Dans le précédent épisode de notre ArMen Race sur l'Ultim Actual Leader, nous sortions de la baie de Quiberon alors que Gitana et Sodebo s'échappaient. Nous sommes chasseurs et nous guettons l'opportunité pour refaire notre retard. Au cœur de l'Antyicyclone, la bande des 3 Ultims cherche le peu de vent subsistant.
Les bras des équipiers affairés au moulin à café chauffent autant qu'ils peuvent. Les voiles sont constamment ajustées au centimètre près. Ceux qui ne manœuvrent pas se postent à l'étrave pour tenter de diminuer la trainée.
Malheureusement, notre farouche volonté de revenir dans le match est contrariée par le vent qui nous abandonne, mais emmène nos 2 concurrents presque en route directe vers la chaussée de sein.
Une course très ouverte
Faute de vent, nous sommes plongés dans l'immobilisme et l'attente. Depuis le début de course, nous avons tout de même dépassé la plupart des voiliers engagés sur l'épreuve.Nous avons rattrapé les séries parties avant nous : Imoca, Class40, IRC, et Osiris.
C'est un joyeux mélange des genres. Un Tina, un Ultim et un First 31.7 partagent la même épreuve et c'est bien ça la magie de l'ArMen Race : mêler pour le temps d'une course, des amateurs et des pros du large.
Pas de panique et optimisme
Le vent nous a littéralement planté entre Groix et les Glénan et nous battons le record de lenteur de l'Ultim en accrochant 0,38 nds… Au lieu des 40 nœuds, hissé sur un flotteur comme dans mes rêves. Pendant ce temps, nos concurrents "s'envolent" à presque 5 nds.
L'équipage bosse sans relâche. Il faut avoir les nerfs solides pour supporter de naviguer à moins de 1 nœud quand on sait qu'Actual Leader peut dépasser les 35 nœuds. De mauvaises fortunes, faisons bon cœur, car l'arrivée n'est pas pour tout de suite.
Un diner en terrasse
Le soleil décline, Davy Beaudard officie à la cambuse et prépare le diner de l'équipage. Au menu, un sachet lyophilisé par personne. Sur fond de coucher de soleil, je me laisse tenter par le couscous. On s'installe en terrasse, juste à l'étrave pour déguster ce diner.
On discute, on échange, les équipiers les plus expérimentés racontent des histoires de course au large où de grands noms s'associent aux anecdotes parfois truculentes.
Le vent réapparait
Ce n'est que vers 2 heures du matin que le vent revient vitaliser nos voiles, mais il reste erratique et faible. Qu'importe ! Et au prix d'efforts physiques soutenus, l'équipage réveille le géant endormi.
Le vent tourne encore un peu et Yves Le Blevec donne la consigne de hisser le gennaker. La voile est monstrueuse à déplacer, les embouts de connexion sont démesurés, tout comme la somme d'efforts pour hisser, étarquer, dérouler et border la voile. Nous atteignons les 5 nds…
Si les conditions ne nous ont pas permis de titiller les hautes vitesses, elles m'ont néanmoins offert de découvrir la complexité d'un tel bateau ! N'étant pourtant pas novice dans le domaine des bateaux de course, ici, les manoeuvres sont toutes remises à plat.
La veille, la veille…
Durant la nuit, nous croisons beaucoup de bateaux de pêche en plus des bateaux de plaisance. La vigilance ne tolère aucune faille avec nos bateaux moyennement manœuvrants. Soudain, nous réalisons qu'un navire de pêche ne nous voit pas. Le chef de quart annonce une abattée de 90° pour éviter la collision. Heureusement, nous sommes nombreux à bord et les conditions sont très maniables. Le navire faisant route au moteur n'était pas en action de pêche, faisait-il vraiment une veille visuelle ?
Quand ça ne veut pas…
Malheureusement, pendant la nuit une branche dérivante s'accroche dans le foil du safran. En plus de nous ralentir, si nous ne faisons rien, elle risque d'endommager le profil. Les coques sont si hautes qu'il est difficile et dangereux de s'approcher des safrans. Nous sommes pourtant obligés de nous arrêter et de manœuvrer pour retirer cet hydrofrein et perdrons 20 minutes dans la bataille.
On n'y voit plus rien, mais ça repart
Nous naviguons à l'aveugle. Durant la nuit presque sans lune, la brume a recouvert le plan d'eau et l'ensemble des voiliers y séjournant. À l'aube, dans l'évanescence de la brume, nous virons au pied des roches de Penmarch. On se croirait en bordure du Royaume de Mordor.
Après quelques heures, le vent qui se renforce à 14 nds finit de dissiper la brume. Nous sommes désormais au portant à 135° du vent et nous naviguons à 15 nds. À bien y penser, je réalise que de toute cette course, je n'ai jamais vu Actual Leader naviguer en dessous de la vitesse du vent réel.
Une fois en haut de la montagne, on redescend
Vers 11 h du matin, c'est-à-dire après 20 heures de course nous touchons enfin nos 2 marques virtuelles à la chaussée de sein. Le passage d'une marque à l'autre nous fait lofer au reaching sous gennaker. C'est à ce moment précis que je comprends de quoi est capable un Ultim : avec seulement 13 nds de vent, il s'envole littéralement à 20nds. Les écoutes tendues crissent, les appendices sifflent et instinctivement je m'accroche à quelque chose de solide.
Nous contournons les marques et repartons au près vers la Trinité sur Mer. Nous avons rangé le gennaker sur le trampoline (4 personnes) et renvoyé le J2 (genois medium). Il y a 12 nds de vent réel et nous avançons à 12 nds au près à 49° du vent.
Vers 16 heures, le vent adonne. Maintenant, nous le recevons presque par le travers. Yves le skipper demande un changement de voile. Encore une fois, je réalise que ces bateaux sont incroyablement énergivores et qu'ils nécessitent une force physique impressionnante. J1 en place, nous naviguons à 13nds avec 10nds de vent.
Réussir à s'échapper
18 h, nous surveillons ce qui se passe à l'AIS et sur les cartes météo. Il semble que nous échappions de justesse à la "grosse molle" qui recouvre une fois encore la flotte de l'ArMen Race. Mais pour l'instant sur Actual Leader nous allons plus vite que les routages.
On s'échine sur les réglages et l'on prie pour ne pas arrêter notre bel oiseau qui semble créer son propre vent pour évoluer sur la surface miroitante de l'eau.
À l'aide des dernières risées du jour et de la nuit tombante, nous réussissons à nous exfiltrer juste à temps pour entrer en baie de Quiberon, où nous attend la ligne d'arrivée.
À 1 heure du matin, nous coupons la ligne d'arrivée de l'ArMen Race. Nos camardes de jeu l'ont déjà passé il y a quelques heures. C'est dommage qu'ils soient repartis sitôt coupée la ligne d'arrivée. Leur présence manquera au spectacle des autres concurrents, heureux de partager la même épreuve que les pros de la course au large.
À l'arrivée, les mots de notre skipper, Yves Le Blevec
"Ça s'est bien passé pour nous. On a vraiment beaucoup manœuvré, beaucoup bossés. On est troisième dans la catégorie, et on peut dire que c'est un podium (rire). Mais surtout en ce qui nous concerne on a bien travaillé, on a appris plein de choses sur le bateau et on a expérimenté de nombreuses combinaisons de voiles. On est content de notre navigation, bon équipage, bonne ambiance à bord, globalement que du positif."
Photos : Ronan Gladu