Traditionnellement, franchir le Cap-Horn signifie pour les marins, la fin de la navigation dans les 40e voire 50e. La fin des mer dures avec le passage répété des dépressions. En effet, quand on fait le tour du monde en accompagnant les vents, le Cap-Horn arrive après la traversée du Pacifique Sud. Les marins prennent alors le titre de "cap hornier". Mais peut-on en dire autant de ceux qui s'élancent depuis canaux de Patagonie pour faire le tour de l'île et revenir rapidement se protéger ensuite ? C'est justement cette expérience que je vous raconte aujourd'hui.
Cap-hornière de pacotille ?
Il est 6h du matin, le ciel est d'un bleu uniforme, sans nuages. Le soleil illumine Puerto Toro et sa poignée de cabanes, dernier village avant l'Antarctique. Je saute dans l'annexe et manque de me casser une jambe en glissant sur la fine couche de glace qui s'y est formée pendant la nuit.
Je ramène les bouts que nous avions portés à terre, et nous relevons l'annexe sur ses bossoirs. En route vers le Cap-Horn. Étienne, mon compagnon, a dû me raisonner, car je ne voulais pas y aller : je ne voulais pas devenir une cap-hornière de pacotille !
Approche par les canaux de Patagonie
Planqués dans les canaux de Patagonie que nous avons descendus sous gennaker depuis Valdivia, nous avons attendu notre heure. Loin de l'exploit des clippers et des navires marchands des siècles passés, qui le franchissaient par l'extérieur, nous filons tranquillement toutes voiles dehors vers l'île Horn, à bord de notre beau voilier de plaisance bardé de panneaux solaires et d'antennes GPS et de communication par satellite.
Une météo imprévisible
Au sud de l'île Lennox, nous retrouvons le Boulard, un voilier parti 24h avant nous tandis que Croix de Saint Paul apparaît quelques milles plus en avant. Tous deux sont des voiliers de charter qui naviguent entre Ushuaïa et l'Antarctique. À dix milles du Horn aucun des skippers ne peut dire avec certitude s'il sera possible d'en faire le tour aujourd'hui : en vingt minutes le temps peut complètement changer.
Un passage "à l'envers"
Alors que nous nous faufilons entre les îles Wollaston, le vent commence à fraîchir. Les conditions restent tout à fait maniables. Nous contournons l'île mythique à « l'envers ». C'est-à-dire que nous passons autour de l'Isla des Hornos d'est en ouest, alors que les vents dominants amènent généralement les voiliers à effectuer le parcours inverse. Étienne m'invite a appeler mon grand-père en Bretagne avec le téléphone Inmarsat : "Allo, Pépé, je t'appelle du Cap-Horn !". Mon grand-père est fils de pêcheur, de ces hommes qui cherchaient le thon jusque sur les côtes de Mauritanie à bord de lourds voiliers de charge en bois massif. La photo de cet arrière-grand-père en tenue de travail trône sur la cloison derrière la table à carte. Il trinque avec d'autres matelots en plein air, il ne sait pas qu'il vient lui aussi de passer le Horn.
Une photo et l'on repart
Champagne, photos, et nous nous dépêchons de nous abriter à Puerto Maxwell où l'équipage de Croix de saint Paul a déjà débarqué. Au lendemain alors que nous revenons vers Puerto Williams, le baromètre s'effondre. Le vent se lève à 50 nœuds, la visibilité est réduite à 200 mètres. Nous nous réfugions avec difficulté sous le vent d'une falaise où de nombreux bateaux de pêche sont déjà amarrés. Nous échangeons avec eux du vin contre une énorme araignée. Il n'était pas si facile d'arriver-là finalement. À chacun son Cap-Horn ?