Interview / Charlie Dalin : "J'ai vraiment hâte de tester ce bateau conçu et pensé pour le Vendée Globe"

© Jean-Marie Liot / Alea

Charlie Dalin prendra le départ de son second Vendée Globe après une première participation en 2020 et une seconde place à l'arrivée. À bord de l'IMOCA Macif Santé Prévoyance spécialement conçu pour le tour du monde en solitaire, son objectif est clairement affiché, faire mieux que la dernière fois.

Charlie Dalin, né en 1984 au Havre, est l'un des favoris de la classe IMOCA. Après une formation en architecture navale à Southampton, il a rapidement intégré le monde de la course au large, notamment en Figaro, avant de se consacrer aux IMOCA. En 2020, il se fait connaître du grand public en terminant deuxième du Vendée Globe à bord d'Apivia, après une course marquée par des choix tactiques et une maîtrise technique exceptionnels. Depuis, il a remporté de nombreuses courses et s'apprête à prendre le départ de cette 10e édition sur son nouvel IMOCA Macif Santé Prévoyance, spécifiquement conçu en vue du tour du monde en solitaire.

Après tes victoires sur la New York Vendée-Les Sables et le Défi Azimut, comment évalues-tu ta préparation pour le Vendée Globe 2024 ?

Je me sens prêt pour ce deuxième tour du monde. L'équipe s'est beaucoup donnée ces derniers mois. Ils n'ont pas ménagé leur peine pour que le bateau soit au top du top ! Je suis vraiment content de l'état de préparation de ce nouveau tour du monde. J'ai vraiment hâte de tester ce bateau conçu et pensé pour le Vendée Globe. Ça fait un peu plus de 3 ans que l'on se prépare. La conception de Macif a débuté à l'automne 2021, avec des décisions à prendre en fonction de cette course.

L'ergonomie est adaptée à la vie au long cours sur le bateau, la forme de coque a évolué, la forme de pont aussi... Tout a évolué dans le bon sens. J'ai hâte de passer plus que 10 jours d'affilés sur le bateau, de vivre à bord sur la durée du Vendée Globe.

L'IMOCA Macif Santé Prévoyance © Jean-Marie Liot / Alea
L'IMOCA Macif Santé Prévoyance © Jean-Marie Liot / Alea

Lors de ta dernière participation au Vendée Globe, tu as terminé deuxième. Pour cette édition, quelles leçons as-tu tirées de cette expérience, et quelles sont tes ambitions ?

J'aimerais bien faire mieux que la dernière fois. Il n'y a pas beaucoup de choix possibles. La dernière fois, ce n'est pas passé loin. J'ai franchi la ligne d'arrivée en premier, mais avec la compensation, j'ai terminé 2e à 2h30 du vainqueur.

Pendant toutes ces années de préparation, on a gardé en tête que la différence entre gagner et perdre pouvait se jouer à quelques heures. Il ne faut rien laisser au hasard et pousser les choses au maximum parce que ça peut se jouer à pas grand-chose. Je vais passer pas mal de temps à aller chercher ces minutes.

J'ai refait un nombre incalculable de fois la course. Ça m'a servi à la préparation de celui-là, pour chercher les moindres minutes, les changements de voile...

Sur la dernière édition, j'étais assez jeune dans mon parcours IMOCA. Pour mon premier Vendée Globe, mon expérience en course était de seulement 10 jours, sur la Vendée Arctique. J'ai beaucoup appris depuis le départ du Vendée 2020, j'ai terminé le tour du monde, j'ai fait la Route du Rhum, les allers-retours aux États-Unis et plein d'autres courses. J'ai hâte de tester ce bateau pour refaire la course avec cette expérience accumulée. Il y a plein de raison pour lesquels je suis sur le Vendée, mais la raison à part entière est de faire la course avec l'expérience et mettre en application ce que j'ai appris.

Charlie Dalin en manoeuvre © Ronan Gladu / Disobey / Macif
Charlie Dalin en manoeuvre © Ronan Gladu / Disobey / Macif

Le Vendée Globe est une course exigeante aussi bien en termes de navigation que de gestion personnelle. Quelles stratégies utilises-tu pour gérer la fatigue et maintenir un niveau de performance élevé pendant toute la durée de la course ?

