Des comptes-rendus quotidiens qui sortent de l'ordinaire
Comme tout journaliste et passionné que nous sommes, nous scrutons depuis le 10 novembre dernier l'avancée du Vendée Globe. Et dès le départ, nous sommes interpellés par les comptes-rendus quotidiens - un le matin et un l'après-midi - que nous recevons dans nos boîtes mail. Le ton est bien différent des précédentes éditions, les jeux de mots sont abondants, tous comme les références, qu'elles soient littéraires, cinématographiques, musicales... Le ton est enjoué, les mots bien choisis, le contenu vulgarisé, tout en restant à la fois technique... Il faut plaire à tout le monde, embarquer le grand public dans cette belle aventure du tour du monde, mais aussi contenter les "techniciens".
Pour illustrer nos propos, voici l'introduction du compte-rendu matinal de ce 9 janvier 2025 : "Violette Dorange (Devenir, 28e) n'est assurément pas Leuconoé. Si si, rappelez-vous, cette belle demoiselle à qui le poète Horace fait la leçon, elle qui, certaine d'avoir toute la vie devant elle du haut de son insolente jeunesse, ne se préoccupe pas franchement du présent et a la fâcheuse tendance à procrastiner ses devoirs. « Carpe diem quam minimum credula postero », lui dit son érudit aîné, ce qui, dans un brûlant casse-tête de version, est communément traduit par « Cueille le jour, sans croire au lendemain. » Sauf que Horace, lui, n'avait pas accès aux prévisions météo…"
Un trio de journalistes passionné de course au large
Vous situez la référence ? Nous pas, mais le parallèle nous conquiert. Toutes ces images sont le fruit de trois rédacteurs, qui relatent les faits de course. Derrière ces trois plumes se cache Perrine, journaliste de presse écrite, qui a notamment travaillé pour le service voile du Télégramme pendant 15 ans, et qui rédige également pour plusieurs courses de voile et teams de course. Le trio est complété d'Antoine, qui a commencé en tant que journaliste pour Le Point il y a 8 ans et écrit pour VSD et d'autres magazines d'aventure. Lui aussi rédige pour des courses et des équipes. Enfin, la bizuth Charlotte, jeune maman, "n'a pas la bouteille de ses coéquipiers" comme elle l'explique. Elle a travaillé exclusivement dans la presse écrite généraliste avant de s'installer en Bretagne, il y a 4 ans avec son conjoint coureur au large. "J'ai mis les pieds dedans en faisant sa com' et je me suis mis à écrire pour d'autres, mais aussi pour des courses comme Le Retour à la Base", nous explique-t-elle.
Si Antoine et Perrine ont déjà travaillé ensemble, pour Charlotte c'est une première. Les deux jeunes femmes sont d'ailleurs des "bizuths" de l'organisation du Vendée Globe, contrairement à Antoine qui a déjà fait ses armes il y a 4 ans. "Anne Gourcuff avait monté une équipe il y a 4 ans dont je faisais partie. L'idée était de faire vivre le site, s'assurer que l'édito soit un vrai post. Les réseaux prennent de plus en plus de place, appuyés par l'édito. On a tous les trois une manière différente de présenter les choses, mais on est complémentaires. L'édito dans la voile, c'est le seul sport qui nous permet de raconter des choses que l'on ne voit pas. On nous a laissé la place, la latitude pour bien raconter la course", raconte-t-il.
Des éditos empreints d'une forte culture générale et de jeux de mots à gogo
Effectivement, l'organisation de course a laissé le champ libre au trio de rédacteurs pour nous faire vivre, à leur manière, la vie des 40 marins en mer. À coup de sentences bien tournées, nous découvrons au fil des jours le déroulé de la course. Mais quel est le secret de toutes ces citations, ces jeux de mots et autres références ? "L'inspiration, c'est le secret impossible à donner" nous confie Charlotte. Avant d'ajouter : "Comme le disait Antoine, on se nourrit de la matière de nos marins qui nous orientent dans une direction. Ce matin, Clarisse avait un blocage au dos, donc je me suis dit que j'allais commencer mon papier par une séance d'ostéo. Les vacations nous permettent de donner une ligne directrice. Et pour la suite, Internet est ton ami. On s'amuse à le raconter aussi. On s'est complètement entraînés les uns les autres dans un engrenage aux jeux de mots."
Et l'objectif est plutôt - très bien - réussi - puisque c'est de cette manière que Charlotte débute son édito de la matinée du 8 janvier 2025 : "Allongez-vous, soufflez, on va pouvoir commencer… Gageons qu'à leur retour à terre, il y aura bien plus d'une séance de kinésithérapie nécessaire pour remettre en état ce corps patraque qu'ils ont transformé en vaste bric-à-brac. "
Faire vivre au plus grand nombre la vie des marins du Vendée Globe
Antoine explique aussi leur envie de s'adresser au plus grand nombre pour relater des faits de vie qui concernent tout un chacun. "Une de nos forces c'est qu'avant c'était très technique. On ne faisait plus confiance à un édito ou on ne nous donnait plus de moyens. Nous sommes avant tout des journalistes, avant d'être des passionnés. Toute cette matière nous apporte du recul. Nous ne sommes pas seulement des spécialistes de course. C'est un vrai plus dans le regard. On a une vraie volonté de s'adresser à tout le monde, d'accrocher un maximum de personne pour vivre ça. Les marins sont confrontés à tout ce que l'on vit dans la vraie vie, la peur, la solitude... On en parle à tout le monde."
Enfin, Perrine de conclure que ce style bien à eux, c'est aussi "le temps long qui permet ça. Ce n'est pas le cas sur une transat. Il y en a toujours un qui nous raconte un truc loufoque et c'est le temps long qui le permet."
