Romain Attanasio s'illustre particulièrement dans le monde de la course au large et prépare actuellement son troisième Vendée Globe. Après deux précédentes éditions marquées par des défis, notamment un parcours difficile en 2016-2017 et une 14e place en 2020, Attanasio revient en 2024 avec une volonté affirmée d'améliorer ses performances. Il navigue cette année sur l'IMOCA Fortinet-Best Western, un bateau qui a récemment connu un démâtage pendant le Défi Azimut, ce qui a mobilisé des efforts importants pour le réparer à temps pour le Vendée Globe.
Tu t'apprêtes à participer à ton 3e Vendée Globe. Quel objectif t'es-tu fixé pour cette édition ? Qu'est-ce qui te donne envie d'y retourner ?
On le compare souvent à l'Everest. C'est d'avoir un nouveau bateau à chaque édition. Chaque projet était vraiment différent. Mon premier Vendée Globe c'était sur le Pingouin, en 110 jours. Pour la seconde fois, j'avais un bateau plus performant et j'ai terminé en 90 jours. J'avais envie d'y retourner avec un foiler, même si ce n'est pas un bateau neuf. On mettra peut-être entre 75 et 80 jours. Ça ne sera pas la même difficulté, mais c'est moins long aussi.
Quels enseignements as-tu tirés de tes précédents Vendée Globe, notamment celui de 2020 où tu as terminé 14e ?
À chaque problème il y a une solution. C'est ce que j'ai appris sur le précédent Vendée Globe. On trouve toujours des solutions. À quelques exceptions près, quoi qu'Yves Parlier a montré qu'un démâtage était possible à solutionner. On vit des leçons de mer, mais des leçons de vie aussi. J'ai la sensation de revenir différent. Ça change un homme. Et ce sera encore le cas sur cette édition.
Depuis le rachat de ton IMOCA en 2021, quelles évolutions a-t-il subies, et notamment dans l'optique de cette édition du Vendée Globe ?
Très peu. Les évolutions, ça aurait été de changer les foils, et donc les puits, l'étrave qui coûte 300 000 €. Pour le tout il me fallait un budget de 1 million d'euros.
Dès le début, j'avais prévenu l'équipe que l'objectif était de fiabiliser le bateau. Mes 2 premiers Vendée Globe ont été faits en mode dégradé. Sur le premier, je n'avais plus de safran, et sur le 2e plus de voile. A 95 % de sa fiabilité, je vais faire une bonne course.
On parle du Vendée, pas d'une transat. Sur l'Azimut, on a pris un bon départ, avec une mer plate et 18 noeuds de vent. Pourtant, je me suis fait déboîter. Sur le Vendée Globe, il y a tellement de paramètres à prendre en compte.
C'était une édition particulière la dernière fois, même si Yannick (NDRL : Bestaven) a gagné avec des petits foils. La fiabilité c'est important. Dans le Grand Sud, on ne navigue pas comme dans la baie de Lorient. Il faut gérer avant d'aller vite.
Ton IMOCA, Fortinet-Best Western, a récemment subi un démâtage lors du Défi Azimut. Comment as-tu géré cette situation, tant techniquement que financièrement, à seulement quelques semaines du départ ?
C'était une course contre la montre. On savait que l'on avait peu de temps. La technique et le financier, ce sont deux volets pas faciles. Il y a des pièces qu'il fallait refaire, avec des temps incompréhensibles. Pour les haubans et les voiles, c'est 3 semaines. Les haubans c'est presque le plus long à faire. Heureusement que l'on est en mât monotype, sinon ça aurait été compliqué. On n'a pas eu le temps de s'ennuyer ni de se lamenter.
Les haubans ont été commandés le lendemain de l'arrivée. On n'avait aucune certitude. Au moment où j'ai vu le mât par terre, je me suis dit qu'il n'y aurait pas de Vendée Globe. Ça a duré à peine 5 minutes. Il a fallu libérer le gréement et faire une trentaine d'heures au moteur pour rejoindre la base.
Mon équipe à terre a cherché et recensé les mâts. 11 mats étaient disponibles et ça nous a pas mal soulagés. Maxime (NDLR : Sorel) m'a appelé quand j'étais en mer pour nous prévenir qu'il voyait avec ses partenaires la possibilité de nous céder son mât de spare. À notre retour, on a conclu l'affaire à prix coûtant. Le problème, c'est que dans mon budget, je n'ai pas d'enveloppe supplémentaire en cas de soucis. J'ai essayé de mettre 10 000 € par an en quatre ans, mais tout coûte cher et a augmenté.
450 000 € à trouver, ce n'est pas simple. Je gère mon équipe, pas comme dans les grosses écuries. J'ai mon enveloppe annuelle qui n'est pas extensible. Pourtant, Fortinet m'a aidé, Best Western aussi. Chacun a participé en fonction de son statut d'hôtelier. J'ai aussi des petits partenaires qui m'ont aidé, à hauteur de bien plus que ce qu'ils mettent habituellement. On a réussi à trouver 250 000 €.
