Conrad Colman est originaire de Nouvelle-Zélande, mais a grandi aux États-Unis. Un jour, il découvre le Vendée Globe et quitte tout pour la France, où il pourra réaliser son rêve. Rêve qu'il accomplit en 2016 pour son premier tour du monde, qui ne sera malheureusement pas de tout repos. On se souvient de son démâtage et de son arrivée aux Sables-d'Olonne sous gréement de fortune. Il est alors le premier navigateur a terminé un Vendée Globe sans énergie fossile. Faute de sponsors, il ne participe pas à l'édition 2020, mais est de retour pour cette 10e édition sur l'IMOCA MS Amlin, l'ancien bateau de Maxime Sorel en 2020, avec l'un des plus petits budgets de la flotte. Encore une fois il ne compte que sur les éléments pour boucler son tour du monde et espère pouvoir gravir les échelons qui le mèneront à un projet plus important en 2028.
Que représente pour toi un tour du monde sans énergie fossile ? Quelles sont tes convictions pour repartir une seconde fois dans cette configuration ?
Je crois beaucoup à cette notion d'utiliser de l'énergie renouvelable pour un tour du monde. La voile a la chance d'être pionnière dans la société pour montrer la puissance de l'énergie renouvelable. Ça me tient personnellement à cœur.
Aujourd'hui, les gens se demandent encore si la technologie de panneaux solaires ou de moteurs électriques est vraiment aboutie, si elle est fiable et durable... Je pars avec des panneaux solaires pour 45 000 km autour du monde et je vais prouver que ça marche super bien. Alors pourquoi ça ne fonctionnerait pas pour aller chercher du lait pour la famille ?
Quand je suis tombé amoureux du Vendée Globe, je suis tombé sur cette citation de Bilou (NB : surnom du skipper Roland Jourdain) qui disait, le Vendée Globe, c'est assez simple, on part d'un endroit, on revient au même endroit, on est poussé par le vent. Ce que je souhaite ajouter sur ce principe, c'est que l'on est poussé par le vent et que l'on devrait être poussé par le soleil. En 2016, je montrais que c'était possible. De plus en plus de bateaux augmentent les quantités de panneaux solaires à bord. Pour moi c'est une conviction de ne pas avoir de carburant fossile à bord.
Comment équipes-tu ton IMOCA en ce sens ?
C'est simple, c'est plus ou moins la même chose que pour tous les autres. Pour eux c'est en moyen de secours, pour moi c'est mon moyen primaire. En 2016, j'avais obtenu une dérogation pour remplacer le moteur thermique par un moteur électrique Ocean Volt, le même système qui est installé actuellement sur le bateau Hublot. Mais depuis la récupération de Kevin Escoffier sur le dernier Vendée Globe, la classe a imposé le moteur thermique comme élément de sécurité. Je ne suis pas forcément d'accord. J'ai déjà sauvé quelqu'un dans l'eau et souvent le bateau est plus manœuvrable à la voile qu'au moteur, surtout dans des conditions océaniques.
Je garde donc le moteur thermique, sur lequel je vais installer un plomb supplémentaire pour prouver que je ne l'utiliserai pas, en plus du plomb de l'hélice.
Je vais utiliser uniquement des panneaux solaires et l'hydrogénérateur Watt&Sea. Je vais donc augmenter ma capacité de stockage. J'ai des batteries plus grandes qui me donnent 2 jours d'autonomie. Dans le pire des cas, si je suis coincé dans le Pot-au-Noir, ne pouvant me charger ni avec la vitesse ni avec le soleil, j'ai de quoi tenir.
J'ai quelques écrans de moins, et un mode économie d'énergie en endurance. Je peux aussi stocker un peu plus d'eau que les autres. Pour le Pot-au-Noir, je vais faire tourner le dessalinisateur en amont et pas pendant, pour minimiser la consommation d'énergie à cette période-là.
Il faut être un peu stratégique. Il y a des phases que l'on a analysées avec nos routages, ou je serais moins efficace en charge et plein d'eau. Avoir presque 3 000 watts en puissance de panneaux solaires permet d'être autonome plusieurs jours et de ne pas réfléchir quand je dois charger. Ça me permet d'enlever la charge mentale, qui est assez critique en course au large. C'est aussi plus sympathique de ne pas avoir les odeurs, le bruit...
En conclusion, c'est plus fiable et plus léger, donc ça ne nuit pas à la performance.
Avoir plus de batteries n'impacte pas sur le devis poids/performance du bateau ?
Non, car je n'ai pas 200 litres de gazole. J'ai 40 kilos de batterie et dans la globalité c'est plus léger. J'ai aussi 2 systèmes d'énergie pour faire fonctionner le bateau, soit solaire, soit hydro soit les 2. Ça augmente la fiabilité en comparaison des bateaux qui n'en ont qu'un seul.
