Interview / Le projet Saga : une histoire d'évasion et de valeurs transmises à travers les mers du Pacifique

© Saga-tahiti

Depuis 1993, grâce à l'École de voile de Arue, des centaines de jeunes Polynésiens sont accueillis à Tahiti ou dans les îles de la Société pour un séjour autour de la voile et autres activités nautiques. Le fondateur de la Saga et responsable de l'École de voile d'Arue, Henri Cornette de Saint-Cyr, alias Doudou, revient sur l'initiative de l'association.

En 1993, Henri Cornette de Saint-Cyr, surnommé Doudou, se laisse emporter par un sentiment particulier à Tahiti qui le pousse à l'aventure. Naît l'idée de la Saga, accueillant des centaines de jeunes polynésiens à travers les îles de la Société pour des séjours dédiés à la voile et aux activités nautiques. Depuis ses modestes débuts à l'École de voile d'Arue, ce programme est devenu un véritable catalyseur d'apprentissage, d'épanouissement et de découverte pour les enfants de toute la Polynésie et au-delà. Au travers du témoignage de Doudou, retournons sur une aventure qui, d'un simple rêve, a transformé la vie de milliers d'enfants et façonné leur connexion avec la mer et le patrimoine culturel polynésien.

Pouvez-vous nous raconter comment est née l'idée de la Saga en 1993 et comment elle a évolué depuis ses débuts ?

Une aventure commence toujours par un "fiu", comme on dit à Tahiti. Alors, quand il se manifeste, il faut vite passer à autre chose, chercher en soi ses rêves d'enfant et puiser dans son imagination pour y trouver ce petit quelque chose qui pince le cœur et fait vibrer. Là, l'aventure peut, peut-être, commencer. C'est ainsi, sans doute, que l'on devient intelligent, ou en tout cas créatif, et que le goût des choses et de la vie revient vite.

Un petit bout d'histoire commence déjà dans les années 90 ; la petite routine de l'École de voile d'Arue allait bon train. Comme tout système, le programme était planifié, les grandes vacances bien remplies par des stages, mais une action rigolote et originale qui avait notre préférence nous propulsaient sur l'île de Moorea avec de jeunes enfants de 10 à 12 ans, les « non sélectionnés » des déplacements nationaux ou internationaux de la saison.

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Le programme était simple : faire le tour de l'île par étapes sur une semaine en Optimist. Nous passions avec armes, bagages, enfants et parents sur le ferry pour une petite semaine. Chaque journée apportait son lot de gags, et nous nous amusions beaucoup. Le soir, c'était l'occasion de nous raconter et d'amplifier, bien sûr, les événements. Entre les pannes de moteur du bateau de sécurité, les batteries à plat sur la voiture de liaison, ou encore la roue de remorque qui nous doublait sur la route, les occasions de rire ne manquaient pas. Les enfants s'amusaient également beaucoup ; chaque étape s'achevait sur une plage d'hôtel et, pour mériter leur goûter, il y avait l'incontournable ballet nautique, une sorte de copie des ballets aquatiques, très technique, demandant beaucoup de cohésion et de maîtrise. De plus, il y avait les promenades de touristes en Optimist pour compléter le tout. Une petite coque de noix de 35 kilos, tout juste capable de supporter un enfant de 50 kilos, devant absorber une Américaine de forte stature : fatalement l'événement ne passait pas inaperçu. Les dessalages non plus, à la grande joie de la plage entière.

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Le temps a passé, et en 1993, le virus de l'évasion s'est de nouveau manifesté, avec plus de virulence encore. Sans doute une forme rare d'allergie du quotidien, se manifestant par un besoin d'air pur qu'on ne trouve qu'au grand large… mais aussi aux Tuamotu. Ainsi, l'idée de s'exporter dans les eaux claires de Rangiroa pouvait s'imaginer concrètement. Le hasard (pour ceux qui y croient) faisant bien les choses, me guida vers mon ami Grégoire, instituteur à Avatoru à Rangiroa, qui s'est emballé pour le projet en posant très vite des solutions pour l'hébergement des enfants et de la petite équipe d'animation. L'acheminement du matériel pouvait être assuré par le Dumont d'Urville, bâtiment de la Marine Nationale. Il ne restait qu'à trouver le financement…

