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Fondée en 2013, la Compagnie Rêvons l'Envers est née du désir d'explorer de nouvelles frontières artistiques. Leurs performances sur cerceau et tissu aérien à bord d'un voilier à Mayotte ont apporté une dimension expressive singulière à l'art de la voltige. Pauline Quéméner, membre du groupe ayant pratiqué la gymnastique rythmique durant 15 années à haut niveau, partage son expérience et les défis rencontrés.
Comment avez-vous eu l'idée de combiner l'acrobatie et la voltige à bord d'un voilier ?
L'objectif de notre spectacle de base, "Wassi Oukou", était de se produire plusieurs fois à Mayotte en extérieur, dans différents endroits, de créer des événements, et pourquoi pas de participer à un festival à Madagascar, ce qui a d'ailleurs été le cas. Après deux années passées sur l'île de Mayotte, les contacts et les rencontres sont devenues nombreuses ! Pour ma part, en parallèle de ma pratique du tissu aérien, je me suis beaucoup amusée sur l'eau grâce au kitesurf, au surf et aussi à la voile. Nous étions un groupe d'amis à fréquenter l'école de voile de Petite-Terre. C'est là que nous avons rencontré Nicolas, qui présidait l'association de voile. Il était propriétaire d'un magnifique voilier "Mzouazia", inspiré d'un navire langoustier, qu'il a mis une dizaine d'années à construire par ses propres moyens. Une idée a alors émergé dans mon esprit : j'avais déjà vu lors d'un festival de vieux gréements à Paimpol un spectacle de tissu aérien, et j'avais trouvé cela très beau. Clémence et Mary-No, les pionnières de l'association de tissu aérien sur Mayotte, avaient également déjà évoqué l'idée. Connaissant Nicolas, j'ai pu jouer le rôle d'intermédiaire pour concrétiser un spectacle à bord que nous avons appelé ''Hisse et Ô''.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l'exercice du tissu aérien ?
Le tissu aérien est une discipline circassienne exigeante qui requiert de la force, de la technique et de la souplesse. Elle consiste à enchaîner des figures, suspendu à un tissu, à une hauteur qui peut varier de 4 à 10 mètres. Si vous avez le vertige, je vous le déconseille ! Le tissu mesure près de 18 mètres de long. Les enchaînements peuvent être exécutés en solo, en duo ou même en trio, parfois avec des chutes assez spectaculaires. Il est essentiel de maîtriser le processus d'ascension, en passant le tissu autour d'un pied et en le bloquant avec l'autre, puis en tirant avec les bras pour atteindre le sommet. Un peu comme on se hisserait au sommet d'un mât ou d'un cocotier ! Une fois qu'on a compris le principe, on ne réfléchit plus et cela vient naturellement. Ensuite il faut apprendre à faire des clés de sécurité qui sont indispensables à la réalisation de figures acrobatiques.
Comment sélectionniez-vous les lieux et les moments pour vos représentations ?
Bien que mes coéquipières aient déjà réalisé un spectacle suspendu à une grue, le fait de se présenter au-dessus de l'eau était une première pour toute l'équipe. Nicolas a agi en guide, ayant une connaissance précise de son voilier, pour nous indiquer où suspendre les tissus de manière idéale et où placer le cerceau de façon stratégique. La bôme s'est révélée être la solution parfaite pour permettre une performance gracieuse au-dessus de l'eau. Nous avons opté pour une représentation au coucher du soleil, au mouillage. Le temps est généralement idéal à Mayotte ! Cependant, il y avait un défi à relever : le vent. Les acrobaties et les manipulations dans le tissu devenaient plus complexes, et il fallait veiller à ce que le tissu ne s'envole pas.
Pouvez-vous nous parler des ajustements spécifiques que vous deviez apporter à vos représentations pour les adapter à un environnement maritime ?
À bord du bateau, il était évident que nous ne pouvions pas présenter notre spectacle tel quel. Il a fallu l'adapter en nous entraînant directement sur place, ce qui a nécessité une journée et un après-midi de préparation avant le spectacle. Les défis étaient nombreux, de la logistique à la gestion du matériel en passant par les déplacements en annexe. Heureusement, l'association Atomix, particulièrement active dans l'organisation de festivals sur l'île, nous a apporté un précieux soutien en installant son équipement sonore et lumineux à bord. Nous avons choisi de ne pas annoncer officiellement l'événement pour éviter les complications liées aux autorisations, mais le bouche-à-oreille a plutôt bien fonctionné ! En fin de compte, environ une centaine de personnes se trouvaient à bord du Mzouazia, accompagnées d'une dizaine de bateaux, de paddles et de kayaks autour.
Quelle était la réaction habituelle du public lorsque vous vous produisiez à bord d'un voilier ?
L'excitation était palpable chez la plupart des gens, car il s'agissait d'une expérience peu commune. Certaines personnes n'ont malheureusement pas pu y assister, les allers-retours vers le voilier effectués par un bateau prestataire de découverte du lagon ne permettant d'embarquer que dix personnes à la fois. C'était une sacrée logistique et nous n'avons pas réussi à accommoder tout le monde. Bien que nous ayons essayé d'établir une liste de préinscriptions au début, elle a rapidement été dépassée par l'engouement du public !
Quel a été le principal imprévu que vous avez rencontré ?
Cette expérience était totalement inédite pour moi, surtout à bord d'un voilier. C'était un véritable travail d'équipe, qui s'est préparé en seulement trois semaines. C'est pourquoi il y a forcément eu un hic. Nous avons démarré un peu tard, et la nuit est rapidement tombée. Bien qu'il y ait eu des lumières, leur éclairage était parfois gêné par la disposition des bateaux autour de nous, ce qui a perturbé la visibilité. Finalement, nous avons pu continuer nos acrobaties tant que le coucher de soleil diffusait encore ses lueurs : le contraste créait un joli jeu d'ombres sur nos corps, cela ajoutait comme une touche supplémentaire d'expressivité à chacun de nos mouvements.
Dans cette rencontre inattendue, la Compagnie Rêvons l'Envers a su marier avec brio la voltige à l'univers maritime, laissant plus d'un rêveur charmé à bord du Mzouadzia. Leur spectacle "Hisse et Ô" est la preuve que l'audace et l'adaptation peuvent surpasser les contraintes pour offrir une expérience artistique qui trouve son expression aussi bien sur la terre ferme qu'au-dessus de l'eau.
https://www.youtube.com/watch?v=crVoi00R9gg