Lorsqu'il s'agit de choisir un voilier pour un long voyage, les critères sont multiples : solidité, performances, budget et capacité à s'adapter aux besoins d'un équipage qui peut évoluer. Simon et Caroline ont jeté leur dévolu sur Galapagos 43, E Pur Si Muove, un ketch en acier de 1977, pour entreprendre leur tour du monde à la voile : un choix pragmatique dicté autant par l'expérience nautique que par les contraintes budgétaires. Entre rénovations et refontes majeures, leur Galapagos 43 est devenu au fil du temps un bateau taillé pour l'aventure.

Pourquoi avez-vous choisi le Galapagos 43, un modèle de 1977, pour votre aventure à la voile ? Quelles étaient les qualités que vous recherchiez dans un voilier pour entreprendre un long voyage comme celui-ci ? Connaissiez-vous déjà bien la voile ou était-ce un grand saut dans l'inconnu ?
Simon : Pour le choix du voilier, je cherchais d'abord un bateau avec un gréement divisé, ketch ou goélette, afin de bénéficier d'une grande variété de réglages et d'équilibres possibles. Le choix d'une coque en acier était avant tout dicté par notre budget à l'époque de l'achat (nous avions 21 ans). Le Galapagos s'est présenté comme un bon compromis : un ketch, certes lourd, mais avec des entrées d'eau relativement fines et une surface mouillée plus limitée que d'autres plans de sa catégorie. Cela en faisait donc logiquement un bateau capable de tenir des moyennes journalières respectables, même par vent léger.
Je navigue depuis mon plus jeune âge sur le bateau familial (mon père a d'ailleurs construit son propre bateau), aussi bien en croisière qu'en régate, notamment avec mon lycée et mes études supérieures. Je me destinais à une carrière maritime en tant qu'officier pont-machine dans la marine marchande. Autant dire que ma vie tourne autour de la mer.

Caroline : Je n'ai pas eu trop mon mot à dire lors de l'acquisition du bateau, car notre relation commençait tout juste. De plus, je ne connaissais rien à la voile ni à la mer, ce qui a bien changé depuis.

Avez-vous effectué des modifications particulières sur le voilier avant le départ ?
Simon et Caroline : Il y en a eu beaucoup ! Nous avons changé le moteur, refait toute l'électricité qui n'était vraiment pas aux normes, traité l'acier en profondeur avant notre premier départ en 2018, puis de nouveau lors de notre escale prolongée à La Réunion. Nous avons remplacé nos voiles en Afrique du Sud et entièrement refait le système de carburant (y compris les réservoirs, pour revenir à un système professionnel). Nous avons également fabriqué des bômes en composite (les stocks de pièces Francespar et Marco Polo des années 80 ayant pour la plupart disparu), refondu les circuits d'eau et amélioré notre autonomie électrique.
D'autres travaux majeurs ont suivi : destruction et reconstruction des roofs en strip planking, entretien courant de l'acier, transformation partielle de la cuisine et de la cabine arrière tribord pour accueillir notre nouveau matelot, Lucien.

Nous avons aussi refait diverses boiseries, changé l'électronique, remis à nu la carène et mis à jour tout le système de peinture. Les Plexiglas des 33 hublots ont été remplacés, et nous avons cousu divers tauds et autres équipements. Enfin, nous avons changé complètement les haubans, entre autres améliorations.
Avec le budget et l'expérience gagnés au fil du temps, cela s'est transformé en une refonte complète du voilier. Si c'était à refaire, nous aurions préféré une mise à nu totale dès le départ, afin d'éviter de vivre dans les travaux en permanence et repartir sur des bases entièrement saines.


Vous êtes d'abord parti du Havre pour naviguer jusqu'à La Réunion, en passant par le Cap de Bonne-Espérance. Comment avez-vous géré cette traversée longue et exigeante, et pourquoi avoir choisi de faire le tour du monde "à l'envers", à contre-courant des routes maritimes classiques et des vents portants ?
Simon : Nous sommes partis de France métropolitaine en novembre 2018 et avons retrouvé mon père aux Canaries, où il descendait lui aussi vers le Cap-Vert avec son bateau. Nous avons navigué ensemble jusqu'en janvier 2019, moment où lui "tournait à droite" tandis que nous prenions la direction opposée. Lorsque nous avons vu les centaines de bateaux dans la marina de Mindelo (Cap-Vert) qui allaient littéralement débouler aux Antilles, notre choix de piquer sur l'île d'Ascension, bien que suscitant du scepticisme et de l'incompréhension sur les pontons, nous est apparu comme naturel, en accord avec notre tempérament.

