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Une tradition des pirogues en cours d'extinction
Parti vivre sur son voilier en Polynésie, Thomas finit par s'installer quelque temps à Tubuai, l'île la plus au sud du territoire, très éloignée de Tahiti. A son grand étonnement, il ne trouve pas trace d'une seule pirogue à voile sur l'eau. "Je me suis rendu compte que tout se faisait en bateau à moteur. Il n'y avait pas de voile, hormis quelques bateaux de passage et un ami qui avait importé un Hobie cat. Cela ne m'a pas semblé logique et je me suis mis en tête de refaire une pirogue."
Collecter la mémoire des pirogues à voile
Thomas se met alors en quête d'informations. Il découvre que les dernières pirogues à voile ont navigué à Tubuai dans les années 1980. Grâce à un photographe américain, Don Travers, il retrouve des clichés lui permettant d'en savoir plus sur ces bateaux traditionnels. "Il y avait des régates qui étaient de vrais évènements sociaux importants. Il n'y a pas d'écrit, je suis donc allé voir les anciens, qui me gribouillaient des croquis sur un coin de plage.J'ai ensuite essayé d'être le plus proche possible de toutes ses informations. J'ai fait une première version, qui n'a cessé d'évoluer."
Adapter les matériaux et savoir-faire
En travaillant sur le projet à temps plein pendant 2 mois et demi, Thomas construit la coque principale ou Va'a. Pour des raisons de simplicité, il fait le choix de la construire en contreplaqué, associé à de la résine époxy et de la fibre de verre. Il justifie : "Le bois creusé aurait été trop long, même si mon contreplaqué était de mauvaise qualité. Si c'était à refaire, j'aurai fait des planches avec du pin local. J'ai fait quelques essais intéressants avec de la fibre de coco à la place du verre." A défaut d'un tronc ou d'une branche de pulao de bonne taille, les arbres n'atteignant plus aujourd'hui les bons gabarits, le flotteur ou ama est également en contreplaqué.
Pour le reste, il utilise du bois local, dont chacun possède des caractéristiques adaptées aux différentes pièces. Le aito ou bois de fer, constitue les poutres reliant le Va'a au Ama. Cette essence très solide, qui fissure avant de rompre, permet d'anticiper les éventuels dommages. Le mât est en bambou, laissé tremper quelques jours dans l'eau de mer pour le rendre imputrescible. A la place des fibres de coco, du câblot textile sert au haubanage et au lien entre poutres et flotteurs.
La pirogue, longue de 4,60 mètres pour 55 cm de largeur du Va'a et 3 mètres au total, prend forme.
Des adaptations pour les sensations et la sécurité
Pour compléter l'armement, Thomas fait avec les moyens du bord. Il récupère un vieux trampoline d'enfants pour faciliter le déplacement entre flotteur et coque principale.
Des caissons étanches sont ajoutés dans la coque suite à un chavirage ayant laissé pirogue et équipage dans l'incapacité de se remettre à l'endroit et rentrer.
Pour la voile, c'est du matériel de planche à voile qui est choisi, en l'absence de tissu plus adapté. Les voiles en coton ont disparu depuis longtemps et un cyclone en 2010 a fait de nombreux dégâts. Thomas s'offre le luxe d'une voile d'avant et d'un petit bout-dehors pour un spi, bien que les pirogues de Tubuai se contentaient généralement d'une grand-voile.
Redécouverte de la voile
Une fois à l'eau, Thomas embarque de jeunes locaux, avec un certain succès. Il découvre également avec plaisir les subtilités et les performances du bateau : "Quelques jeunes intrigués au départ ont embarqué et apprécié. Des amis ont repris la pirogue et poursuivent le projet, je l'espère. Le bateau est étonnant. Je n'ai jamais aussi bien remonté au vent. Il n'y a pas besoin de dérive. Les étraves de la coque et du Ama suffisent à empêcher la pirogue de dériver et on économise du tirant d'eau, pour passer au-dessus des patates de corail sans peur. Le safran ne sert quasiment qu'à peaufiner les manœuvres tout en pouvant se contrôler en bougeant sur le bateau. Comme ça, on peut pêcher et s'amuser."
Longue vie donc à la renaissance de la pirogue de Tubuai !