Tu es passé du Mini à l'IMOCA après ta 3e place sur la Mini 2019, comment expliques-tu ce grand écart ?
J'ai multiplié par trois la taille du bateau ! Je pensais arrêter la course au large après la Mini. Cette place sur le podium a tout chamboulé. Mais c'est surtout la rencontre avec Jean Le Cam qui a accéléré les choses. Jean, je le connaissais depuis quelques années. Il avait suivi mon parcours. J'ai dîné avec lui trois mois après la Mini, et il a commencé à planter la petite graine dans ma tête de préparer le Vendée Globe. Pour moi, ce n'était pas du tout atteignable. Je ne venais pas du sérail de la course au large. Mais le fait d'avoir quelqu'un qui en a fait cinq, et qui te fait croire que tu es capable d'en faire un, ça change le truc. Il m'a énormément donné confiance, il m'a aidé à trouver le bateau, à fédérer le sponsor... Au final, force est de constater qu'il avait raison. Je m'éclate là-dedans, et en plus il y a de supers résultats depuis deux ans.
Voilà comment je me suis retrouvé sur un bateau de 18 m après la Mini.
Où chercher les conseils et l'expérience quand tu arrives sur un nouveau support ? T'es-tu uniquement appuyé sur Jean Le Cam ?
Tout le projet était basé sur la transmission intergénérationnelle. Ça faisait sens avec la relation que j'ai avec Jean, les sponsors et l'association que je mets en avant, qui défend l'intergénérationnel. L'expérience, je suis allé la chercher là où elle était. D'abord auprès de gens, qui me connaissaient bien, qui savaient d'où je venais, le chemin à parcourir, comme Tanguy Leglatin, qui m'a vu tirer mes premiers bords en Mini, mais aussi auprès d'autres skippers qui étaient passés par là. J'ai aussi fait appel à des skippers avec qui je m'entends bien et qui débutaient aussi comme moi. Je pense notamment à Guirec (Soudée). On vient à peu près du même univers, le côté aventure, exploration. On montait tous les deux le projet de zéro. Lui avait conseil auprès de Bilou, moi auprès de Jean. On avait des trajectoires parallèles, chacun avec des vieux de la vieille qui nous prenaient sous leurs ailes. C'est en échangeant aussi avec les autres que je me suis construit.
Après, quand tu es tout seul en mer, tu n'as pas le choix.
Bien que tu aies un bateau à dérive, tu réalises de belles performances, comment l'expliquer ?
J'ai la bonne place. On ne m'attend nulle part. Quand je ne fais pas de bons résultats, on ne m'y attend pas. Quand j'en fais, forcément ça sort du lot parce que j'ai un bateau d'ancienne génération, mais c'est un super bateau. Je dis toujours : plus tu es heureux, plus tu vas vite et je suis vraiment trop bien en mer. Je suis comme un gosse de me retrouver téléporté dans le Vendée Globe, avec tous ces skippers-là, ces marins, ces grandes courses. Je pense que je savoure chaque moment, y compris les moments difficiles en mer. Bien sûr ce n'est pas simple, il y a des moments qui ne sont pas évidents.
Mais c'est la première fois, et les premières fois sont toujours intenses. Je me donne à fond. C'est peut-être pour ça aussi que, parfois, il y a de bons résultats à l'arrivée.
Le choix de ce bateau était plutôt un choix financier, ou de sécurité pour se faire de l'expérience ?
L'histoire est assez jolie. C'est ce bateau-là qui m'a fait rêver. Je me souviens qu'avant même de faire de la course au large, il y avait le départ de la Route du Rhum à Saint-Malo. Je suis malouin. Avec des copains, on avait loué un petit Zodiac et on avait été les derniers à quitter l'IMOCA Macif à l'époque de Gabart. C'était ce bateau-là. J'ai encore la photo sur le frigo de mes parents où tu vois un tout petit Zodiac derrière l'IMOCA. Ça faisait quelques années que je poursuivais ce bateau, et aujourd'hui c'est le mien. C'était le bateau parfait pour ce genre de projet. Il était fiable, il avait déjà fait des tours du monde, il était assez facile de prise en main et d'utilisation. C'était parfait pour mon premier Vendée Globe, il cochait toutes les cases.
