Interview / Eric Bellion : "On est allé au bout, avec des bateaux décalés et j'en suis très heureux"

© Team Stand As One

Eric Bellion s'apprête à prendre le départ de la 10e édition du Vendée Globe le 10 novembre 2024. Après une première fois en 2016, il revient 8 ans après avec un projet plus engagé et structuré et un bateau neuf, mais sans foils, avec des dérives. Interview.

Eric Bellion, 48 ans, est un navigateur atypique, connu pour son engagement en faveur de la diversité et de l'inclusion. Après un premier Vendée Globe en 2016 où il termine 9e et premier bizuth, il revient en 2024 avec une approche collective et innovante. Son nouveau bateau, "Stand as One", reflète ses convictions avec une conception sans foils, misant sur la simplicité et la sobriété. Marié et père d'une fille, Eric Bellion se distingue par sa capacité à partager ses émotions et son expérience, faisant de la vulnérabilité une force dans ses aventures maritimes.

Tu es de retour pour le Vendée Globe 2024. Qu'est-ce qui te motive à participer une seconde fois à cette course mythique huit ans après ?

Le Vendée Globe, en termes d'émotions maritimes, tu ne fais pas mieux. Je pense que dans la vie d'un homme, d'une femme, en tout cas pour moi, c'est juste une expérience exceptionnelle pour mieux se connaître. C'est tellement extrême dans tous les coins. Le problème c'est que quand tu le fais, tu vis des émotions et un bonheur tellement forts, que tout paraît fade à côté. Je ne voulais pas revenir n'importe comment et pas juste pour le faire.

Comment ton expérience précédente influence-t-elle tes objectifs pour cette édition ?

Ça a commencé dans mes choix de bateaux, dans la technique, la préparation.... Je l'ai préparée différemment. Je ne suis plus du tout la même personne, le même marin. En 2016, j'avais navigué en solo seulement 2 fois. Je ne savais rien, je ne faisais pas de stratégie... J'étais célibataire, en moto et en sac à dos. Aujourd'hui je navigue depuis 3 ans en IMOCA, je suis inscrit au Pole Finistère Course au large, je suis marié, j'ai une petite fille...

Eric Bellion sur l'IMOCA Stand As One © Qaptur
Eric Bellion sur l'IMOCA Stand As One © Qaptur

As-tu fixé des objectifs précis en termes de performance ou de classement cette année ?

Je ne fonctionne pas comme ça, comme je l'ai déjà fait sur mes précédentes expériences. Je pense qu'il ne faut pas se fixer d'objectifs, sinon tu n'exprimes pas la performance harmonieuse. Je ne connais pas les capacités d'Eric à mi-Vendée Globe. Je vais tirer un maximum de choses de moi, de mon bateau et de l'océan. Et ça marche. Généralement on se donne des objectifs pour se rassurer.

Quelle est ta routine d'entraînement en vue de cette nouvelle édition ? As-tu apporté des changements par rapport à ta préparation passée ?

Énormément ! En 2016 j'avais peur de mourir. J'allais à la salle et je soulevais de la fonte pour devenir fort. J'avais un corps que je n'avais jamais vraiment sollicité. Aujourd'hui j'ai moins peur, j'ai une relation plus forte avec ma peur.

Je travaille plus sur l'équilibre, la proprioception... Je travaille avec un coach physique et aussi le mental.

Comment gérez-vous l'équilibre entre préparation physique et mentale, deux aspects cruciaux dans cette course en solitaire ?

Je fais régulièrement les deux. Il y a sûrement une façon de faire mieux. C'est un travail de fond régulier, ça ne se fait pas les derniers mois. Je n'accélère pas le rythme, je ne vais pas plus à la salle, ni ne consulte plus mon coach mental. La préparation mentale est pour moi, fondamentale. C'est fondamental de muscler son mental, comme on va à la salle. Ce n'est pas trop dans les habitudes encore, même si de plus en plus de marins le font. Tout le monde devrait faire ça, même si chacun à ses besoins et ses habitudes. C'est très bénéfique.

L'IMOCA Stand As One © Qaptur
L'IMOCA Stand As One © Qaptur

Peux-tu nous présenter ton bateau, de sa genèse à sa préparation en vue du Vendée Globe ? La collaboration avec Jean Le Cam ?

On a des convictions avec Jean et plutôt que de dire à tout le monde ce qu'il faut faire, on propose. On est allé au bout de notre conviction, avec des bateaux décalés et j'en suis très heureux. On s'est posé la question que tout le monde devrait se poser dans la vie en général et pas seulement en IMOCA. Faire le point sur ce que tu as : moyens financiers, humains, temps, qui tu es, ce que tu veux... On s'est rendu compte que l'on ne pouvait pas faire un foiler. C'est beaucoup d'argent, et on n'avait pas de temps pour la maîtrise.

