gros diesel ?
Nous sommes donc à ce stade au milieu du Drake, sans vent et sans moteur... À toutes fins utiles, je purge le circuit carburant, mais notre batterie-moteur commence à donner des signes d'épuisement après nos multiples tentatives de redémarrage. L'incongruité du système électrique du bord (circuit moteur en 12V et batteries de service en 24V), nous empêche d'avoir recours au parc de batteries service, plus conséquent, pour tenter de redémarrer.
Ne reste plus qu'une seule option, une vraie idée lumineuse tirée du meilleur livre de mécanique et d'entretien d'un bateau que je connaisse (Nigel Calder) : démarrer le moteur avec du WD-40. L'idée est simple: on retire le filtre à air, et pendant qu'un équipier actionne le démarreur, l'autre injecte du WD-40 directement dans la prise d'air du moteur. Génial… ça démarre, le moteur aspire le gasoil… et il ne cale pas ! Les jauges de dépression sur les filtres RACOR indiquent que les filtres sont à la limite de la saturation, mais nous n'avons pas le choix, car nous n'en avons aucun rechange. Il faut croire en notre bonne étoile !
Inquiétude sur l'état général du voilier
Cet épisode commence à susciter une certaine inquiétude de ma part. Non seulement le bateau ne semble pas prêt pour cette expédition, mais pour avoir maintenant passé quelques heures dans le compartiment moteur, j'ai aussi très rapidement réalisé l'absence totale d'entretien du bateau. Le moteur est un bloc de rouille, la cale est pleine d'huile de transmission (cette dernière fuit de manière importante et il avait été évoqué de la faire réparer avant de partir), les drosses de barre sont vraisemblablement d'origine, le tube de jaumière fuit,... Le circuit de carburant est totalement déconcertant. Les alimentations respectives du générateur, du "day-tank", du chauffage et du moteur se font "en série", c'est-à-dire que si l'on opère une de ses alimentations "en amont", celles "en aval" ne fonctionnent plus !
Bref, tout cela n'est pas très encourageant, mais nous sommes à 120 milles du détroit de Boyd qui marque l'entrée sur l'archipel des Shetlands et pour l'instant, le moteur fonctionne. Il faudra gérer les problèmes à vue, quand ils se présenteront.
Nous arrivons au lever du jour dans le détroit de Boyd, accueillis par un embrasement du ciel et de la mer qui souligne les premiers tabulaires se profilant à quelques encablures. L'océan est un lac. Le premier contact avec l'antarctique est exceptionnel.
Nous allons mouiller à Hanna Point, dans l'île de Livingston. Après avoir salué notre première colonie de manchots, nous nous replions à bord pour un repas de gala, bientôt suivi d'un profond sommeil réparateur après les émotions de ces jours derniers.
L'archipel des Shetland n'est que l'antichambre du grand continent blanc. Ces îles volcaniques sont un désert escarpé de rocailles, sans trace aucune de végétation. Çà et là, quelques gros amas de neige et de glace pour nous rappeler que nous sommes déjà très au sud, mais les dominantes de couleur sont encore le brun de la rocaille et le bleu outremer de l'océan, parsemé de la blancheur des icebergs à la dérive. Le "grand blanc" de la péninsule est encore à venir.
À suivre…
OBJECTIF GRAND SUD