J'aurais seulement les 20 L de gasoil obligatoire pour couper la ligne. Ils sont plombés et inspectés à l'arrivée. Souvent les autres bateaux partent avec un réservoir principal et ce réservoir de secours.
La communication en mer est énergivore, comptes-tu limiter ou anticiper ta communication comme pour l'eau ou l'énergie ?
On a 2 systèmes de communication satellite à bord. L'iridium Certus est obligatoire et fourni par la classe en raison d'un partenariat avec eux. Pour le second système de communication, il y a soit Inmarsat ou Starlink, que j'ai choisi. Ça à l'air d'être fiabilisé. C'est la première année que l'on met ces antennes sur notre bateau et il a fallu un petit temps pour finaliser. On a Internet comme à la maison, mais par contre c'est plus énergivore... Le Certus va tourner tout le temps pour télécharger la météo, couvrir les besoins du tracker, le WhatsApp et la connexion de base. Dès que je ferai un live ou enverrai une communication lourde, j'allumerai le Starlink.
Comment as-tu fait ce choix de voiles recyclables ? Comment sont-elles fabriquées ?
Ce sont des voiles OneSails. Aujourd'hui, les grosses voileries sont North, Incidence, Doyle, All Pupose et One. Doyle et North sont fabriqués au Nevada, donc très loin. Il y a un gros impact de transport. Sur le circuit plus proche, Incidences fabrique localement, ainsi que All Purpose, mais le premier utilise de la résine époxy avec de la fibre DFI Fit qui est gardée au congélateur et le second n'a pas de système de recyclage.
Mes voiles sont fabriquées en Europe, en Italie, avec des panneaux solaires, et sans COV (Composé Organique Volatil). Ce qui reste unique parmi tous les autres produits mentionnés, c'est que le matériau utilisé est purement en plastique. Toutes les couches sont collées entre elles avec la chaleur. Les fibres et la membrane d'étanchéité sont de la même matière. Il n'y a pas de risques de délaminage, car elles sont fondues entre elles. On peut aussi les refondre facilement. Par exemple, des lunettes de soleil sont fabriquées avec des voiles qui ont déjà fait le tour du monde.
Ces voiles sont résistantes, suffisamment pour s'adapter aux conditions les plus extrêmes au monde. C'est dommage de les abandonner à la fin du Vendée Globe alors qu'on peut revaloriser les matériaux.
Tu as acheté l'ancien IMOCA de Maxime Sorel en 2021, qui a priori t'as donné envie de te lancer dans la course au large, pourquoi ?
Ce n'est pas tout à fait exact, car l'envie était déjà bien établie. J'étais VTTiste dans le Colorado. J'ai décidé en regardant les récits de Vendée Globe dans les journaux que c'était vraiment chouette. J'ai eu comme un coup de foudre et j'ai quitté les États-Unis et tout ce qui m'entourait pour venir en France et faire le Vendée Globe. Je suis venu au départ du Vendée Globe 2008 et effectivement, Groupe Bel (NDLR : le premier nom de son bateau) est l'un des premiers bateaux que j'ai vus sur les pontons de Port Olona. Je me suis dit qu'un jour j'aimerai bien un bateau comme ça... Et je l'ai eu. J'aurais dû être plus précis en disant un bateau récent, plus équipé...
Ton bateau date de 2007, comment l'as-tu optimisé pour ce Vendée Globe ? Sera-t-il encore à la jauge en 2028 ?
Oui il sera encore à la jauge pour la prochaine édition du Vendée Globe. On a fait beaucoup de choses parce c'est un bateau qui a eu pas mal de mésaventures, notamment avec Kito de Pavant : démâtage, collision, abandon... Il s'est ensuite cassé en deux avec Thomas Ruyant. Il avait la réputation d'être un bateau très rapide à l'époque, mais aussi assez fragile. Après mon Vendée Globe en 2016, je me suis aperçu que je navigue plutôt pied au plancher, comme Thomas et Maxime et je ne voulais pas casser le bateau.
On a trouvé une fissure dans le voile de quille d'origine. Il a donc fallu le changer et ça a mis le bateau hors service pendant toute l'année dernière. On l'a remis à l'eau juste avant la Jacques Vabre 2023.
On en a profité pour attaquer le bateau aux ciseaux pour l'optimiser jusqu'à la boîte noire. On l'a mis à nu jusqu'à retrouver la couleur rouge de Groupe Bel. On a appliqué des couches de carbone supplémentaires sur l'extérieur pour le renforcer. Pour l'alléger, on a réaménagé le système de ballast. On a fait tout ce que les autres équipes n'avaient pas fait avec ce bateau par manque de temps notamment. Mes confrères de bateaux à dérive ont fait évoluer les leurs, donc il fallait faire évoluer le mien pour que je puisse rester avec eux.
