"Le Cigare Rouge" Formatives Network de Jean-Marie Patier, qui court dans la catégorie Rhum Mono est un bateau emblématique. Construit pour Jean-Luc Van den Heede pour le Vendée Globe 92/93, il a ensuite couru 4 autres Vendée Globe dont un aux mains de Catherine Chabaud (96/97) qui sera la première femme à boucler cette course mythique.
Laissé à l'abandon à La Rochelle, il fut sauvé par Jean-Marie Patier qui le restaura avec passion et amour. Il est fier de pouvoir nous conter l'histoire du bateau ponctué d'anecdotes inédites. À l'écouter, nous étions comme des enfants à qui on raconte une belle histoire.
Peux-tu nous raconter l'histoire personnelle que tu as avec ce bateau ? Et pourquoi avoir choisi de le restaurer ?
Il y a plusieurs raisons. D'abord c'est un bateau historique. Ensuite, c'est un bateau qui a été construit par Jean-Luc Van Den Heede. J'ai une amitié qui est forte avec Jean-Luc. La troisième : c'est un joli bateau, élégant. Je n'avais pas envie de le voir mourir. Il y a des bateaux comme ça qui ne meurent pas. Et puis enfin - c'est plus personnel - c'est le bateau avec lequel Catherine Chabaud - avec qui je partage ma vie – a couru son premier tour du monde, le Vendée Globe 1996/1997. C'est aussi celui par lequel on s'est rencontré. Mais ça c'est une histoire très personnelle.
J'avais très envie de faire cette Route du Rhum. Déjà il y a 4 ans j'avais voulu acheter Adrien [NDLR un autre ancien bateau de Jean-Luc VDH que Jean-Marie Patier a convoyé], mais je n'avais pas réussi à en faire l'acquisition. Comme je suis plutôt persévérant, je me suis penché sur le Cigare Rouge. On m'avait dit que de toute façon il était perdu. Les causes perdues c'est rigolo ! J'ai donc contacté le port de La Rochelle. Effectivement le propriétaire avait une créance de 150 00€ environ, des montants exorbitants. L'achat se présentait mal ! Finalement je l'ai acheté aux enchères pour une bouchée de pain. Pas cher, mais il faut réaliser que j'ai acheté une épave. Il n'y avait plus d'accastillage, il n'y avait plus grand-chose à bord et ce qui restait était très abimé parce que le bateau est resté inerte pendant plus de dix ans.
Peux-tu nous présenter ce qui a été refait ?
Je vais plutôt te dire ce qui n'a pas été refait… D'origine, il ne reste que la coque et les mâts ! Plus quelques petites pièces ici et là ...
Tout l'accastillage, l'électronique, la quille, le safran, la dérive, la sécurité, une partie de la structure a été changée. Le bateau avait une particularité sur un plan architecturale c'est que la quille était traversante : elle montait jusqu'au pont. Ça a le mérite d'être très solide, mais ça a des inconvénients notamment en termes de centre de gravité. Après l'achat, on a essayé de désolidariser la quille du bateau, mais ça n'était pas possible. Il y avait beaucoup de corrosions et les anciens propriétaires avaient inséré de la colle ou de la résine… C'était inextricable. Il a fallu couper la quille. Nous avons bien fait parce qu'il y a 200 à 300 litres d'eau qui se sont échappés de la quille. Avec le cabinet Lombard on s'est dit qu'il était préférable de changer la quille. J'ai retrouvé une quille d'occasion - sinon les budgets sont bien trop élevés - chez Michel Desjoyeaux. C'est l'ex quille de Foncia, une quille en acier plein avec un meilleur profile et plus solide.
Tu as dû réaménager l'intérieure, en as-tu profité pour moderniser, ou as-tu restauré à l'identique ?
