À 2 mois du Vendée Globe 2024, Éric Guérin, chef renommé de La Mare aux Oiseaux, se lance dans une aventure culinaire que l'on pourrait qualifier de ''gastronautique''. Connu pour ses créations étoilées, Guérin doit adapter sa haute gastronomie aux contraintes sévères des conditions en mer. Le défi ? Créer des repas savoureux et nutritifs qui restent délicieux après l'appertisation, afin d'accompagner les skippers dans cette course extrême. En alliant innovation technique et créativité, il espère offrir aux marins un soutien gastronomique essentiel pour maintenir leur endurance et leur moral tout au long de l'épreuve. Rencontre avec ce chef gourmet des océans.
Comment vous est venue l'idée de préparer des repas pour des skippers engagés dans la course au large ?
Pendant le deuxième confinement, je me suis confiné sur un catamaran en Guadeloupe avec un ami qui venait de s'engager pour la transat en double. Bon vivant et non professionnel, je me suis inquiété de ses repas à bord pendant la course et j'ai émis l'idée du challenge de lui préparer de bons petits plats en suivant un petit synopsis de voyage.
À notre retour, j'en ai parlé avec mon assistant Benjamin Larue, passionné de sport, et nous avons commencé à faire des essais. Ce premier pas a séduit le skipper Fabien Delahaye, qui nous a tout de suite fait confiance, et le milieu des skippers professionnels a fait le reste grâce au bouche-à-oreille.
Vous avez déjà accompagné des skippers lors de courses précédentes, parlez-nous de ces expériences. Les retours des skippers ont-ils conduit à des innovations ou des changements significatifs dans votre approche culinaire ?
Chaque expérience nous permet d'avancer, chaque retour d'un skipper est synonyme d'évolution.
Nous construisons nos menus avec eux, sur le choix des plats, comme Yoann Richomme qui nous a demandé pour le Vendée Globe de travailler sur une tartiflette ou encore sur un foie gras. Chaque personnalité a des envies ou des besoins différents et nous nous devons de les prendre en compte si nous voulons faire du repas un moment de plaisir, mais aussi une véritable source d'énergie.
Certains veulent plus ou moins de sauce, ou un poids différent, du sucré ou que du salé ; la taille des découpes est aussi différente, et nous pouvons aussi avoir des demandes de végétariens. Nous faisons du sur-mesure.
Pour Yoann, nous lui préparons tous ses repas pour le Vendée Globe. Dernièrement, nous avons accompagné Charles Caudrelier pour le tour du monde en Ultim. C'est un honneur, mais aussi un engagement de notre part. Nous suivons les courses et quand nos skippers gagnent en plus, ce n'est que du plaisir.
En 2024, quels skippers bénéficieront de votre accompagnement culinaire durant le Vendée Globe ?
Nous accompagnerons plusieurs skippers durant le Vendée Globe : Yoann Richomme sur Paprec Arkea, Charlie Dalin sur Macif Santé Prévoyance, Violette Dorange sur Devenir, Isabelle Joschke sur MACSF, Justine Mettraux sur Teamwork - Team Snef, Benjamin Ferré sur Monnoyeur Duo for Job, et Nicolas Lunven sur Holcim PRB.
Le poids est un facteur crucial en course. Quelles solutions avez-vous trouvées pour créer des repas à la fois légers et complets, tout en respectant les contraintes de poids imposées sur les bateaux ?
Quand le poids est une contrainte, les skippers varient entre nos repas et du lyophilisé, mais de plus en plus, ils préfèrent faire le choix de bien se nourrir avec des produits sains et bien cuisinés, qui leur apportent la sécurité d'une bonne énergie et font le choix de conserver un maximum de nourriture.
En tenant compte de l'absence de frigo et des variations de température durant la course, comment avez-vous adapté vos recettes pour qu'elles se conservent bien et restent savoureuses jusqu'à la fin du Vendée Globe ?
Nous avons beaucoup fait évoluer la technique et acheté un autoclave afin d'appertiser nous-mêmes nos préparations qui en moyenne se conservent jusqu'à 2 ans à température ambiante. Le gros du travail s'est fait pour conserver les textures et les saveurs avec cette méthode ; nous avons fait beaucoup d'essais différents.
Envisagez-vous d'inclure des repas spéciaux ou festifs à des moments clés de la course ?
Oui, nous avons en général des plats bien-être qui apportent l'énergie du cœur, un genre de madeleine de Proust. Soit c'est un souhait d'un marin pour tel ou tel produit, soit nous leur préparons des plats plus exceptionnels comme le foie gras de Yoann, le pigeon aux petits pois ou encore le homard de nos côtes.
Quels sont les défis logistiques liés à la préparation, la conservation et le transport des repas jusqu'à bord des bateaux ? Où et quand ces repas seront-ils préparés, et comment seront-ils expédiés pour garantir leur qualité ?
Le défi reste humain et nous offrons le contact humain pour faire la différence. Mon assistant Benjamin produit lui-même dans un atelier à part et moi je lui fournis toutes les sauces. Pour le service, c'est Benjamin qui livre sur place, et qui prend en direct les retours ou les demandes. Nous recevons de plus en plus les équipes et les sponsors à la Mare aux Oiseaux pour tester les nouveaux plats, mais aussi pour les rendez-vous de communication. Je vais aussi une à deux fois par an sur les bateaux de course pour voir et goûter les plats en action réelle.