Avec l'expérience de 30 ans de croisière autour du monde en famille, Carole et Dominique embarquent pour la première fois sur un voilier inconnu pour 2 mois de navigation difficile dans les eaux antarctiques. Très factuel, Dominique nous raconte le récit de ce voyage (en 8 épisodes) qui sera ponctué de nombreuses avaries, mais surtout de la mise en danger de l'équipage…
Il faut se rendre à l'évidence, notre bateau n'est pas adapté…
En résidence dans le canal Beagle depuis 2 ans à bord de notre bateau, nous étions aux premières loges pour voir partir la poignée de voiliers intrépides qui chaque année s'élance à travers le passage du Drake à destination de la péninsule antarctique. Un rapide examen de notre propre bateau nous avait amenés à conclure, sans l'ombre d'un doute, qu'il n'était pas fait pour ce genre d'aventure : une coque en fibre de verre, mal adaptée au contact rapproché avec la glace, un mouillage qu'il aurait fallu surdimensionner, ce qui aurait exigé, entre autres, le remplacement du guindeau, une simple capote en toile pour arrêter les grosses lames qui sévissent dans le Drake, une réserve de gasoil très insuffisante… Non, vraiment non, notre fidèle monture autour du monde depuis 30 ans n'était pas du tout adaptée aux conditions antarctiques.
Le passage de Drake, une zone maritime redoutable
Les canaux de Patagonie où nous évoluions depuis 3 ans étaient déjà une gageure pour un bateau originellement conçu pour des latitudes plus clémentes. L'Antarctique, et surtout le Drake, exigeaient un bateau réellement adapté aux conditions beaucoup plus difficiles. Un voyage en Antarctique n'est plus une simple aventure, mais une véritable expédition.
Les alternatives qui s'ouvraient à nous pour rallier l'Antarctique n'étaient pas nombreuses :
- Embarquer sur un bateau de croisière : les paquebots de croisière très nombreux qui assurent de rapides rotations (10 jours porte-à-porte) au départ d'Ushuaia, offrent (parfois) des passages de dernière minute à des tarifs préférentiels (qui restent cependant élevés).
- Embarquer comme équipiers (payants) sur l'un des quelques rares grands voiliers professionnels présents sur zone à la solide réputation (Vaihere, Podorange, Selma, Santa Maria Australis, Ocean Tramp, Kotik...). Leurs prix sont comparables à ceux des croisiéristes, mais pour des périples plus longs (3 semaines, sur lequel au moins 8 jours sont à consacrer à la traversée aller-retour du Drake)
- Trouver un embarquement sur un voilier privé. Chaque année, quelques voiliers privés, plus ou moins bien préparés, s'élancent aussi vers la péninsule antarctique, mais leurs équipages sont en général au complet.
Un embarquement sur une goélette de 15 m
Lorsque l'on nous a proposé d'embarquer comme équipiers (payants) sur une goélette en acier de 15 m, pour son deuxième voyage en Antarctique, nous avons sauté sur l'occasion. Certes, ce voyage nous serait facturé (80 €/jour et par personne), mais nous passerions 2 mois en Antarctique, en équipage réduit (6 personnes) et sur un bateau de taille comparable au nôtre.
Ce voilier est une vieille dame respectable des années 70 (un Trirème 50), gréée en goélette. Son confort est sommaire. 4 équipiers sont logés dans des bannettes superposées jouxtant le carré, le capitaine et son épouse dans la cabine arrière. L'intégralité de la cabine avant est consacrée au rangement de 2 mois de nourriture pour 6 personnes.
Le bateau est géré par une "association" que le capitaine a montée lorsqu'il a pris sa retraite d'une longue carrière dans le nautisme. Elle est destinée à permettre à ses membres de découvrir la navigation hauturière, et n'a pas de fins lucratives.
Nous sommes 6 à bord : le capitaine et son épouse qui rejoint le bord pour son deuxième voyage antarctique, s'ajoute un vieil ami du capitiane féru comme lui d'aventures "Trans-Quadra", Sara, une artiste joaillière dont c'est la toute première expérience hauturière, et enfin Carole et moi qui naviguons autour du monde sur notre bateau depuis 30 ans.
Premiers problèmes et retard au démarrage
Notre ralliement, originellement fixé au 4 janvier 2019, prend d'emblée du retard, car le bateau n'est pas prêt : le radar (essentiel dans ces eaux pour repérer les glaces dérivantes) ne fonctionne plus et s'avère rapidement irréparable, la pompe d'eaux grises est défectueuse, le sondeur-sonar n'est pas encore installé...
C'est la première fois que Carole et moi embarquons pour une grande – et délicate – traversée sur le bateau de quelqu'un d'autre, mais nous n'avons à ce stade aucune inquiétude particulière, estimant qu'un bateau et un capitaine qui sont arrivés jusque dans le Canal Beagle ne pouvaient qu'observer les mêmes exigences de préparation et de sécurité que les nôtres. Tout juste sommes-nous étonnés à ce stade de ces incidents techniques de dernière minute à la veille de traverser le Drake. C'est ainsi que nous quittons Puerto Williams pour aborder le Drake avec 10 jours de retard sur le planning originel.
Une traversée à haut risque
La traversée du Drake, soit environ 500 milles entre le Cap Horn et les premiers mouillages de l'archipel des Shetlands, exige une très bonne fenêtre météo. La confluence de deux océans et la violence des vents pouvant tourner de 180 degrés en quelques heures, conjuguées à la faible profondeur sur le plateau continental aux alentours du Horn peuvent y lever des mers brutales à même de sérieusement malmener les embarcations téméraires.
Une fenêtre se dessine cependant et nous pointons l'étrave sur le cap Horn, à travers la baie de Nassau. Les conditions étant exceptionnellement clémentes, nous décidons de poursuivre, malgré une météo qui annonce 25/30 nœuds du Sud dans 24h.
Une nuit au moteur nous permet de nous échapper des eaux plus particulièrement à risque du plateau continental. Mais, comme prévu par les fichiers Grib, 24h plus tard, le vent se lève brutalement du sud, avec une houle très courte qui empêche toute progression et rend la vie à bord très inconfortable. Nous mettons à la cape pour tenter de retrouver un semblant de fonctionnement à bord : repos et nourriture, à défaut de progresser vers le sud.
Malheureusement, nous constatons au bout de quelques heures que la cape nous fait dériver au rythme de 1,5 à 2 nœuds vers le Nord, ce qui nous ramènera dans 24h sur le plateau continental alors que les prévisions météo annoncent une augmentation du vent au-delà de 40 nœuds, ce qui rendrait la zone particulièrement dangereuse. Nous faisons donc demi-tour et regagnons – très vite et très inconfortablement – l'abri de l'île Lennox à environ 100 milles au Nord. Nous y étalons pendant 3 jours le fort coup de vent attendu.
A suivre...