Il y avait une voie abandonnée dans le design. Macif est le dernier IMOCA designé en 2010. En 12/13 ans, il y a eu d'énormes progrès en classe Mini et en Class40, avec l'apparition des scows. Ils ont gagné 3 noeuds en vitesse moyenne si on prend les meilleurs bateaux du plateau. Les scows sont légers, fiables. Et, vu la performance des bateaux à dérive sur le dernier Vendée Globe, ce n'était pas inintéressant de faire construire des bateaux neufs à la moitié du prix.

Ce sont les bateaux du futur, pas techniques, dans la sobriété et la mutualisation. On est pile dedans. Et sans renier sur la performance.

Les deux bateaux sont-ils identiques ?

Ils sont rigoureusement identiques, même si on a un peu dérivé sur des détails. Chacun a mis sa patte. Même si les équipes sont différentes, si on rencontre un problème, on prévient Jean et vice versa et on parle de détails. On a tout acheté en commun pour réaliser des économies d'échelle. On a les mêmes ordinateurs, le même électronique, le même jeu de voiles.

Est-ce que le concept d'IMOCA scow à dérive peut perturber ?

On en parlera après le Vendée Globe, il faut faire la démonstration. Je me suis bien préparé, tout fait du mieux possible pour porter sur l'eau le truc. Il y a une phrase que j'aime bien dans la Formule 1 : "We do the talking on the track" (Nous parlons sur la piste). Maintenant, il faut que ce soit performant sur l'eau.

Eric Bellion a installé une banette dans son bateau en vue du Vendée Globe © Yves Quere
Eric Bellion a installé une banette dans son bateau en vue du Vendée Globe © Yves Quere

Tu as rencontré pas mal de soucis depuis la mise à l'eau, peux-tu nous en dire plus ? Notamment des problèmes de lisses ? Qu'en est-il de la fiabilité du bateau ?

Les soucis sur la Transat Jacques Vabre 2023, on ne sait pas trop ce qui s'est passé. C'est très compliqué de savoir si c'est un OFNI, l'état de la mer. Depuis, on a renforcé le bateau, le chantier que tout le monde a fait avant nous. Depuis la mise à l'eau, on a également ajouté des renforts transverses et renforcé les cloisons. J'ai aussi ajouté une banette sinon il est pareil, même s'il y a un millier de détails qui ont changé.

J'ai testé le bateau sur la Transat Anglaise, avec une mer compliquée et il était impeccable. Il est prêt pour le Vendée.

Quels sont, selon toi, les plus grands défis de cette édition du Vendée Globe, en tenant compte des innovations technologiques et des évolutions de la flotte ?

Jamais une flotte n'a été aussi prête. Depuis 2016, je vois une énorme amélioration du niveau sportif. On navigue tous depuis 3 ans, certains depuis bien plus. Les bateaux arrivent au Vendée Globe hyper prêt. Personne ne court sur les pontons en disant qu'il n'est pas prêt. Ce sont des bateaux poussés aux extrêmes. Même si certains sont assagis, ils vont aller très très vite.

En 2020, le record n'a pas été battu, ils ont mis 4 jours de plus. Là, ils vont lâcher les watts et il va falloir arriver à rester dans le tas. C'est une bonne bande de furieux. Il va falloir être sage. La qualité première, ça ne change pas depuis que le Vendée Globe est le Vendée Globe, c'est ma capacité à faire ma course. J'espère que personne ne va se blesser.

L'IMOCA Stand As One © Qaptur
L'IMOCA Stand As One © Qaptur

Tu es connu pour mettre en avant les valeurs humaines et le dépassement de soi, tu parles souvent de l'importance de l'inclusion et de la diversité. Comment comptes-tu transmettre ces messages à travers cette nouvelle aventure ? As-tu des projets ou des collaborations spécifiques en lien avec ces valeurs pour la suite de l'aventure ?

Il y a pas mal de choses. Je vais continuer à parler des émotions et de la peur. J'ai un second bateau, une goélette avec laquelle j'ai fait la Route du Rhum 2022, qui accueille des jeunes en difficulté. Ils vont commencer à naviguer et je souhaite qu'ils intègrent mon équipe de navigants par la suite. Il faut rentrer dans la diversité, on en a besoin.

C'est une goélette pédagogique pour porter haut et fort la différence, avec des gens avec lesquels on n'a pas l'habitude de travailler. Il y a aussi un projet plus musical, avec quelqu'un de très proche, Mat Bastard, du groupe Skip The Use. On mijote quelque chose de sympa.

Quel est ton objectif à la suite du Vendée Globe ?

Je veux continuer à naviguer, notamment sur des courses en équipage, comme The Ocean Race. Je l'ai fait par le passé à bord de Team Jolokia avec des personnes en situation de handicap. Aujourd'hui, j'ai les outils pour le faire avec des gens qui sont différents. Il ne manque plus qu'à trouver des financements.

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