Interview / Charlie Dalin : "S'il y a bien une course où ne peut pas prévoir une victoire, c'est bien le Vendée"

© MartinViezzer-disobey-Macif

Charlie Dalin est de retour sur une seconde campagne de Vendée Globe, pour l'édition 2024, aux commandes d'un nouvel IMOCA, Macif Santé Prévoyance. Il évoque les progrès significatifs de son nouveau bateau par rapport à l'ancien Apivia et la manière dont il aborde ce nouveau tour du monde après avoir été absent de plusieurs courses pour raisons médicales.

Aux mains de ton nouveau bateau depuis l'été 2023, quelles analyses et comparaisons peux-tu en retirer ? Notamment par rapport à l'ancien Apivia ?

On est content. On a vraiment progressé sur les éléments que l'on souhaitait, notamment au portant VMG. Le bateau plante moins, il y a moins d'eau sur le pont. C'est clairement un gros gain par rapport à Apivia. En ergonomie aussi, on a beaucoup progressé. Apivia était bien, mais pas parfait. Pendant le Vendée Globe 2020, je me suis rendu compte qu'il y a avait des choses pas très pratiques. Ma cuisine n'était que d'un seul côté. Quand j'étais à l'intérieur en tribord amure, je faisais le tour du bateau pour atteindre mon réchaud. Après je revenais avec mon lyophilisé dans l'autre sens... C'était beaucoup de déplacements un peu longs.

Quand je faisais une manœuvre, un virement de bord ou un empannage, comme je n'avais pas de poste de navigation fixe, il fallait que je déplace mon pouf, que je fasse tourner ma table à carte... En plus du matossage, de la manœuvre, il fallait que je déménage l'espace de vie. Ce n'était pas pratique. Ça me faisait dépenser de l'énergie et du temps en plus.

Sur le nouveau bateau, avec la zone de vie arrière très compacte, quand je suis à la table à carte, j'ai mon réchaud juste à côté donc je peux faire à manger sans bouger. À 50 cm vers la droite, j'ai ma banette pour dormir. Je n'intervertis pas les positions. C'est toujours la table à carte à bâbord et la banette à tribord.

Le cockpit est à 1 m vers l'avant et il a beaucoup progressé en ergonomie. La fermeture du cockpit d'Apivia n'était pas super étanche. Fermé, ça faisait un effet serre. Quand je naviguais dans les zones chaudes, je devais faire le choix de naviguer soit mouillé par les embruns soit de transpirer. On a fait un système qui permet d'aérer le cockpit. Même quand c'est complètement fermé, j'ai une aération assez efficace. On a rajouté du franc-bord devant pour avoir un peu plus de garde à la mer. Pour les manœuvres, c'est un peu plus safe.

Tous ces choix résultent de ton premier Vendée Globe ?

Oui, du premier cycle de 4 ans. L'objectif c'était de réinjecter toute l'expérience de ce premier cycle dans ce nouveau bateau.

L'IMOCA Macif Santé Prévoyance © GuillaumeGatefait-disobey-Macif
L'IMOCA Macif Santé Prévoyance © GuillaumeGatefait-disobey-Macif

Tu n'as participé qu'à une seule course pour raisons médicales, où en es-tu de la prise en main ?

On aurait aimé faire ces deux courses, parce qu'on manque de données comparatives par rapport aux autres. On a un peu moins de milles aussi, même si on a fait 5 000 milles en 2023, ce n'est pas rien non plus. J'ai pleinement confiance en la capacité de l'équipe à ce qu'on arrive à avoir un bateau parfaitement fiable au départ du Vendée. On ne part pas de zéro. On part d'Apivia, donc il y a pas mal de systèmes qui sont inspirés de ce que l'on avait sur l'ancien. Le bateau a tout de suite été à un niveau de fiabilité important. On n'aurait pas pu gagner le Fastnet avec seulement 5 jours de nav', si le bateau n'avait pas été bien.

C'est sûr que l'on a peu d'inconnues par rapport à la concurrence. J'ai re-navigué début décembre. On a profité d'être en France pour faire des petites modifications sur le bateau, des choses que l'on n'aurait pas pu tester si on avait fait les deux transats. On essaie de trouver du positif dans tout ça. Ça nous a permis d'affiner des choix pour notre chantier d'hiver. On met aussi à l'eau le bateau avec une nouvelle paire de foils. C'était prévu depuis le début. Si on fait cette nouvelle paire, c'est pour avoir une paire de spare au départ du Vendée, car c'est très long à fabriquer. Quitte à refaire une nouvelle paire, on essaie de l'améliorer et d'apporter quelques modifications sur des détails. On fait partie des bateaux que l'on met à l'eau avec leurs foils neufs avant les transats, d'autres le font après.

