La construction de ReVenge, prototype en carbone léger, représente un triple défi pour Emmanuelle Guillerm : relever un challenge technique, honorer la mémoire de son mentor Hervé Lalanne, et tenter de battre le record de traversée de l'Atlantique à la rame. Entre tests de stabilité et préparation mentale, chaque détail compte avant la grande aventure prévue pour janvier prochain. Dans cette seconde partie, elle nous dévoile les étapes essentielles de cette réalisation.
Quelle technique a été employée pour la construction ?
On parle d'infusion carbone ou de stratification sous vide. Cette méthode consiste à placer un tissu en carbone, puis à l'imprégner de résine. Ensuite, on ajoute un tissu d'arrachage, un plastique perforé et un feutre qui absorbe l'excès de résine. L'avantage de cette technique est qu'elle évite tout excès de résine, garantissant ainsi la légèreté de la pièce. Une fois le feutre en place, on recouvre le tout d'une bâche collée au support, puis on effectue le vide à l'aide d'une pompe. Sous vide, l'excès de résine est évacué, ne laissant que la quantité nécessaire pour structurer la pièce. Entre les soutiens techniques et financiers, et l'encadrement que j'ai réussi à mettre en place, je suis confiante. Il reste malgré tout encore beaucoup de travail avant la traversée.
Quels sont les défis actuels ?
ReVenge est un bateau très léger, en sandwich carbone, il pèse 230 kg à vide alors que des bateaux similaires en bois pèsent 540 kg. Il est donc plus vulnérable aux retournements. Je travaille avec l'ENSTA pour stabiliser le bateau par gros temps. Aux Fêtes maritimes de Brest, quand j'ai parlé de stabilité, plusieurs personnes m'ont proposé de m'aider. J'ai été contactée, et j'ai créé un groupe de travail. On collabore maintenant pour faire la photogrammétrie, de la modélisation et des calculs de stabilité.
L'objectif est de trouver la meilleure solution et nous prévoyons de faire des essais dans un bassin. On va charger le bateau avec les poids qu'il aura pendant la traversée, puis déplacer ces poids pour voir à quel moment il commence à se retourner ou à se remplir d'eau. Nous allons caler les modèles en réel. J'ai d'ailleurs eu quelques difficultés à trouver un bassin car les délais pour ceux d'Ifremer sont compliqués. Je suis en train de voir avec Thales et il y a aussi l'École navale, mais cela implique un coût. L'idée est de ne pas alourdir le bateau avec du lest car cela fait 3 ans que je travaille à optimiser son poids. Il a déjà deux ballasts sous le poste de rame de 50 litres, ce qui permet de balaster à 100 kilos avec de l'eau. L'idée est de lui rajouter des plans porteurs. Nous envisageons d'ajouter ces plans à l'arrière, au niveau des ailes, des dames de nage.
En ce qui concerne ta préparation, comment t'y prends-tu ?
Je participe à des séances pour contrer le mal de mer que je pourrais être susceptible d'avoir pendant la traversée. Je ne suis pas souvent malade en mer, sauf dans des conditions très difficiles comme au-delà de force 7 Beaufort. J'ai donc décidé de suivre un programme de prévention. Cela se passe à l'HIA, l'Hôpital d'Instruction des Armées de Brest, qui dispose d'un service spécialisé pour traiter ce problème. À l'origine destiné aux marins, il est désormais ouvert aux coureurs au large et au grand public. Une plate-forme de désensibilisation y est proposée et elle rencontre beaucoup de succès. On est assis dans un siège avec un casque de réalité virtuelle qui simule des conditions maritimes réalistes. On voit des vagues, des balises, et on doit effectuer des mouvements spécifiques avec la tête pour couper nos repères. Ce qui me gêne le plus, c'est la désynchronisation entre les images et le mouvement du siège, ce qui finit par déclencher chez moi les premiers signes de mal de mer. Heureusement, je ne vomis pas, mais je me sens vraiment mal pendant les 2 heures qui suivent. C'est une expérience que je recommande à ceux qui souffrent du mal de mer.
Bien que j'aie déjà traversé la Manche plusieurs fois et fait une Transgascogne à la voile, cette aventure sera ma première transatlantique. Ce sera une première pour moi. En ce qui concerne les essais sur l'aviron, je me suis principalement entraînée en rade de Brest. Mon équipier, Patrick Favre, a emmené le bateau au large du Portugal, depuis Lagos, pour tester les conditions similaires à celles de l'Atlantique. C'est lors de ce voyage que nous avons réalisé que le bateau manquait de stabilité. Nous avons donc décidé de retourner au chantier pour effectuer des modifications et nous espérons pouvoir refaire des essais prochainement. Le départ est prévu pour janvier, si tout se passe comme prévu bien entendu, autrement il sera retardé. Personnellement, je suis impatiente. Cela fait 3 ans que je travaille sur ce projet et j'ai hâte de prouver qu'Hervé avait raison en voulant construire un bateau en carbone. Ce sera une première mondiale car bien que certains bateaux soient partiellement en carbone, il n'existe encore aucun bateau entièrement en carbone pour une traversée en solo.
Par ailleurs, j'ai une préparatrice qui gère ma préparation mentale. En parallèle, je continue mon travail de biologiste marine au laboratoire Labocéa. J'essaie de tout concilier, ce qui n'est pas toujours facile mais j'ai la chance d'avoir une responsable qui est aussi voileuse et comprend mes engagements. Pour la préparation physique, je manque encore de financements. Je suis en train de chercher des fonds, à la fois pour les nouveaux travaux de stabilité et pour cette fameuse préparation physique, qui est essentielle. En attendant, je me débrouille toute seule. J'avais essayé un moment de faire du rameur en salle mais cela me déprimait un peu, j'avais l'impression d'être un hamster dans une roue. J'ai donc diversifié les sports que j'aimais. Je fais beaucoup de voile par ailleurs. C'est vrai qu'à la base, c'est cela qui me fait vibrer. J'aime être en mer.
Il paraît que tu es experte de la godille ?
C'est vrai ! Mon père avait un petit bateau de pêche et il m'a appris à naviguer dès l'âge de 6 ans. Pour lui, c'était primordial que je maîtrise cela. Il tenait absolument à ce que je sois capable de ramener le bateau à la godille sans problème, un peu comme on apprend à faire du vélo. Aujourd'hui, c'est devenu naturel. J'ai transmis ce savoir à mes enfants qui pratiquent également la voile. C'est aussi pratique en termes de sécurité quand on est en mer. Parfois, les imprévus arrivent : des pannes de moteur, l'absence de vent, mais avec ces compétences, on peut s'en sortir. Parfois, il suffit d'un petit coup de rame pour se débrouiller seul !