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31 ans plus tard, la Saga a parcouru un chemin extraordinaire à travers les îles de la Polynésie française. Débutant à Rangiroa en 1993, elle a exploré Tahaa, Bora Bora, Tikehau, Raiatea, Moorea, Huahine, Makemo, Maupiti, et divers autres sites jusqu'à Tahiti idylliques. Malgré les obstacles comme ceux posés par la pandémie en 2020 et 2021, la Saga a continué de prospérer. Au total, 20 994 enfants provenant de tous les archipels de la Polynésie (Îles du Vent, Îles Sous-le-Vent, Marquises, Gambiers, Tuamotus, Australes) ainsi que des enfants de l'île de Pâques, de Hawaï, des Samoa et même deux enfants tibétains qui, évidemment, n'avaient jamais vu la mer ont participé à cette aventure. De plus, 1 240 familles d'accueil sur l'ensemble des îles visitées par la Saga depuis la 31e édition ont contribué à rendre ce projet possible.

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Comment l'École de voile d'Arue s'engage-t-elle auprès des jeunes ?

Accueillir et transmettre notre savoir-faire au plus grand nombre, sans distinction, et communiquer notre passion, c'est l'essence même de ce que nous faisons. Nous nous efforçons d'innover dans nos activités et nos pratiques, en créant de nouvelles possibilités et en répondant à la demande dans le respect de nos valeurs. Nous croyons fermement en l'importance de participer au développement des liens et à l'épanouissement des générations futures. C'est ainsi que nous pouvons faire une véritable différence et inspirer les autres à faire de même.

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Quelles valeurs souhaitez-vous inculquer aux enfants à travers les activités nautiques et autres programmes de la Saga ?

Tout d'abord, l'engagement et la passion sont au cœur de notre démarche. Nous voulons que chaque enfant ressente cet enthousiasme et cette dévotion dans tout ce qu'ils entreprennent. Ensuite, l'esprit d'équipage est fondamental. Apprendre à travailler ensemble, à se soutenir mutuellement est crucial, non seulement en navigation, mais dans la vie en général.

Le respect des univers de chacun est également une valeur clé. Nous insistons sur l'importance de comprendre et d'apprécier les différences, et de respecter les expériences et les perspectives de chacun. Le plaisir de transmettre est une autre valeur que nous chérissons. Nous croyons fermement que le partage de connaissances et d'expériences enrichit à la fois le mentor et l'élève.

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Par ailleurs, le dépassement de soi est une valeur que nous encourageons fortement. Nous incitons les enfants à se pousser au-delà de leurs limites, à surmonter les défis et à découvrir de quoi ils sont vraiment capables. Enfin, le droit à l'erreur est crucial. Nous voulons que les enfants comprennent que faire des erreurs fait partie du processus d'apprentissage et qu'il est acceptable de se tromper tant que l'on apprend de celles-ci. C'est ainsi que nous les aidons à grandir avec confiance et résilience.

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Pouvez-vous partager un exemple des défis logistiques que vous avez rencontré juste avant le début de l'une des éditions de la Saga ?

Quel périple ! C'est toujours le parcours du combattant, mais le combattant résiste ! Voilà, on y est presque, J-1, juste avant l'arrivée des enfants. Il reste encore une liste impressionnante de mille petits détails (parfois même des gros) à régler, un peu comme avant une grande course au large où l'on embarquerait des cartons et des cartons avec la peur d'en oublier, alors que les premiers voiliers quittent déjà le quai. Donc nous y voilà :

  • Le transport du matériel, c'est OK ! La famille Degage nous apporte son soutien et sa logistique. Le transport des équipements et des enfants sera gratuit sur les bateaux Aemiti, un gros soulagement, ouf ! Merci !

  • Air Tahiti, comme chaque année sera au rendez-vous pour transporter tous les petits chéris des îles lointaines en nous octroyant des tarifs "saga". Le téléphone, ouf, c'est bon, on a pu récupérer un poste, mais les ordinateurs refusent de se mettre en réseau. En attendant, ce sont les clés USB qui travaillent.

