À la fin des années 1970, la course au large connaît une révolution avec l'arrivée des trimarans A'Capella, conçus par les architectes américains Dick Newick et Walter Greene. Ces bateaux, parmi les plus rapides de leur époque, marquent un tournant dans l'histoire de la voile en battant les monocoques.
Le plus célèbre d'entre eux, Olympus Photo, skippé par Mike Birch, remporte la 1ère édition de la Route du Rhum en 1978, inscrivant à jamais son nom dans les annales des épreuves transocéaniques. D'une série de 5 trimarans, Friends & Lovers sera le 2e modèle construit. Rebaptisé Bilfot après sa restauration en 1998 par le skipper Jean-Paul Froc, le petit trimaran jaune navigue toujours. Pour nous, son propriétaire revient sur l'histoire de cette série de trimarans mythiques et sur sa rencontre avec Friends & Lovers.
En quoi la construction bois-époxy, qui est une innovation à l'époque, a joué un rôle important dans la performance des trimarans A'Capella construits par Newick et Green ?
Je pense que la construction bois-époxy doit dater des années 70. Elle a été mise en œuvre par les Américains lorsqu'ils ont commencé à construire des petits trimarans de 9-10 m qui s'appelaient des Val 31, dessinés par Dick Newick. Il y en a eu 7 ou 8 de fabriqués et ils se sont très bien comportés dans différentes régates, même si il y a eu quelques accidents dramatiques.
Quand Michel Etevenon a décidé de créer la Route du Rhum, ils ont alors interdit ces petits bateaux, jugés trop dangereux. Leur taille a été limitée à 11 mètres minimum. C'est pour ça que Walter Green et Dick Newick ont dessiné une série de trimarans un peu plus long, les A'Capella. Ils ont fait Olympus, qui était à la base le bateau de Walter Green et de Johan Green, sa femme, elle-même très active dans la construction, et la navigation. Ils ont amené le bateau en France et ont participé au tour de l'île de Wight en Angleterre.
Après leur saison de régate en Europe, il a fallu ramener le bateau. Ils ont donc demandé à Mike Birch, un skipper qu'ils connaissaient, de ramener Olympus aux États-Unis. C'est là que Walter lui a parlé d'une nouvelle course, la Route du Rhum, qui déroulait en solitaire de Saint-Malo à Pointe-à-Pitre. Mike a pris le bateau ; ils ont trouvé un petit sponsoring et c'est ainsi qu'il s'est engagé sur la Route du Rhum avec la victoire à la clé sur cette première édition en 1978.
Est-ce qu'il y avait des différences entre l'Olympus de Mike Birch et le Bilfot, anciennement baptisé Friends & Lovers ?
Fort du succès de l'Olympus, ils ont décidé de construire d'autres A'Capella. Il y en a eu 5 au total. Le deuxième était Friends & Lovers, skippé par Phil Stegall, un navigateur Américain qui voulait faire l'Ostar, la Transat Anglaise en solitaire entre Plymouth et Newport.
Il y avait donc eu quelques modifications, en particulier sur le gréement qui était plus élancé. Il a été convoyé en France, à Cherbourg, puis a pris le départ de la Transat Anglaise et il a terminé 3e en temps réel et 1er dans sa catégorie. Voilà pour le numéro 2.
Quant au numéro 3, il s'appelait Acapella. Entre-temps, Olympus Photo a disparu, il a été vendu à un skipper français et s'est retourné au large d'Auray. Et puis Walter n'avait plus de bateau ; ils ont donc reconstruit le 4e avec sa femme. Il s'appelait Friends. Enfin il y a eu un dernier trimaran de cette série, un peu plus tard, qui lui est resté aux États-Unis et a fait très peu de grosses régates.
Et vous, comment avez-vous fait la rencontre du trimaran Friends & Lovers ?
À cette époque-là, j'avais 24 ans, je naviguais déjà, mais sur des monocoques : des bateaux longs, lourds, étroits. Je ne connaissais que ça. En 1978, j'étais venu voir les bateaux qui étaient dans le bassin de Saint-Malo, au départ de la Route du Rhum. J'étais complètement ébloui par les multis, sans bien comprendre. Pour moi, un bateau, c'était une coque, point barre.
Et là, il y avait des monstres. Tous les grands noms de la voile étaient présent : Riguidel, Kersauson, Pajot... Dans le bassin Vauban, sous les remparts, il y avait un petit bateau jaune. Je me suis dit : "Ce n'est pas possible, il ne va pas traverser l'Atlantique avec ça, c'est trop petit ! Il ne dépassera jamais le Cap Fréhel avec son bateau". Il était marrant, ce bateau. Je disais, c'est un vilain petit canard jaune ! Il n'était pas vraiment beau, mais il était attachant.
À cette époque-là, il n'y avait pas vraiment d'Internet. J'ai quand même suivi sur les médias la performance du petit bateau jaune sur la Route du Rhum 78. Avec la disparition dramatique d'Alain Colas sur Manureva. Et puis l'arrivée d'Olympus qui coiffe sur le poteau Malinovsky et son grand monocoque de 24 mètres.
Je ne m'en suis jamais remis. Par la suite, j'ai regardé, j'ai essayé de suivre dans les revues nautiques les performances du bateau. J'ai suivi la Transat Anglaise de Phil Stegall avec Friends & Lovers. Et puis j'ai été spectateur de toutes les Routes du Rhum jusqu'en 98. J'ai suivi les aventures de mon camarade Charlie Capelle qui a récupéré aussi un Acapella, le numéro 3. En 98, j'étais sur le quai devant le bateau de Charlie qui était une pure merveille, un chef-d'œuvre. Une sorte de violon Stradivarius. C'était extraordinaire ; il y avait mis tout son cœur.
Et puis il y avait le Friends & Lovers qui était là, moins reluisant, mais bien présent. Pierre Antoine était le skipper.
Les deux bateaux côte à côte, il n'y avait pas de comparaison. Sur cette transat en 98, les deux bateaux sont bien arrivés, en 22 ou 23 jours. Comme d'habitude, c'est le tarif A'Capella. Difficile de faire moins. Ça s'est gâté un peu pour eux par la suite : sur le convoyage retour, Charlie s'est mis sur le toit et le bateau a été abandonné au large de Terre-Neuve. Charlie n'était pas à bord, mais les deux skippers-convoyeurs ont été sauvés, récupérés, et hélitreuillés. Quant au Friends & Lovers, il a démâté et les convoyeurs l'ont abandonné aux Açores.