Interview / Bilfot : la renaissance d'un trimaran de la série A'Capella, destiné à la Route du Rhum

© Thierry Sani

Bilfot, anciennement connu sous le nom de Friends & Lovers, est l'un des rares survivants de la série des trimarans A'Capella conçus par les architectes Walter Green et Dick Newick. Sauvé de l'état d'épave par Jean-Paul Froc, ce bateau emblématique a retrouvé une seconde vie en 1998.

Après avoir participé à plusieurs transatlantiques sous le nom de Friends & Lovers, Bilfot, l'un des cinq trimarans de la série A'Capella, a bien failli sombrer dans l'oubli avant d'être sauvé par le skipper Jean-Paul Froc en 1998. Une restauration qui symbolise non seulement la persévérance, mais aussi le profond attachement de la communauté nautique à ces trimarans historiques de la course au large.

Dans le précédent reportage, Jean-Paul nous emmenait à Saint-Malo, au cœur des premières éditions de la Route du Rhum pour nous faire revivre sa rencontre marquante avec les légendaires trimarans A'Capella, en particulier avec Friends & Lovers, abandonné à l'époque aux Açores.

Et c'est là que vous intervenez ?

Oui, dans la presse le bateau était à vendre. J'ai contacté le propriétaire, une société commerciale, qui m'a informé qu'il y avait un problème : le bateau était aux Açores, démâté et en épave. Je lui ai dit : "Bon, eh bien, je vais aller le voir." J'ai donc offert un merveilleux voyage à mon amoureuse ! Nous sommes partis et avons découvert le bateau, qui était vraiment une épave. Il était mouillé au milieu du port d'Horta, dans une zone de manœuvre de cargo. Ils étaient en train d'agrandir le port, il y avait des pelleteuses. C'était catastrophique, le bateau était couvert de fientes de goéland, avec de l'eau à l'intérieur.

De retour, j'ai recontacté le propriétaire. Je lui ai proposé de l'acheter à un petit prix, mais en France. Là, ils m'ont dit qu'ils n'avaient pas de solution, qu'ils ne savaient pas quoi faire. J'ai répondu que j'allais voir de mon côté si je trouvais une solution pour le ramener. À cette époque, j'avais un copain qui était affréteur maritime. Je lui en ai parlé. Un mois plus tard, il m'a rappelé, me disant qu'il avait un cargo qui partait de Boston pour Brest. Il avait deux grues et ils étaient prêts à faire un petit détour devant les Açores, mais ils ne pouvaient pas entrer au port. Il fallait donc que je me débrouille pour le reste.

Eh bien, qu'à cela ne tienne, je suis parti avec l'un de mes cousins. Nous avions 50 kilos d'outillage, et avons payé plus cher en poids de surcharge qu'en billets ! Nous sommes arrivés là-bas un lundi, et le cargo était prévu pour arriver le mercredi ou le jeudi. Nous avons commencé à nettoyer un peu le bateau, à le vider, à le mettre à terre, à le mettre à quai. Mais surtout, il fallait redémarrer le moteur pour aller à la rencontre du cargo. En 3 jours, nous avons réussi à tout faire : rendre le bateau à peu près propre et bricoler pour redémarrer le moteur. Et le jeudi, le cargo était là ! Ils ont descendu le crochet, j'avais tout le système de délingage et le bateau a été gruté sur le pont avant d'être calé avec des palettes. Ensuite, on a débarqué parce qu'ils ne voulaient pas de passagers.

Nous, on avait un avion retour le samedi suivant, donc on avait 3 ou 4 jours à tuer. Pendant ce temps-là, le cargo faisait route. C'est ma femme, Dame Ginette et les cousins qui ont récupéré le bateau à Brest. Ils l'ont mis directement à l'eau, sans passer par le quai, sans manutention. Mais il était toujours dans un triste état. On l'a amarré à couple du bateau d'Ifremer. Je connaissais des gens là-bas, donc il était un peu planqué ; personne ne le voyait trop. Je me disais qu'ils ne m'autoriseraient jamais à partir avec ce bateau, vu son état. On est rentrés en avion directement à Brest. De nuit, on a quitté le port, sans rendre de compte à personne. J'ai gréé une voile de fortune avec la bôme, un foc à plat, et on est rentrés comme ça jusqu'à Cancale. Avec moteur et voile, ça l'a fait !