J'ai essayé de conserver l'idée, le concept du bateau. Il y a une certaine pureté dans ce dessin, je n'ai pas voulu le transformer, j'ai voulu le laisser tel qu'il était. Néanmoins du moment où on a retiré cette quille, on a pu ouvrir le bateau de l'intérieur. On a retiré une cloison et de ce fait l'accès à l'avant se fait plus facilement. Ça présente aussi un intérêt en termes de sécurité : pour aller préparer les voiles, on évite de passer par l'extérieur. En faisant sauter cette cloison, on a dû réaménager la table à carte et la cuisine. Cela dit la table à carte est un peu différente de ce qu'on faisait il y a 30 ans. J'ai des photos du bateau et de la table à carte : c'était extraordinaire, c'était une bibliothèque, une armoire anglaise ! On a fait plus light, de même pour la cuisine qu'on a un peu réaménagée. Extérieurement en revanche, c'est très proche de ce qu'il était à l'origine.
Quel va être l'objectif sur cette Route du Rhum ?
Mon objectif est d'arriver de l'autre côté et en forme. Sans trop abimer le bateau et sans trop m'abimer non plus. Je ne m'interdis pas de batailler avec mes petits camarades. Ça serait pas mal d'arriver dans la première moitié. Ça serait une satisfaction, mais je ne serai pas frustré d'arriver dans les 17. Le plus important est de faire une belle course et de me faire plaisir. C'est d'ailleurs ce que m'a dit Jean-Luc "Fais-toi plaisir !" donc je vais me faire plaisir. Je ne suis pas un professionnel, je vais le faire à mon niveau.
Sur le parcours, quelles vont être les difficultés ?
La difficulté pour moi c'est d'être en solitaire. Je n'ai jamais participé à une course en solitaire. J'ai fait du double, mais le solitaire est une nouvelle expérience pour moi. Je ne sais pas si ça sera une difficulté, en tout cas ça sera une découverte. Après il faut bien gérer son sommeil, sa fatigue, sa nourriture, et ne pas me retrouver dans une situation où je me sentirai dépassé par les évènements : bien anticiper et être prudent.
Sur un bateau comme ça, tu penses avoir une route différente ?
Je ne sais pas, d'abord il faudrait avoir des fichiers météo pour le moment c'est trop loin.
À quelle allure le bateau sera le plus à l'aise ?
C'est un bateau qui est à l'aise au prés comme il l'a prouvé en 1998 à l'occasion de la Route du Rhum. Il y a eu 3 ou 4 dépressions successives qui se sont abattues sur les bateaux et le Cigare Rouge fait second avec un temps de 18 jours - avec VDH à la barre certes. Le bateau est à l'aise au prés et il descend bien. Mais moins à l'aise que des bateaux plus larges pour le reaching ou ce type d'allure.
Comment tu décrirais la Route de Rhum en deux mots ?
C'est une course "populaire" et ça la rend "attachante". Elle est populaire parce qu'elle est ancienne et parce qu'il y a eu des histoires très marquantes et fortes depuis la première édition. Elle mêle des professionnels et des amateurs ce qui est rare. Souvent il y a des courses d'amateurs où quelques professionnels viennent, là c'est une course de professionnels où les amateurs sont conviés. C'est sans doute grâce à ça qu'elle est populaire. Je trouve que c'est très beau de conserver ce lien. Dans tous les sports, les professionnels sont à des années-lumière des amateurs – ce qui est vrai aussi dans la voile ! En termes de budget, de niveau, d'expertise – mais sur l'eau ça se lie très bien. Quand on voit Peyron en classe Rhum, je trouve ça attachant et beau. Et puis il y a Saint Malo, qui est une belle ville emblématique.
Après la course, quel sera le programme du bateau ?
C'est un bateau pour faire du offshore, donc je peux participer à des courses types Fastnet ou sur le circuit en méditerranée. Dans la limite de ce que je peux faire en termes de temps et de moyens
Comment le public accueille le Cigare Rouge ?
Je ne l'imaginais pas comme ça, mais je le vois bien, les gens passent, posent des questions et j'ai des témoignages des personnes qui sont heureuses de revoir ce bateau. Par son histoire - il a 5 tours du monde - ça parle, comme à moi ça m'a parlé. Je suis attaché aux bateaux historiques. Quand je regarde Pen Duick je suis content, quand je regarde Kriter je suis content. De voir ces bateaux, non seulement vivre, mais courir. Je suis heureux de partager ça aussi.
Peux-tu nous présenter le bateau ?