Quid de la qualification ? Vous êtes encore plusieurs à ne pas avoir obtenu le fameux sésame, comment ça va se passer ?

C'est une autre embûche. Le bateau est qualifié comme bateau neuf, par contre je dois me qualifier en respectant la règle suivante : terminer au moins une des deux courses à 150 % du temps du premier. C'est un peu nouveau pour moi. Je n'ai jamais trop navigué comme ça. Malgré tout il va falloir que j'assure le coup. Je ne sais pas trop comment je vais aborder ça. C'est facile à dire maintenant, mais quand je serai bord à bord avec les autres, ça ne sera pas forcément facile d'y aller cool. Ce n'est pas ma manière de faire. J'appréhende un peu cet aspect. L'objectif c'est de lever ce point sur The Transat et de pouvoir accélérer sur le retour.

Charlie Dalin © MartinViezzer-disobey-Macif
Charlie Dalin © MartinViezzer-disobey-Macif

Ce sera ton second Vendée Globe, comment te sens-tu par rapport à la première fois ? Hormis la compétition, les objectifs sont-ils les mêmes que la première fois ? Pars-tu dans le même état d'esprit ?

L'objectif du premier, c'était de le remporter et ce n'est pas passé loin avec les raisons que l'on connaît... Je l'aborde bien. Je suis content d'y retourner, de retrouver les mers du sud avec ce bateau amélioré. J'ai un peu démystifié ce qu'est le sud pour moi, et d'être si longtemps en mer. J'avais essayé de me construire une expérience par procuration pour la première fois. J'avais demandé des conseils à François Gabart, à Armel le Cléac'h, à Michel Desjoyeaux. Ils m'avaient tous donné leurs conseils, c'était bien. Je suis arrivé quand même préparé. Aujourd'hui je sais ce que c'est, ce qui se passe, quelles sont les difficultés. Je l'aborde de manière un peu plus sereine, notamment sur ce tronçon Indien - Pacifique. Je vais être un peu moins stressé à l'approche de cette partie qui est un gros morceau du Vendée.

Tu es arrivé premier sur le dernier Vendée Globe mais finalement classé à la seconde place au général, l'objectif cette fois-ci c'est de gagner ?

Oui c'est l'objectif, mais il faut rester humble. S'il y a bien une course où l'on ne peut pas prévoir une victoire, c'est bien le Vendée. Il se passe toujours un tas de choses, il y a des aléas, tout le monde a des problèmes. Je espère ne pas avoir un problème trop handicapant ou pire, qui m'oblige à abandonner. L'objectif est de faire en sorte d'être dans la position de pouvoir le remporter en arrivant dans le port des Sables trois semaines avant le 10 novembre. Puis la course se déroulera comme elle se déroulera. Il faut vraiment aller sur le Vendée Globe avec humilité même si je vais tout faire pour aller chercher ça. C'est une course trop particulière et trop longue...

Quels enseignements as-tu tirés de tes expériences en équipage sur The Ocean Race ?

Ça m'a apporté une habitude de naviguer à très haute vitesse tout le temps. Ça rentre assez rapidement dans la norme. À des moments, on faisait presque 30 noeuds de moyenne sur une heure. Ça allait très, très vite. On s'habitue. L'équipage, c'est assez différent comme exercice. En solitaire, tu es assez rapidement en gestion en termes de fatigue. L'exercice du solitaire fait que tu es toujours à la limite. Tu as du mal à te réinventer, à trouver de nouvelles façons de régler, parce que tu es tellement fatigué. Tu règles le bateau comme tu l'as appris, et de temps en temps tu trouves des petits trucs, mais c'est long.