Hormis l'équipement de ton bateau, quelles sont les choses mises en place pour réduire ton impact sur l'environnement pendant le Vendée Globe ?
Je vais apporter des capteurs scientifiques avec des bouées que l'on va larguer et des capteurs dans le bateau. Ces passages servent à plus que d'envoyer de jolies images et à voir des dauphins. Ça permet de porter de vraies valeurs. Ces mesures vont augmenter la fréquence et la densité de prise de data, qui va être impacté dans les modèles météo et pour le climat au sens plus large.
Tu indiques être végétarien, quelles mesures nutritives vas-tu mettre en place pour pallier à l'absence de viande ?
Le fait d'être végétarien, ça a aussi un impact, car c'est un régime plus léger en carbone. Je suis végétarien depuis 13 ou 14 ans et ça ne m'a jamais empêché de faire des performances sur un vélo ou à la voile. Je vais manger du lyophilisé comme les autres et pas mal de fruits secs et noix à coque. Je prends des suppléments de boissons protéinées et un paquet d'huile d'olive. C'est une bonne façon d'augmenter les calories consommées, comme le parmesan lyophilisé et fondu dans un plat de pâtes.
T'es-tu fixé un objectif sur ce Vendée Globe ? Et si c'est le cas, lequel est-il ?
Je pense que tu vas avoir du mal à avoir la vraie réponse de tout le monde... D'un côté on ne veut pas trop se montrer, tout en ayant beaucoup d'admiration pour les navigateurs qui seront en mer.
De un finir, de deux finir avec le mât, qui était manquant sur la première édition, et de trois prendre du plaisir. La dernière édition était vraiment rude, j'ai eu un incendie, plus le démâtage. J'ai envie de profiter de l'expérience cumulée et de la capacité de bien naviguer avec ce bateau qui reste vieux, mais performant. On va construire des bases pour un autre cycle.
Comment te prépares-tu à ce Vendée Globe ?
Sur le plan physique, je fais pas mal de séances en salle de sport. J'ai fabriqué un moulin à café dans mon garage. C'est plutôt efficace et je suis très fier de cet appareil, ça fait travailler les bons muscles, en tenant les sprints et les fractionnés. Je pagaye en kayak, c'est une forme de rotation des épaules et du corps qui ressemble à celle du moulin.
Je travaille avec un coach de performance pour être plus clair avec moi-même : quelles sont mes ambitions, le sens de ma motivation, pourquoi je suis là... Il faut que les choses soient claires et que j'ai un puits de réserve mental et émotionnel une fois en mer.
J'adore être en mer même quand ça souffle fort. Je n'ai pas d'anxiété pour la course en elle-même. Ça a été un projet périlleux pendant 3 ans, avec pas mal de précarité économique dans la phase de montage. C'est très stressant, très prenant... Je portais pas mal de tâches moi-même. J'avais besoin de remise à niveau et de clarté avant le départ.
Sur un projet aussi engageant, arrives-tu à trouver un skipper remplaçant ?
J'aurai pu, mais je n'en ai pas. Les risques que j'ai pris en montant le projet ce sont les miens et je ne me verrais pas confier le bateau à quelqu'un d'autre. C'est souvent le cas pour les projets amateurs.
En février 2024, lors d'une conférence de presse du Vendée Globe, tu annonçais chercher des sponsors ? As-tu aujourd'hui bouclé ton budget ? Quel est son montant ?
Dans le classement des budgets, je suis tout en bas. J'ai floqué le bateau MS Amlin, mais je n'ai pas du tout trouvé les partenaires requis. J'ai dû faire des compromis dans la préparation du bateau et je pars incertain. J'aurais bien aimé trouver d'autres partenaires.
Que penses-tu des engagements de la classe et des mesures mises en place pour réduire l'impact de la classe sur l'environnement ?
Je pense que c'est très bien. On est lancé dans la bonne direction. On devrait s'engager plus de ce côté-là, mais la classe IMOCA reste assez pionnière. C'est facile de critiquer et de se dire que ça ne va pas assez vite, mais c'est une très bonne chose et on va continuer à accélérer.
Après le Vendée Globe, quels seront tes projets ?
En 2016, j'ai demandé aux gens autour de moi, c'est quoi votre Vendée Globe ? Pour moi, ça m'a inspiré de traverser le monde, de me réinventer, d'apprendre une nouvelle langue, de me former à un nouveau milieu... On m'a répondu "pour moi le Vendée Globe, c'est d'être le meilleur papa que je puisse être", "Être le meilleur pianiste possible", "J'ai un projet d'entrepreneuriat que je me vois bien attaquer".
Je manque d'imagination maintenant, mais ce que je souhaite c'est revenir à égalité avec les leaders. Je veux monter un beau projet pour concurrencer les leaders. J'ai gagné mon premier tour du monde en 2011-2012 et j'ai envie d'avoir une chance de gagner à nouveau.