Dans le microcosme de la course au large, on entend parler des scows qui pulvérisent leurs adversaires à certaines allures. Ces voiliers si larges d'étrave détonnent et ne laissent pas indifférents allant même jusqu'à déchaîner des passions quant à l'esthétisme. Nous allons mettre cet aspect de côté et nous concentrer sur la technique, car n'en déplaise aux sceptiques on sait que ce qui performe finit toujours par être beau.
Avoir raison avant les autres
David Raison est un audacieux. Il y a presque 10 ans, bravant le scepticisme, il a ouvert une brèche en dessinant une carène de course atypique, le scow. Pour ceux qui n'en ont jamais vu le scow ressemble un peu à une biscotte à voile. Ces carènes étaient très populaires au début du XXe siècle sur les Grands Lacs américains. Ces luges surtoilées tutoyaient déjà les 20nds au planning. Je vous propose de vous rendre en bas de l'article pour voir une vidéo datant de 1939 et mettant en scène ces voiliers spectaculaires.
David Raison avait l'intuition géniale que ces carènes pouvaient être adaptées à la course au large. En architecte visionnaire et téméraire, il a expérimenté et validé cette carène en classe Mini. Il a dessiné, construit et lui-même gagné la mythique transat à bord du premier scow de course au large.
Durant une décennie, ses protos mini 6.50, le Magnum et ensuite le Maximum -son évolution - ont remporté toutes les courses de la classe Mini aux mains de différents skippers, dont Ian Lipinsky, confirmant le net avantage architectural.
Certaines jauges limitent les innovations
Face à ce tour de force et au gain en puissance, certaines classes comme les Imoca et class40 ont rapidement mis en places des règles de jauge limitant la possibilité de dessiner un pur scow. Les instances argumentent en disant que c'est pour éviter de rendre une grande partie de la flotte existante obsolète face à une nouvelle génération. C'est un objectif louable.
Mais alors, pourquoi autoriser les foils sur les Imoca ? Certains pensent que l'avantage technique serait moindre qu'avec les formes de scows. Ce qui est certain, c'est qu'il est plus facile d'implanter des foils sur un bateau existant que de transformer la forme d'une carène.
En tout cas, David Raison ne se pose pas la question de la pertinence des freins mis en place par les classes, il se demande comment adapter ses carènes aux contraintes de jauge. En effet selon lui les règles limitent la liberté de dessin, mais n'interdisent pas de se rapprocher de l'effet scow. D'ailleurs, il a dessiné pour Ian Lipinsky un Class40 qui malgré les restrictions de jauge est quasiment un scow.
Le scow serait-il le meilleur bateau ?
David Raison nous explique quelques-uns des intérêts d'un scow. "En course au large, on cherche à augmenter la puissance de nos bateaux pour aller plus vite à toutes les allures. Ça veut dire être capable de porter plus de toile, sans avoir plus de gite. En d'autres termes, on cherche à faire passer plus de puissance dans la carène. Avec le scow on est partout à la largeur maximum, alors on a une puissance supérieure, qui surpasse la plus grande trainée. Dans la majorité des cas, ce sont des bateaux plus rapides."
Une évolution inéluctable vers les scows ?
Durant les deux dernières décennies, les architectes n'ont cessé d'évaser les carènes pour gagner en puissance. Ils ont tout d'abord élargi les ponts en prolongeant le maître-bau jusqu'au tableau arrière.
Puis face à des limites de jauge sur les largeurs de pont, les architectes ont trouvé la parade pour élargir la flottaison sans élargir le pont : dessiner des carènes bien plus larges et "couper au plus court" toutes les œuvres mortes superflues.
Ce fut la réapparition et la généralisation des bouchains. Et après avoir fait leurs preuves sur tous les bateaux de courses, ces évolutions ont aussi conquis les bateaux de croisière.
Aujourd'hui, une nouvelle génération de bateaux de course au large pointe le bout de son nez et ce nez est particulièrement remarquable, ce sont les scows.
Des avantages indéniables
En effet, il semble que nous soyons au bout du concept de gain de puissance par les formes arrières et David Raison nous expose les limites de cette tendance :" Le problème est qu'en augmentant la largeur à l'arrière des bateaux ils deviennent de véritables triangles dont la pointe, l'étrave, a tendance à s'enfoncer dans l'eau à la gite. De plus, toujours à la gite, l'axe de la quille n'est plus vraiment dans l'axe de la carène immergée. Ce n'est pas idéal en termes de trainée."
Mais on ne peut s'empêcher de penser au passage en mer d'une étrave aussi volumineuse. Qu'en pense David Raison ? "En fait, ça ne sert pas à grand-chose d'avoir l'étrave dans l'eau, je préfère qu'elle soit au-dessus. L'eau déplacée doit bien aller quelque part et plutôt que de l'envoyer sur les côtés, elle passe en dessous. Avec le scow, on peut renvoyer cette puissance sous la carène et ne plus avoir l'étrave qui s'enfonce dans l'eau."
Sur des bateaux qui planent souvent, il faut changer de paradigme et réfléchir en termes de trainée. Quels sont les autres avantages de ces carènes de scow ? "À haute vitesse au portant, on veut cabrer les bateaux pour limiter les freins. Sur les scows, même à haute vitesse les ponts restent secs contrairement aux bateaux actuels. En plus de l'inconfort des paquets de mer qui peuvent nuire aux performances, quand on prend 500 kg d'eau de mer sur le pont en bas de la vague, c'est une décélération garantie."
Les images d'Imoca littéralement sous l'eau parlent d'elles-mêmes. Donc cette forme de carène doit permettre une vitesse moyenne plus élevée au portant.
Et qu'en est-il de la puissance de carène ? "Avec la forme de scow on est plus large donc plus puissant, même s'il y a peu plus de freins le gain de puissance l'emporte. On gagne 10 à 15 % de couple de redressement supplémentaire, et c'est considérable."
Alors quand verrons-nous s'ouvrir les règles de jauge chez les Imoca, et quand verra-t-on des cabines avant aussi larges que les carrés de nos voiliers de croisière ?
Video de scow sur les Grands Lacs Americains en 1939 :