Il faut trouver le bon compromis, le bon rythme à tenir pour soi. C'est difficile d'être performant du début à la fin. Il faut aussi trouver le bon rythme pour le bateau. C'est une course ou les bateaux suivent et cassent parce que l'usure rentre en jeu. Paradoxalement le moment où tu bricoles le plus c'est quand tu rentres dans l'Atlantique. Cela fait des mois que le bateau est exposé à l'eau salée. Les pièces sont usées, et de plus en plus. On bricole jusqu'au bout.

Il faut naviguer au bon rythme et c'est encore plus difficile à faire cette année. On est nombreux et ça se passe toujours devant. Le rythme est assez élevé dès le début. Il faut se mettre en place direct, et tout le monde va démarrer sur un rythme élevé. Il faut rester sur le bon côté de la ligne et éviter la casse rédhibitoire. Les pièces du bateau ont une mémoire et tu peux avoir l'impression de te sortir d'un problème, mais quelques semaines plus tard ça casse parce que tout est sursollicité. Ce ne sont pas les capteurs qui l'indiquent, mais le sens marin. Même si les bateaux sont de plus en plus technologiques, le sens marin va nous dire si on est du bon côté de la ligne ou pas.

Tu as montré une grande maîtrise de la gestion des transitions météorologiques, notamment lors de la traversée vers New York. Comment anticipes-tu la gestion des systèmes météorologiques complexes durant cette édition du Vendée Globe ?

C'est sur que c'est rarement la même chose, même si on passe beaucoup de temps à étudier le parcours et la météo, comme en formation avec Jean-Yves Bernot. Les Vendée Globe sont toujours différents et il faut s'adapter à des situations inédites. Je vais passer de nombreuses heures, tous les jours, devant l'ordinateur à la table à carte pour étudier les solutions météo. Toutes les 12h on reçoit un nouveau fichier de vent et il faut tout refaire à chaque fois, repartir de zéro.

Il y a aussi la gestion de prise de risque, pourquoi tel ou tel coureur a fait ce choix, la notion de placement à faire... Ça prend beaucoup de temps. On ne sait pas si le Vendée 2024 sera comme le dernier ou si l'on va revenir en arrière comme en 2016. Le petit groupe parti devant n'a jamais été rattrapé. Chaque situation peut être la dernière à réussir.

On est seul sur les bateaux et une manœuvre prend beaucoup de temps. Les plus longues c'est 45 min. Quand on lance une manœuvre aussi longue, il faut le faire au bon moment. Ça demande de l'énergie, c'est une prise de risque lourde. Comme les bateaux vont plus vite qu'avant, on compense le nombre de milles perdus sur une manœuvre par une vitesse plus élevée.

J'aime beaucoup cette partie tactique et stratégique. Les vitesses des bateaux sont plus proches sur cette édition que sur la dernière. Le niveau de la flotte est plus dense donc ce sera sûrement serré en tête de flotte.

Une table à carte à proximité directe de la banette et du réchaud © Guillaume Gatefait-Disobey-Macif
Une table à carte à proximité directe de la banette et du réchaud © Guillaume Gatefait-Disobey-Macif

Ton bateau, conçu par Guillaume Verdier, est réputé pour sa polyvalence. Comment cette caractéristique t'aide-t-elle à performer dans des conditions variées, et comment le compares-tu à ton précédent IMOCA Apivia ?

Apivia était un très bon bateau. Il avait quelques points faibles, notamment dans la mer formée au portant. On a gardé la polyvalence que l'on avait déjà. Ce qui est bien avec Macif, c'est que c'est un bateau qui continue à être rapide même quand il y a moins de vent. Je garde une vitesse acceptable même si je ne remets pas tout de suite de la toile. Quand je suis obligé de naviguer en dehors du range du vent, car les manœuvres pour renvoyer une voile prennent du temps et de l'énergie, le bateau a une bonne glisse et continue à avancer à une vitesse plus que raisonnable. Il est tolérant dans les changements de conditions. Bien sûr, sur une course comme le Vendée Globe, il faut tenir sur la durée et faire des siestes plus longues que sur une Route du Rhum, et le bateau doit continuer à aller vite même sans réglages.

Sur quoi l'équipe a travaillé pendant le chantier estival du bateau après la New York Vendée ?

On a usiné le bulbe, on a fait des milliers de trucs. On a refait des modifications de performances. On avait reçu les voiles avant le chantier, donc on a pu travailler sur les voiles du Vendée Globe. On a revu l'ergonomie, installé un matelas différent suite aux deux transats, fait des petites modifications sur l'électronique, l'accastillage... On a travaillé dans tous les domaines.