En équipage, tu dors tes 4 heures. Tu arrives sur le pont, tu as mangé, tu es en forme et tu as toute la tête à la performance du bateau. En plus, à quatre pour manœuvrer c'est plus facile, donc plus rapide. C'était assez agréable de naviguer longtemps en pleine forme et d'avoir une meilleure clarté d'esprit dans l'appréhension des sensations du bateau, de voir la manière dont il se comporte, ce que l'on peut faire pour l'améliorer. Tu n'es pas avec cette fatigue latente, dont tu n'arrives jamais à te débarrasser en solitaire. Tu es à 100 % de tes capacités mentales et physiques, et tu arrives à réfléchir clairement. Tu n'as pas non plus la navigation, ni la stratégie, ni les réparations à gérer... Chacun a son rôle, même les médias. La charge mentale est beaucoup plus réduite, et tu peux te concentrer sur la performance. J'avais trouvé ça vraiment intéressant. Ton temps de cerveau, tu le mets à 100 % sur comment bien régler le bateau, les améliorations à apporter pour que ça accélère encore.

L'IMOCA Charlie Dalin © Guillaume Gatefait-disobey-Macif
L'IMOCA Charlie Dalin © Guillaume Gatefait-disobey-Macif

Comment envisages-tu la sécurité sur un tour du monde après ton trauma crânien sur la Volvo et celui connu par d'autres marins ?

Ce bateau (NDLR : ex-11th Hour Racing Team) en a fait deux, c'est sur celui-ci que Seb Simon s'est blessé aussi. Je commençais déjà à me casquer avant sur Apivia. J'ai oublié mon casque en partant à Newport, et je n'en ai pas trouvé sur place. À l'époque, je mettais des casques de rugby. Je me suis rendu compte que ce n'était pas suffisant, et je suis passé sur un peu mieux. C'est sûr que c'est un aspect important. Si ce qui m'est arrivé sur The Ocean Race m'était arrivé en solo, ça n'aurait pas été la même chose. Je n'aurai pas su quoi dire au médecin, je n'aurais pas su comment réagir.

Sur Apivia, j'ai fait quelques vols planés. Ça s'est toujours bien terminé. Je ne me suis jamais blessé sur le bateau. Les casques font partie de ma routine depuis Apivia. J'ai consolidé ces routines depuis que je suis sur Macif. On continue à travailler pour que la sécurité sur le bateau soit optimum.

Les dispositifs de sécurité ont toujours un train de retard. C'est comme dans l'automobile. C'est après les accidents qu'ont été installés les airbags, les ceintures... La sécurité dans les moyens de transport est souvent liée à des problèmes passés. Il faut essayer d'anticiper au maximum, mais ce n'est pas facile.

Tu partages l'écurie avec l'Ultim de Tom Laperche, y a-t-il des passerelles entre Ultim et IMOCA ?

Oui, complètement. On a des systèmes de gestion de traitement de données en commun. En termes de structure, il y a quelques personnes transverses sur la partie composite, au niveau des électroniciens. Je devais faire partie de la cellule de routage de Tom, mais il est rentré au Cap avant que je rejoigne Jean-Yves Bernot à La Rochelle. Je pense l'inviter à naviguer sur le bateau s'il est dispo.

Ça échange pas mal sur les réglages de pilote automatique, sur de nombreuses interfaces que l'on peut avoir sur les ordinateurs, sur les alarmes. Il y a une synergie intéressante. On est dans le même bureau d'études, dans le même open space, on échange beaucoup. On est au courant des dossiers des uns et des autres. C'est assez sympa d'avoir cette émulation et cette collaboration.

Comment envisages-tu la gestion de ton impact environnemental sur la course ?

Je trouve que les mesures annoncées sont intéressantes. Je pense que c'est dans l'ordre des choses de rajouter des zones pour les baleines. Déjà sur Apivia, on avait mis un pinger et on a jamais touché un mammifère. Si scientifiquement il n'est pas prouvé que ça fonctionne, pour moi, c'est important de mettre en œuvre ce que l'on peut, des technologies existantes pour éviter ce genre de chose. Ce n'est bon pour personne, ni pour les mammifères, ni pour les bateaux, ni pour les marins. Je suis bien placé pour le dire. J'avais fait attention à ne pas naviguer dans les limites de plateaux continentaux. Près de certaines îles, dans les tombants, c'est l'endroit où les baleines viennent souvent se nourrir. Bien sûr, on ne peut pas faire le tour du Golfe de Gascogne, mais du côté des îles de l'Atlantique Sud, je faisais attention à éviter la zone ou à ne pas rester longtemps. C'est bien de rajouter ces zones, mais les mammifères n'ont pas les cartes, donc on peut en trouver en dehors de ces zones. Pour le global, le Vendée Globe se doit d'être exemplaire parce que c'est la course au large phare en France, du moins la plus connue. C'est important d'être leader dans ce domaine et ils l'ont bien compris. C'est bien d'être proactif.

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