Ensuite on a eu l'idée de faire cette cagnotte. Ma compagne Lorie a lancé tout ça. Elle est venue me voir en me disant qu'elle avait choisi Leetchi. En dessous de 10 000 €, c'était un peu cher, 6 % de frais, mais au-dessus on était à seulement 1 % et c'était moins cher que les autres cagnottes. Intérieurement, j'ai rigolé en me disant qu'on ne les aurait jamais ! On a eu 1 300 donateurs dont le nom est inscrit sur le mât. Il y avait aussi plusieurs récompenses en fonction des donations. Pour les personnes qui ont donné 1 000 €, on va organiser des navigations sur le bateau au moins de juin 2025.
Ce 28 octobre 2024, on était à 151 000 €. C'est un vrai soutien dans les coups durs. C'est parti super fort ! Mes partenaires se sont rendus compte que j'étais apprécié. C'est très motivant.
Aujourd'hui on n'a pas la totalité. On a réuni 350 000 € sur les 480 000 € nécessaires. Le reste, je vais gérer ça avec ma banque et une avance que m'a faite Best Western. Pour une entreprise qui fait un CA de 1 million d'euros, 480 000 € de frais à payer, c'est un sacré coup dur...
Justement, où en est la fiabilité après le démâtage ?
Ce n'est pas autant que j'aurais voulu. J'ai navigué 2 fois depuis, une fois à Lorient et la seconde fois pour venir aux Sables. On navigue cette après-midi. Je n'ai pas fait un bord engagé dans un 30 nœuds au reaching. Ça va me mettre un petit pincement au moment ou ça arrivera.
Ton projet s'appuie sur des partenaires comme Fortinet et Best Western, mais aussi sur un réseau plus large. Comment gères-tu cette diversité de soutien ?
C'est beaucoup de boulot. C'est le revers de la médaille. Dans mon équipe, on est 8, 4 personnes à la technique et 3 personnes au bureau. Il y a une trentaine de partenaires à gérer, sans compter Lorie qui est à 100 %. J'ai un club d'entreprise avec une vingtaine d'entreprises qui met 3 000 € par an. Je les soigne comme les autres. L'avantage c'est qu'en cas de coup dur, ils sont toujours là. J'aime bien ce côté entrepreneurial.
J'ai fait des interventions pour un club d'entrepreneurs. Leur dernière question était : "Si tu avais un gros sponsor qui te proposait un bateau neuf, un budget important, qui gérerais tout... tu irais ?" Je ne sais pas si j'irais. Le plus dur c'est de gérer tout le monde, mais c'est sympa ce côté managérial.
C'est un travail différent. Quand tu démâtes par exemple, c'est pour toi. Alain Gauthier, à l'arrivée de la Route du Rhum en Orma, un bateau volage, avait expliqué, "Tu prends 5 ans après une course, et 10 ans quand tu es le propriétaire." C'est un souci que certains n'ont pas.
Tu es engagé avec l'ONG PLAY International. Comment cet engagement s'intègre-t-il dans ton projet Vendée Globe et pourquoi ce partenariat te tient-il à cœur ?
On fait quelques opérations avec des écoles d'enfants en difficulté. Arnaud Assoumani, sauteur en longueur handisport, est venu ici avec les enfants. On leur montre d'autres univers. L'école ce n'est pas évident pour tout le monde. Ce n'était pas évident pour moi aussi. C'est important d'éduquer les enfants, de leur donner un cadre, mais il y a aussi d'autres moyens de le faire.
Tu as mentionné que le premier succès au Vendée Globe est d'arriver au départ. Avec tous les défis rencontrés cette année, quel a été le moment le plus difficile de ta préparation ?
Il y a eu plein de moments difficiles à gérer sur les courses. Le démâtage a été le plus difficile et inattendu. C'est un bateau solide. Je naviguais comme jamais à son bord, par rapport aux autres. On n'a pas forcé la mécanique, c'était tellement inattendu, si près du départ.
Le bateau n'avait jamais été dans une si belle configuration. Le Défi Azimut 2024, c'était le dernier tour de chauffe, le dernier rodage. Ça permet de faire de belles images et c'est une course sympa à Lorient. Une pièce a cassé et elle aurait cassé sur le Vendée. La première difficulté c'est d'être au départ et la seconde, d'être à l'arrivée.
Quelle stratégie as-tu prévue pour naviguer sur les zones difficiles du parcours, et quelles conditions attends-tu particulièrement cette année ?
Toutes sortes de conditions plus ou moins difficiles. La météo va être dure et les problèmes techniques importants. Par rapport aux autres courses, il faut gérer ça sereinement. Il faut rester zen.