L'IMOCA Macif Santé Prévoyance © Jean-Marie Liot / Alea
L'IMOCA Macif Santé Prévoyance © Jean-Marie Liot / Alea

La configuration de la studette a été optimisée pour les longs trajets en solitaire. Peux-tu nous expliquer comment cela influence ta gestion de la vie à bord au quotidien, notamment en termes de repos et de navigation ?

Ce qui est bien, c'est la table à carte à moins de 1 m de ma banette pour dormir. C'est facile de passer de l'un à l'autre. C'est instantané et ne demande pas d'efforts. Pareil pour faire à manger. En étant installé sur la table à carte pour le trajet et le routage, je fais à manger. Je n'ai pas besoin de mettre mon ciré, je suis plus libre que dans la zone de vie. Il n'y a pas d'embruns et donc pas besoin de m'équiper.

On a beaucoup progressé par rapport à Apivia sur l'aération. Ça permet de gérer la température de ces zones. En fermant certaines zones, j'ai un courant d'air ou pas. Je peux faire baisser la température ou l'augmenter dans les zones froides et garder la chaleur dans ces espaces. C'est bien aussi.

L'espace est petit, j'ai très peu de déplacements à faire. Lorsque l'on doit parcourir une petite distance à 30 noeuds dans 3 m de vagues, les déplacements sont compliqués. Dans cette petite zone, c'est agréable, je fais de petits déplacements, ça évite les risques de chute et use moins d'énergie. Si je suis à l'envers, j'ai juste à lever la tête de ma banette pour voir l'écran et j'ai une souris à côté. Ça fonctionne bien et c'est agréable. La vie à bord demande moins d'énergie. Elle est plus fonctionnelle qu'avant.

La banette dans la "studette" de Charlie Dalin © Guillaume Gatefait-Disobey-Macif
La banette dans la "studette" de Charlie Dalin © Guillaume Gatefait-Disobey-Macif

Comment envisages-tu l'évolution du rôle des skippers dans un contexte où la performance technologique prend de plus en plus de place ?

Elle est d'autant plus importante. Les bateaux sont physiques. Ça pique d'aller plus d'aller vite, il faut donc être plus prêt physiquement, plus endurant. Il y a un potentiel de vitesse très élevé, il faut faire attention dans certaines conditions. On peut naviguer au-delà de ce que le matériel peut supporter. Comme en multicoque où tu lèves le pied, en IMOCA c'est ça aussi. C'est le sens marin et le feeling qui vont faire la différence. Même si sur les foilers, il y a des capteurs dans tous les sens. Il faut savoir si on est du bon côté de la ligne, et pas au-delà de la limite du bateau. C'est ça qu'il va falloir écouter.

On n'est pas juste des opérateurs d'ultra-technologie. Il faut savoir si c'est raisonnable ce que l'on demande au bateau. Tu peux très bien bien tirer fort sur un tronçon et finir indemne, mais abîmer des pièces, et casser plus tard. Il faut faire la différence, savoir être à l'écoute et demander le maximum au bateau sans franchir la limite ou détériorer le matériel à court et long termes.

C'est une course longue, on va tous bricoler. Le paramètre de l'usure entre vraiment en ligne de compte. Ce n'est pas le cas sur une Route du Rhum, ou tu vas peut-être casser, car c'est une course courte. Les pièces sont sollicitées des semaines, des mois... La remontée de l'Atlantique est le plus dure, car le bateau est simplement usé. Ce qui pouvait casser a pu l'être, mais quand tu remontes l'Atlantique, les pièces cassent par usure. Il n'y a que le skipper qui est capable de dire si le rythme est le bon ou pas, et avoir le bon feeling pour savoir si on est au bon rythme ou en sur-régime.

En dehors de la victoire, qu'est-ce qui représente pour toi une réussite dans cette édition du Vendée Globe ?

De terminer c'est toujours une réussite, car c'est une course longue, il peut se passer plein de choses. Partir des Sables et ramener le bateau aux Sables, sans escale et sans assistance est déjà une belle réussite en soi. J'y vais pour le sport, pour faire mieux que la dernière fois, pour être heureux de tous les choix que l'on a faits, de ne pas me dire que l'on s'est trompé à tel ou tel niveau. Le classement est assez important. Même si j'ai progressé, le niveau est élevé.

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