À partir du Cap-Vert, nous avons mis le cap sur le Brésil, traversé le Pot-au-Noir, puis navigué au près, un régime qui ne nous a pratiquement jamais quittés jusqu'à La Réunion – et même largement après, soit dit en passant. Nous ne considérons pas ce sens comme "à l'envers" mais plutôt comme un itinéraire alternatif, plus dur physiquement pour l'équipage et le navire, et surtout nettement plus long.
L'Atlantique Sud est relativement maniable et stable, ce qui nous a permis d'évoluer sous régulateur d'allure, en adaptant nos bords en fonction des adonnantes, des refusantes et du courant subéquatorial. Je ne cache pas non plus que l'aspect original de cette route qui me plaisait : elle nous a permis d'avoir plus d'interactions avec d'autres navigateurs, même si celles-ci étaient parfois éphémères.
Par exemple, à Sainte-Hélène, la plupart des voiliers rencontrés n'avaient pas prévu de s'arrêter à l'île d'Ascension, pensant à tort que les formalités y étaient complexes, voire impossibles. Comme nous en revenions, nous avons pu leur fournir des informations à jour et leur éviter de passer à côté de cette île magnifique. Nous avons également recueilli, en échange, de précieuses informations pour nos futures escales.
Caroline : Quand Simon m'a parlé d'un "voyage à l'envers", je pense que je n'en avais pas mesuré toutes les implications et que je l'ai naïvement suivi. Aujourd'hui, je ne regrette rien et suis très fière du chemin parcouru, mais cela a été parfois long et éprouvant. Ce n'est clairement pas la route la plus facile... Maintenant que j'ai pris goût au portant, une chose est sûre : je ne referais pas ce trajet une deuxième fois.

Parmi les équipements de votre bateau, y en a-t-il que vous considérez comme indispensables, ceux qui ont fait la différence tout au long de votre voyage ?
Simon : Un moteur fiable et un circuit de gasoil propre et bien conçu sont évidemment indispensables. Nous avions commencé notre voyage avec une ancre CQR de 26 lbs, qui ne m'a jamais vraiment convaincu en termes de tenue et d'enfoncement. Lors de notre escale à La Réunion, j'ai fabriqué une ancre Spade S160 en acier grade marine, en me basant sur les plans exacts d'un modèle existant. J'ai même légèrement plombé la pointe pour l'amener à 35 kg. Compte tenu de nos mouillages – qu'il s'agisse des vents subis, de la proximité des côtes ou de la diversité des fonds – elle ne nous a jamais fait défaut.
Pour preuve, à Sorong, en Papouasie occidentale, une goélette touristique de 35 mètres, soit une centaine de tonnes, a chassé dans 25 nœuds de vent. Son ancre est venue crocher notre chaîne et, après avoir charrié une courte distance, notre Spade a tenu les deux bateaux ! Il a ensuite fallu un véritable effort pour la dégager de la souille de vase qu'elle avait créée. Cette ancre est tout simplement incroyable !
Le régulateur d'allure a, quant à lui, été notre meilleur équipier. C'est un Windpilot Pacific, qui renvoie via des drosses sur la barre franche. Il a parcouru une bonne quantité de milles et son entretien est d'une simplicité remarquable. À vue de nez, il a dû faire 90 % des 35 000 milles parcourus !

Caroline : Avec Simon, nous n'avons pas forcément les mêmes critères en matière d'équipements. Pour moi, ceux qui font la différence en termes de confort sont :
- Un réfrigérateur : pour les longues traversées, nous avons toujours été ravis de pouvoir conserver le poisson pêché et d'avoir un peu de beurre chaque matin.
- Un système de douche solaire : très appréciable après une journée en mer.
- Des toilettes : quand on vit sur un bateau au long cours, c'est une nécessité à mes yeux !


Comment parvient-on à financer une vie de navigation prolongée, en particulier lorsqu'on navigue pendant plusieurs années ? Quelles sont les sources de revenus qui permettent de subvenir à ses besoins tout en restant en mer ?
Simon et Caroline : Nous avons fait le choix de vivre sur notre bateau pendant 10 ans, ce qui nous a permis de mettre de l'argent de côté. Étant marin de commerce et infirmière, nous avons la chance d'avoir des métiers relativement mobiles. Cependant, nous n'avons pas exercé pendant nos voyages, car nous souhaitions profiter pleinement de ces moments et faire une véritable coupure.
Nous avons donc vécu uniquement sur nos économies et avions prévu un budget mensuel. Heureusement, nous n'avons pas eu à déplorer de grosses avaries, ce qui nous a permis de tenir notre budget. Nous avons croisé plusieurs bateaux dont les équipages travaillaient à distance. Mais dans ce cas, cela impose un besoin constant d'accès à Internet, ce qui, à nos yeux, fait un peu perdre le charme du voyage.