  • L'Internet, il faudra encore attendre la semaine prochaine : c'est de ma faute, croyant utiliser le réseau existant, je n'ai pas fait de demande.

  • La plage : ouf aussi ! L'équipe est presque au complet, et à quelques heures de l'arrivée des enfants, on peut enfin retirer les arbres morts et troncs de cocotiers victimes des caprices de la météo, et c'est en catastrophe qu'on a dû déplacer tout le parking à bateau tout fraîchement installé, passage des camions et autre case obligent !

  • Les cadenas ! On allait les oublier pour les toilettes (c'est important) !

  • Le carton des sacs plastiques pour les poubelles, bien sûr, caché parmi les 250 autres mis un peu en vrac à l'arrivée faute de temps, car il fallait reprendre dans la demi-heure la navette du retour !

  • Les autocollants des partenaires : Vini, OPT, Air Tahiti, Socredo, Fenua Ma, CMA CGM, Aremiti et tous ceux que l'on attend.

  • Notre ami suisse ! À récupérer en catastrophe sur le Ferry : il a raté le bateau du matin. Punition oblige, il a dû conduire le vieux Trafic en principe réservé aux initiés ayant eu 10 sagas à leur actif… mais le test a été satisfaisant, sauf qu'il a beaucoup transpiré.

Entre-temps, le portable a bien dû sonner 15 fois dans la demi-heure ! Là, on se rend compte de notre petitesse, et toutes les années d'expérience de saga font pâle figure… Le monde d'aujourd'hui est décidément bien cruel !

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Comment décririez-vous l'ambiance et les premiers moments avec les enfants, et quelles sont les activités phares qui marquent le début de cette aventure pour eux ?

Jour J, c'est bon ! Les enfants sont là, presque au grand complet (il y a toujours des retardataires) et toute l'équipe d'animateurs découvre enfin nos petits chéris. Nous sommes aussi un peu intimidés et émus par tous ces regards d'enfants curieux et attentifs, déjà enthousiastes. À présent, il faut vite sortir le grand jeu ! Anietha se dévoile à la surprise de tous : en fait, elle avait bien préparé son coup en entamant un chant polynésien d'accueil que tous les enfants reprennent en chœur. Puis vient le temps des consignes, de la répartition de chacun dans les groupes pour se jeter au plus vite à l'eau, sans oublier… les bateaux. Il fait un temps magnifique ! On ne pouvait rêver mieux !

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Très vite, les activités s'enchaînent : le kayak génère rapidement des files d'attente, la baignade fait monter l'eau du lagon, l'atelier dessin use déjà les crayons, la construction de radeaux, de haies, de poubelles, avec de la ficelle et du bois histoire de faire des nœuds… marins si possible, provoque des ampoules. Enfin, tout un programme pour bien remplir les journées. Le soir s'annonce vite, le retour est géré par Ahutua. Les enfants ont hâte de retrouver leur famille d'accueil, de raconter leurs aventures et aussi de se glisser dans les draps : la journée a été longue. Le dimanche, nous invitons nos familles d'accueil, c'est la fête avec un maa Tahiti (repas tahitien), des danses et des balades en mer. Tout un programme auquel tout le monde participe avec beaucoup d'entrain et de partage.

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Enfin, le dernier jour : régate le matin par petit temps, le vent tarde à se lever et puis finalement, 10 nœuds de vent suffisent à boucler cette première expérience. Et dans la foulée, le Koh-Lanta de la Saga clôture le bal : courir, sauter, nager, chercher, créer, s'entraider, c'est intense, drôle et parfait pour conclure cette première semaine avant un départ que l'on sait toujours difficile.

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Il a suffi de peu de jours pour s'attacher, s'apprécier et tisser des liens entre nous tous. Ces enfants nous ont comblés à leur manière avec leurs sourires espiègles et leurs petits regards complices. Nous sommes tous conscients d'avoir vécu des moments très forts et espérons avoir apporté à tous ces enfants un peu de lumière dans leur vie pour qu'ils puissent l'utiliser dans les jours sombres.

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