19 jours, 18 heures, 14 minutes et 45 secondes auront suffi au skipper de l'Ultim Idec Sport pour rallier Port-Louis à l'île Maurice depuis Port-Louis dans le Morbihan. Francis Joyon améliore ainsi son propre record de 6 jours et 10 heures sur ces 11 000 milles sur le fond, avalés à 23,2 nœuds de moyenne.
"J'ai vécu ce record sous une double pression", raconte à chaud le vainqueur de la dernière Route du Rhum et détenteur du Trophée Jules Verne. "La pression du résultat, comme à l'accoutumée lorsque l'on se bat contre le chronomètre. Je n'avais pas la pression des adversaires comme sur la Route du Rhum, mais je me devais de rester dans le timing imparti par nos rendez-vous à venir de l'Asian Tour qui va nous conduire au Vietnam puis en Chine. Je ne voulais pas tout compromettre en arrivant ici avec du retard."
Et dès le départ, le 19 octobre dernier, c'était loin d'être gagné : "Notre fenêtre météo était loin d'être idéale" raconte-t-il, "mais comme on l'a vu par la suite, rien de bien intéressant ne se présentait à nous avant des jours, voire des semaines. Il nous fallait partir afin de demeurer en mesure de respecter notre programme asiatique."
© Fred Cusin / ALEA / IDEC SPORT
Francis Joyon atteignait l'Équateur en 7 jours, un temps moyen par rapport chronos établit ces dernières saisons tant en solitaire qu'en équipage. Malgré tout, il engrangeait déjà une journée d'avance sur son record.
La suite était le passage de l'anticyclone de Sainte-Hélène, sous les côtes Brésiliennes. Les alizés de Sud Est poussaient Idec Sport loin dans l'ouest pour contourner les zones sans vent au cœur de l'Atlantique Sud. Si bien que le skipper déplorait au 11e jour de course une poignée de milles (jusqu'à 27) de retard sur son record précédent.
Avec l'aide de son routeur Christian Dumard, Francis Joyon voyait le développement d'une belle dépression qui pourrait lui donner la possibilité de mettre les gaz. "Je suis parti sur l'avant de la dépression, qui évoluait très vite vers l'Est. Avec Christian, nous pensions qu'elle allait très vite nous laisser en chemin, et qu'il me faudrait patienter de longues heures avant l'arrivée d'un second système, très intéressant lui aussi."
© Jonathan Beukman / IDEC SPORT
Mais au fil des heures, bien calé sur la bordure Nord des flux puissants de Nord Ouest, Idec Sport alignait des journées à plus de 600 milles.
"Il y avait un gain de deux jours à Bonne Espérance à la clé !" explique Francis, "Alors je me suis accroché !"
"La dépression comme prévu lui est passée dessus" poursuit, admiratif, Christian Dumard. "Francis s'est retrouvé avec des vents forts, irréguliers, de plus de 30 nœuds et surtout une énorme mer levée par la dépression. Mais il s'est accroché, ajustant l'angle au vent du bateau, barrant beaucoup pour placer son trimaran géant sur la crête des énormes vagues du Grand Sud."
"C'est rare de pouvoir ainsi profiter aussi longtemps d'un système météo" s'extasie presque Francis."Nous l'avions fait avec l'équipage d'IDEC SPORT sur le Trophée Jules Verne."
Francis avoue avoir souffert de voir souffrir son bateau. "Il sautait de vague en vague, et faisait des bruits que je ne lui avais jamais entendu proférer ! La nuit juste avant bonne, Espérance a été la pire, avec des creux de 10 mètres. J'étais fatigué, mais il fallait prolonger l'effort. C'est là que c'est joué ce record…"
Pourtant, il ne s'est jamais mis dans le rouge comme il avait pu le faire sur la Route du Rhum 2018. "J'ai toujours ménagé une petite marge. Jamais je n'ai poussé mes réglages à fond. Il me fallait ménager le bateau pour la suite du programme. C'est chose faite. Je suis heureux de cette belle trajectoire et de ce bel enchainement des systèmes météo. La route fut longue, mais météorologiquement, c'était pas mal. Je suis arrivé ce matin et j'ai découvert avec le lever du jour mes premières terres depuis le départ. Une lumière incroyable, l'eau turquoise, les îles…"