À l'intérieur, au pied de la descente on retrouve la table à carte et la cuisine avec le petit réchaud. Je vais beaucoup rester par ici, assis sur les marches. La bulle au-dessus de moi me protège et offre beaucoup de visibilité. En avant il y a deux bannettes avec des toiles antiroulis et encore plus en avant la partie technique.
Sur le pont pas grand-chose a changé. Le bateau a gardé son numéro d'origine ! On a mis des stocker de voile d'avant pour réduire un peu les poids dans les hauts.
Les tangons sont d'origine ! À l'occasion du départ de la Mini Transat 2017, j'allais me coucher et je reçois un coup de fil de VDH qui me dit : "Jean-Marie, j'ai retrouvé tes tangons !" Il m'envoie une photo et effectivement : il y avait une fête dans une salle et au plafond de cette salle il y avait mes tangons pour décorer la salle. [NDLR À l'occasion des 40 ans de la Mini-Transat, les participants de la première édition –dont VDH faisait partie - étaient conviés à rencontrer les coureurs sur le départ.] J'y suis allé. On m'a raconté une scabreuse histoire comme quoi ils avaient atterri là pour "rendre service". Bref j'ai récupéré les tangons, désormais ils sont à leur place. Bon maintenant, il faut les manier parce que ce sont quand même de sacrés engins très lourds !
Ce qui a changé sur le bateau c'est que j'ai rajouté une dérive pour compenser la quille qui est beaucoup plus étroite.
La soute à voile accessible par un capot sur le pont est localisée entre deux cloisons étanches. En avant de la soute, un volume étanche où il n'y a pas d'eau ! Historiquement il n'y a jamais eu de matériel en revanche il y a eu beaucoup d'eau. Lorsque VDH a vu sa coque délaminée, il y avait 300 litres d'eau dans ce compartiment.
Parce que j'ai 52 balais, je me suis rajouté un balcon au pied de mat. On se moque de moi avec mon balcon … Jean-Luc me dit que ça ne sert à rien. Ça ne sert à rien, mais sous le vent je suis content de l'avoir. La sécurité, ça n'a pas de prix et dans la circulation je trouve ça pratique.
Enfin j'ai remis le bout-dehors. À l'origine le bateau possédait un bout de dehors, mais la jauge IMOCA avait demandé à le retirer pour des questions de longueur hors-tout. Le bateau a fait toute sa carrière sans, mais comme aujourd'hui je suis hors jauge je l'ai remis. Ça reste un petit bout dehors, c'est quand mieux que rien pour les voiles d'avant.
Côté gréement, on a un mat avec des barres de flèches dans l'axe, double bastaques et double basses bastaques. Le mat tombe si on oublie de les mettre. C'est difficile pour moi qui n'ai pas l'habitude.
Dans le cockpit, j'ai gardé la barre d'origine, en bois, télescopique. Mais dans la réalité je ne vais pas barrer beaucoup. C'est un bateau qui est très agréable à barrer. J'ai justement retrouvé des échanges entre VDH et l'architecte du bateau. Jean-Luc désirait un bateau simple, peu toilé, peu exigent et peu consommateur pour les pilotes. Tout l'inverse de ce qu'on fait aujourd'hui. Le safran est assez court, le bateau très neutre donc les pilotes travaillent très peu. Peu de surface mouillée comme l'étaient les bateaux d'une architecture un peu plus ancienne. Catherine a fait la moitié de son tour du monde sans énergie, barre amarrée. Je pense qu'aujourd'hui sur un IMOCA ça serait plus difficile d'avoir la barre amarrée.
Pour l'énergie justement, on a rajouté un panneau solaire fixe et on a rajouté un hydrogénérateur qui produit bien.
Il a également conservé sa couleur d'origine et je pense que ça a contribué à maintenir le lien entre les amoureux de ce bateau et ceux qui ont couru dessus. Parce que dans les IMOCA je suis totalement perdu… "C'était lequel, ancien ceci, ancien cela…". Le Cigare Rouge a une identité visuelle liée à son architecture, mais sa couleur est toujours restée rouge. J'espère que l'histoire du Cigare Rouge va continuer, qu'il y aura quelqu'un d'autre après moi pour reprendre sa barre.