Quel est ton objectif sur ce premier Vendée Globe ?
C'est de finir. On nous demande toujours le classement, les bateaux à dérives... Évidemment qu'il y a la compétition. Quand je suis sur le bateau, je suis un énorme compétiteur. Plus que je ne l'imaginais d'ailleurs. J'ai découvert ce côté-là. J'ai toujours envie d'aller plus vite que les autres. Mais pour moi, l'histoire sera belle si la boucle est bouclée. Surtout, je trouve ça assez difficile de donner des objectifs de résultats quand tu sais à quel point tout est aléatoire. L'objectif pour moi n'est pas d'un classement, juste de boucler la boucle en ayant donné mon maximum, et en ayant zéro regret sur toute la course. Et si c'est le cas, il y aura sûrement un résultat à l'arrivée.
En dehors du résultat, quelles sont tes envies et tes craintes ?
Ma plus grande peur, vraiment, est de ne pas finir. C'est ce qui me tétanise. Je regarde les courses en cours, et de voir qu'il y a des marins qui tapent, qui ne peuvent pas finir, c'est ça qui me fait vraiment peur. De ne pas boucler la boucle. Par contre, ce qui m'excite est d'aller dans des endroits où pas grand monde n'est allé. Je trouve ça magique ce côté explorateur. Et ça me manque. Je me rends compte que quand je suis à terre, les sensations que j'ai en mer, le fait de prendre ses décisions par soi-même, d'être connecté à qui tu es, c'est très intrinsèque. J'adore. D'aller vivre ça - je l'ai vécu sur une vingtaine de jours - autour du monde pendant trois mois, c'est des sensations que j'ai envie de vivre.
Le Vendée Globe est donc toujours une aventure ?
Oui, complètement. Plus que jamais. Ce qu'il y a de magique dans la compétition, c'est qu'elle te permet d'aller chercher des choses que tu ne serais pas allé chercher sans elle. Tu découvres des ressources qui sont incroyables. Ce qu'il y a de jouissif, c'est le côté aventure. Sur les trajectoires qu'il y a autour du monde, tu passes par des contrées complètement inexplorées, parfois tu vas aller réparer sous une île. C'est ce qui est magique. Je pense que c'est ce qui fait rêver les gens. Je pense que c'est ça notre rôle.
Le thème de la conférence était sur l'écologie, l'environnement (NDLR : Evènement tenu par l'organisation du Vendée Globe à l'occasion duquel s'est tenu l'entretien ), mais je pense que notre rôle, il est juste de faire rêver les gens autour de la planète. Si on arrive à rendre les gens amoureux de la planète, ils auront envie de la protéger. C'est assez simple et basique.
Comment envisages-tu la gestion de ton impact environnemental sur la course ?
Évidemment, construire des bateaux neufs en carbone a un impact sur l'environnement, sur la planète. Aujourd'hui, on fait le tour du monde, et on a la chance de le faire à la voile. On véhicule des images hyper saines. Il y a plein d'axes d'amélioration dans les projets, mais je suis plutôt de ceux qui ont envie de faire les choses sans en faire des caisses et communiquer. J'entends ce qui s'est dit pendant la conférence, et je trouve ça génial. Mais de mon point de vue, c'est très personnel, je pense que c'est la base. Il faut faire tout ça, mesurer son impact carbone, traiter les déchets dans les chantiers... Ce sont des choses que l'on fait, mais on ne veut pas communiquer dessus, car c'est la base.
Par contre, encore une fois, le seul impact que l'on peut avoir, c'est de rendre la planète jolie, de faire rêver les gens et de leur donner envie de la protéger. C'est pour ça que j'ai envie de protéger la planète. On n'arrête pas de nous dire qu'elle est fragile. On l'intellectualise énormément quand on est à terre. Quand on est en mer, on le vit, on sent cette fragilité, on sent que l'on est fragile face à cet élément-là. C'est ça qui me donne envie de la protéger. Au même titre que Thomas Pesquet dans l'ISS voit cette fragilité-là. De témoigner de ça et de parler de cette fragilité, c'est le meilleur moyen de sensibiliser les gens à la préservation.