Un style d'écriture singulier qui crée une émulation
Si l'objectif est réussi, il est pourtant plus difficile à mettre en place quand chacun à sa propre plume, et qu'il s'agit d'autant plus d'une première collaboration. Pourtant, difficile de savoir, qui écrit quoi... Tous les trois ont su s'adapter à ce style d'écriture singulier, amené par la bizuth Charlotte, comme le raconte Perrine. "Le fait que Charlotte soit un peu bizuth a redonné ce rythme. Anne (Gourcuff) a voulu faire quelque chose de décalé. On n'a pas souvent cette latitude. Et c'est beaucoup plus rigolo ! On a aussi été encouragé par les réseaux. On ne savait pas trop les limites que l'on devait se fixer. Un indice pour savoir qui est qui, Charlotte fait des chapos très courts, moi très longs et Antoine indique toujours la place des skippers..."
Un avis que partage Charlotte comme elle nous le raconte : "Je marchais sur des œufs. Je me disais calme toi. Je me freinais. On ne m'a pas dit d'arrêter alors j'ai continué. Peu importe la personne, c'est une envie commune, une émulation. L'organisation nous soutient et c'est super pour faire accrocher à la course."
"Charlotte est le Charlie Dalin du jeu de mots ! C'est une émulation saine. Si on connaît bien notre plume, il y a des petits indices. Les seules discussions concernaient le planning, pour le reste on s'est dit que l'on verrait dans le feu de l'action" résume Antoine.
Une journée rythmée au pas de course
Et le planning, c'est bien tout le nerf de la guerre ! Les rédacteurs sont les seules personnes de l'agence en charge de la communication du Vendée Globe présentes sur place. Ce sont elles aussi qui organisent les vacations avec les skippers. La journée est rythmée par les impondérables que sont les réunions avec la direction de course, les interviews avec les marins, la rédaction des deux éditos...
Perrine et Antoine se relaient donc aux Sables-d'Olonne, "car la contrainte majeure est que le communiqué de l'après-midi doit être rédigé sur place" explique la journaliste et Charlotte - excusée pour pouponnage intensif - travaille à distance. "On s'organise pour survivre ! On se répartit les horaires et les jours en essayant de s'accorder à tous de petites respirations. J'ai une contrainte forte c'est que je ne peux me déplacer parce que j'ai un petit bébé. Le plus c'est que je vis le même état de fatigue que les marins du Vendée Globe. Je fais les matins et Perrine et Antoine se répartissent les temps aux Sables-d'Olonne pour faire les papiers. Je me réveille à 4h30 pour que l'édito soit diffusé vers 7h30" s'amuse Charlotte.
Pour son papier, Charlotte envoie des questions à 3 marins chaque soir par WhatsApp, quant au duo sablais, ce sont 3 visios qui sont organisés pendant 1h30 dès 9h30 le matin. Et quand ils sont amenés à prendre le relais de Charlotte, ils font "la double journée" comme l'explique Antoine.
"On a créé un tableau d'équité pour que chacun puisse être interviewé. Sur la durée, on arrive à faire tout le monde de la même manière. On cale aussi pour les invités du dimanche" détaille Perrine. Au total, chaque jour, il y a 3 questions posées par WhatsApp, trois marins interviewés en vacations, 3 marins en live et 3 autres pour le live anglais.
Interviewer, débriefer, rédiger...
Une fois donc le planning instauré et le ton décidé, c'est un long travail de fourmi qui attend nos rédacteurs. Si les rédacteurs de l'après-midi disposent d'un peu plus de temps, l'édito du matin nécessite de se presser. Car il faut d'abord retranscrire les messages vocaux WhatsApp laissés par les 3 marins pendant la nuit. "Je mets tous les messages vocaux envoyés par écrit. Ça aide tout le monde. Ça peut servir aux autres. Pour les papiers ça me permet aussi d'y voir plus clair. Il faut aussi être stratégique pour les interviews. Tu sais que si tu choisis un Benjamin Ferré, une Samantha Davies et une Clarisse Crémer alors ça prendra trop de temps à transcrire. On doit aussi appeler la direction de course au petit matin pour avoir les dernières informations. Ça change de quart à 6h. Sinon on a seulement le pointage des 3 heures" explique Charlotte. Pour Perrine et Antoine, la journée ressemble aussi à un sprint, puisqu'après la vacation, il faut dérusher, puis faire un point avec le live du midi, rédiger le CP, sans oublier l'analyse du dimanche avec des questions/réponse à un invité.
Une équipe anglaise pour la partie internationale
Il ne faut pas oublier non plus la partie immergée de l'iceberg. Car n'oublions pas que le Vendée Globe est une course internationale... Le même travail est donc réalisé par l'équipe anglaise, dont Perrine et Charlotte soulignent l'implication : "Les rédacteurs anglais - Andi Robertson et Dee Caffari - font le même boulot sauf qu'ils sont moins nombreux. Ce n'est pas de la traduction de nos éditos français. Le matin, Andi me demande quelle orientation je prends pour l'édito et quelques messages reçus la nuit. Le même effort est mis sur la version anglaise dans le sens où l'édito est important. C'est la même logique : les WhatsApp en français et en anglais, les lives en, les vacations, etc."
Un long rythme à tenir !
Si le leader de la course, Charlie Dalin, est attendu aux alentours du 14 janvier aux Sables-d'Olonne, le travail est loin d'être terminé pour les rédacteurs puisque Denis Van Weynberg, 35e et dernier de la course pointe à 8 241 milles du premier... C'est donc encore de belles lectures qui nous attendent ces prochains mois ! Et encore une fois, les félicitions de toute l'équipe, vous nous régalez !