À cette époque-là, j'avais un chantier naval. On a remonté le bateau ici, j'ai commandé un mât, on l'a inspecté et bricolé. On l'a remis à l'eau l'année suivante, en 2000. On a navigué un peu, mais on a vu qu'il était un peu fatigué, il se tortillait dans tous les sens. L'année suivante, en 2001, on a décidé de l'emmener à La Trinité, chez Charlie Capelle, pour tout refaire. On a tout révisé, tout inspecté, et il y est resté presque 5 ans. On a refait les bras, les flotteurs, et on a remonté le pont mais on n'a pas trop touché à la coque centrale. On a dû remettre le bateau à l'eau en 2006, ou à peu près à cette époque-là.

Pouvez-vous nous parler de vos expériences de la Route du Rhum sur ce trimaran ?

Ce n'était pas dans mes projets de faire la Route du Rhum. J'étais en pleine activité professionnelle, j'avais autre chose à penser. Mais en 2006, Charlie Capelle, qui avait récupéré son bateau, a décidé de repartir pour la Route du Rhum. Le 3e jour, il s'est retourné au large du Portugal. Il a pu récupérer son bateau tout de suite grâce à la balise qui émettait et il a su où le trouver. Il l'a remis à l'endroit et est retourné au chantier pour recommencer les travaux.

En 2010, on s'est inscrits tous les deux, avec l'Acapella et le Friends & Lovers. J'ai refait la Route du Rhum en 2014.

En 2018, c'est mon neveu, François Corre, qui a pris le bateau. La première Route du Rhum a été un peu difficile car je n'avais pas d'expérience de transat en solitaire. Et puis, le bateau n'était pas encore au top, j'avais quelques soucis. En 2011, on a ramené le bateau par la mer et on l'a remonté directement à La Trinité chez Charlie Capelle, où, pendant deux ans, on a refait les travaux pour l'améliorer. Les flotteurs et les bras étaient en bon état mais la coque centrale était un peu fatiguée. Alors on a tout refait, encore une fois.

Naviguer sur un bateau historique pendant la Route du Rhum, c'est une grande fierté après tant d'aventures et d'histoires. La Route du Rhum, c'est toujours un peu compliqué, surtout la première semaine. Il faut gérer le départ, sortir de la Manche, traverser le golfe de Gascogne. La première semaine est difficile, on est plutôt en mode survie. Mais à partir de la latitude de Lisbonne ou de Madère, il fait chaud, on enlève les pulls et les cirés. Quand tout va bien, on trouve les alizés et naviguer au portant, c'est quand même assez plaisant ! Même s'il y a parfois de gros grains d'orage dangereux, ce n'est vraiment que du bonheur.

Ces bateaux, même s'ils ont parfois tendance à se retourner, restent assez sécurisants. Il ne faut pas faire n'importe quoi, mais on peut en profiter, dormir, se reposer. C'est quand même agréable.

Aujourd'hui, le bateau est labellisé "Bateau d'intérêt patrimonial" par l'association de Gérard d'Aboville. Il a été admis en commission assez tôt, dans la 2e série de bateaux. Cette commission étudie le patrimoine et le parcours des différents bateaux. C'est plus symbolique qu'autre chose disons.

Aujourd'hui, on continue à naviguer régulièrement dessus. La semaine dernière, par exemple, on était partis pour aller aux Scilly, et finalement on a fait une tournée des îles anglo-normandes : Guernesey, Sark, Bréhat, Jersey... Aucune transat n'est prévue pour le moment. Avant, on pouvait faire la Route du Rhum en amateur avec un petit budget. Aujourd'hui, ce n'est plus possible, c'est réservé aux professionnels et les organisateurs sont avant tout des financiers.

Plus d'articles sur le thème
Réagir à cet article
Ajouter un commentaire...