Quand il imagine son prochain bateau après sa victoire de la Transat anglaise en 1972 sur son trimaran Manureva, Alain Colas sait exactement quelle machine de course il souhaite. Pour lui, plus un bateau est long, plus il va vite. Il veut donc le plus long voilier qu'il puisse manœuvrer.
Il va rencontrer l'architecte naval Michel Bigouin (qui a déjà signé l'ULDB Pen Duick V) pour lui exposer son projet. Il veut un bateau de plus de 60 mètres, mais avec des mâts de moins de 30 m. Chaque mât doit supporter au plus 120 m2 de voilure. Une surface qu'Alain Colas sait qu'il peut encore maîtriser.
Le bateau est alors dessiné. Il fera 72 m et portera 4 mâts et plus de 1000 m2 de voilure au total.
Il faut alors trouver un chantier. À cette époque, seul l'arsenal de Toulon peut produire une coque en acier de 240 tonnes dans les délais impartis. Colas arrive à se faire ouvrir les portes de ce domaine militaire.
Pour financer son bateau, Alain Colas s'appuie sur Gaston Defferre et de ses contacts. Très beau parleur, il parvient à faire rêver les dirigeants des grandes entreprises. À commencer par Gilbert Trigano, patron du Club Méditerranée qui accepte de financer les 2/3 du bateau. En faisant un tel montage financier, Alain Colas introduit pour la première fois le sponsoring dans la course au large.
L'histoire semble belle. En 1975, le rêve prend forme. Tout va bien jusqu'au dimanche de Pentecôte. Dans une manœuvre de mouillage hasardeuse sur Manureva, Alain Colas se fait arracher le pied gauche par sa chaine de mouillage à La Trinité-sur-Mer.
22 opérations et 5 mois plus tard, il visite le chantier à Toulon en s'appuyant sur des béquilles. Les différents intervenants doutent de ses capacités à naviguer avec ce bateau énorme. Pourtant Alain Colas ne renonce pas et continue d'y croire.
Le 15 février 1976, c'est le lancement de Club Méditerranée et son retournement. C'est la fête ! Pour des raisons de tirant d'eau trop important, la coque est construite et mise à l'eau à l'envers. Quille vers le ciel ! Le retournement s'effectue une fois le bateau dans l'eau à la cale du Mourillon.
Ce bateau est incroyable. La presse en parle : tellement démeusuré et manœuvré par un seul homme. Des caméras surveillent chacun des mâts. Une centrale hydraulique gère les winches. À la table à cartes, un ordinateur avec son écran et son imprimante sont même en place. Tous les réglages peuvent s'effectuer sans quitter la barre. Sur la plage arrière, une éolienne est installée. Beaucoup de matériel développé pour ce voilier se retrouvera à bord de nos bateaux de plaisance actuels.
Les détracteurs sont nombreux pour qualifier ce bateau de "presse-bouton". Les Anglais assez peu fairplay tentent de lui interdire de prendre le départ de la Transat et lui demandent d'effectuer un parcours de qualification supplémentaire de 1500 milles dans l'Atlantique. Alain Colas revient en se pavanant, annonçant n'avoir rencontré aucun problème…
Une course dévastatrice
Le 5 juin 1976, c'est départ de la Transat. La course que veut gagner Alain Colas et pour laquelle il a fait construire cette machine énorme. Si le départ se fait par petit temps, rapidement le ton change et la course traverse 3 tempêtes qui vont entrainer l'abandon d'un tiers des concurrents.
Sur Club Méditerranée, les drisses cassent une par une. Alain Colas ne peut pas les repasser seul dans le mât. Il décide de s'arrêter à Terre-Neuve pour réparer. Un arrêt qui durera 36 heures. À ce stade, il est encore en tête de la course, vu que l'on est sans nouvelle des autres concurrents. Pourtant alors que Colas est attendu dans l'après-midi, Eric Tabarly sur Pen Duick VI sort de la brume au petit matin pour prendre la première place. 7 heures avant Alain Colas ! Celui-ci a du mal à digérer sa défaite. D'autant qu'il sera ensuite déclassé par le comité de course pour s'être fait aider au moment de son nouveau départ de Terre-Neuve.
Une vie de charter pour Club Méditerranée
Après cette course, le Club Méditerranée est aménagé pour être exploité en charter. Des cabines sont réalisés rapidement et avec peu de moyen. A cette époque, le sponsorts ont quitté le navire. Hélas, un incendie se déclenche alors que le bateau est amarré dans le port de Marseille, détruisant tout ce travail. Le bateau est alors rapatrié à Tahiti pour continuer sa mission de charter. Mais Alain Colas n'est pas satisfait de cette vie. Il s'inscrit avecson ancien trimaran Manureva à la première Route du Rhum en 1978. Il disparaitra dans cette course.
Faute de moyen pour l'exploiter, le Club Méditerranée reste à l'abandon pendant quatre ans au fond du port de Papeete à Tahiti.
L'aventure Tapie
Sur les conseils de Michel Bigouin, c'est Bernard Tapie qui le rachète à la veuve d'Alain Colas. Le voilier est alors rebaptisé La vie Claire et va effectuer une tentative du record de la traversée de l'Atlantique au départ de New York. Des calmes à l'arrivée feront échouer la tentative, mais le record de distance sur 24 heures est battu : 457 milles.
Le bateau revient à Marseille pour une transformation. Bernard Tapie veut garder l'esprit du bateau rapide en lui offrant plus de confort et de luxe. Ainsi les aménagements resteront légers même si un rouf plus long est alors installé.
En 1986, après 3 ans et 60 millions de travaux, l'ex Club Méditerranée renommé Phocéa est remis à l'eau. Il sert principalement aux loisirs de son propriétaire et à sa famille.
En 1988, Tapies s'attaque à nouveau au record de la traversée de l'Atlantique à la voile en monocoque. Il bat le record de Charlie Barr de 4 jours avec une traversée de 8 j 3h et 29 mm.
Suite à des déconvenues judiciaires avec le fisc, Bernard Tapie perd le Phocéa qui est saisi en avril 1996.
La transformation de Mouna Ayoub
Mis en vente 71 millions de francs, c'est finalement Mouna Ayoub qui l'achète au prix de 37 millions de francs. Devenue célèbre après son divorce de Naceur Al Rachid, cette femme d'affaires lance la transformation totale du bateau en effectuant un refit très luxueux. Fini la recherche de la performance, le bateau est entièrement refait avec des matériaux nobles (et lourds !). Un second étage et même ajouté. Les mâts sont même réduits pour que le bateau gîte moins !
Plus lourd, moins toilé, le Phocea a perdu toute son identité (sauf son nom…). Il est proposé au charter pour couvrir les frais de fonctionnement.
Ill est ensuite revendu aux patrons de Pixmania. Le bateau arrive enfin en Malaisie, visiblement abandonné sans que l'on comprenne les volontés de ses propriétaires. L'incroyable histoire qui colle à la peau de la "coque à Colas" semble se poursuivre, puisque le bateau coule finalement suite à un incendie le 17 février 2021.