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François Gabart revient sur la Route du Rhum 2022 avec un nouveau bateau et un nouveau sponsor. Malgré des désaccords avec la Classe Ultim, il a obtenu une dérogation pour s'aligner sur la ligne de départ et compte bien jouer la gagne.
Après le finish haletant de la dernière édition, dirais-tu que tu as une revanche à prendre ?
Pas du tout. Je ne suis pas à l'aise avec ce mot revanche. C'est une nouvelle course, une nouvelle histoire, un nouveau projet et un nouveau bateau. J'ai beaucoup de plaisir et de bonheur à être au départ de cette nouvelle édition et de savoir que je joue la gagne. J'ai un beau bateau, un beau projet. C'est une belle course avec un super niveau.
C'est chouette d'être dans le match pour essayer de vivre une arrivée comme celle de la dernière fois. C'est dans le domaine du possible.
Je garde un très bon souvenir de la dernière édition même si je n'ai pas terminé sur le résultat que j'avais imaginé. J'ai vécu quelque chose d'assez extraordinaire, au près avec Francis. On a vécu, il y a 4 ans, des problèmes techniques importants. Ce n'était pas simple, mais je suis content de ce que l'on a pu faire avec l'équipe en amont, en préparation, et moi sur l'eau. Je n'ai ni regrets ni remords. J'ai envie de faire du mieux possible, sans effacer ce que j'ai vécu sur la dernière édition.
Où en es-tu de la prise en main de ton bateau ? Depuis sa mise à l'eau, l'as-tu fait évoluer ?
Je suis encore en pleine prise en main, et ce sera encore le cas sur la Route du Rhum. C'est un bateau complexe. Ça prend plusieurs années de viabiliser et bien connaître ces bateaux-là. J'ai fait un bon bout de chemin depuis un peu plus d'un an, mais il y a encore beaucoup de travail. Je vais continuer à progresser pendant la Route du Rhum. Il y a encore plein de choses à faire.
Je suis très content du job réalisé jusqu'à maintenant dans les conditions que l'on avait. J'ai profité de chaque navigation pour progresser et m'améliorer.
On a pas mal fait évoluer de petites choses, mais pas de gros changement. En termes de systèmes et d'ergonomie, il est différent de sa mise à l'eau et il sera probablement différent dans quelque temps.
Quel bilan tires-tu de tes navigations à bord de SVR-Lazartigue ? C'est un réel avantage de naviguer protégé ? Quelles sont les différences avec ton ancien Macif ?
En termes d'ergonomie et de protection, le bateau a beaucoup progressé. On est très content de ce que l'on a pu faire. On navigue à haute vitesse, en sécurité, avec une très bonne visibilité sur l'environnement. Ça fait longtemps que je n'avais pas navigué sur un bateau avec un poste de barre et de veille aussi confortables, aussi protégé et avec une bonne visibilité. Ça demande de nouveaux outils, de nouveaux repères. Avec cette nouvelle ergonomie de bateau, on pense qu'on va dans le bon sens.
L'objectif était de voler un peu plus tôt. On a gagné 4 à 5 nœuds pour le décollage du bateau. Avant on décollait entre 25 et 30 nœuds de vitesse de bateau, aujourd'hui, on décolle entre 20 et 25 nœuds. C'est positif et ça permet de décoller quand il y a moins de vent. On a beaucoup progressé dans toutes les allures où le bateau va vite, avec des vitesses de vent apparent importantes, où l'on a besoin de pas mal de puissance, de moment de redressement.
C'est toujours difficile de comparer les performances des bateaux, mais c'est certain que l'on a passé un palier dans ces conditions. On a un peu progressé partout. Je crois que le bateau précédent était complet, équilibré dans ces performances et je crois que celui-là aussi.
Il y a 4 ans, j'avais une bonne connaissance des réglages du bateau et la capacité de naviguer à son plein potentiel. Aujourd'hui ce n'est pas le cas. Il y a encore plein de choses à découvrir, des réglages à trouver. On sent qu'il a un potentiel intéressant.
As-tu réalisé des choses pour le solitaire ?
Principalement en terme d'ergonomie. Ce n'est pas le même cockpit que sur la Jacques Vabre 2021 ou sur des courses en équipage dans le futur. L'ergonomie est pensée efficace et performante en solitaire à la barre, à la table à carte, et à la veille. C'est super important pour tenir des vitesses élevées en solitaire.
On a aussi réalisé certaines évolutions techniques : voiles, appendices, systèmes de contrôle... dans l'objectif d'aller vite en solitaire. Il faut que le bateau soit le plus facile possible dans les réglages pointus qu'un marin solitaire ne peut pas faire en permanence. Il faut aller vite sans trop d'investissement et d'énergie physique. On a opté pour des systèmes de changement de voiles simples, pour que le bateau aille vite en ligne droite sans gros changement sur les appendices.
Comment t'es-tu préparé pour cette course ?
On a essayé de naviguer un maximum cette année. On avait vraiment besoin de naviguer. On a fait un joli tour en Méditerranée au printemps, avec un joli record en équipage durant lequel on a poussé le bateau pendant un peu moins d'une douzaine d'heures. C'était une belle expérience de pousser le bateau dans des conditions de mer pas simple. J'ai aussi fait quelques exercices en solitaire pour me familiariser à ce format. J'ai aussi fait ma qualification au retour de Méditerranée.
Récemment, j'ai fait des navigations plus qualitatives pour la Route du Rhum. Du solitaire avec des manœuvres, pour essayer de se complexifier la vie quand on est tout seul, pour être dans des conditions plus proches de la course. L'idée était de complexifier les situations pour être prêt à tous les scénarios. On regrette de ne pas avoir pu faire des courses en amont. Mais on a navigué avec Yves le Blévec et Arthur Le Vaillant. C'est sûr que j'ai hâte de naviguer avec tous ces jolis bateaux Ultims.
As-tu suivi les différentes courses et que penses-tu de la concurrence ?
A la lecture des courses cette année, c'est difficile de ne pas placer Gitana comme une référence. Il a remporté toutes les courses depuis 2 ans. C'est un bateau extrêmement rapide, bien fiabilisé. Les nouveaux bateaux montrent, de plus en plus, une capacité de s'approcher des performances, voir à aller plus vite que Gitana dans certaines conditions et forces de vent. C'est assez passionnant et intéressant.
Le niveau est assez homogène. Il y a 4, 5, voir 6 bateaux avec des performances qui doivent être assez proche. Mais il y a encore pas mal d'inconnus et des bateaux plus vieux. Francis l'a prouvé avec panache il y a 4 ans, il était moins rapide sur le papier, mais capable de naviguer à son plein potentiel sans trop de risque de casse. Ces bateaux peuvent jouer la gagne si des bateaux plus récents rencontrent des problèmes. Il y a de superbes bateaux et de jolis ingrédients pour faire une belle course.
Comment évaluer le risque de ne pas finir sur casse ? Travaillez-vous en amont sur des modes de navigation en course en mode dégradé ?
La voile reste un sport mécanique, d'autant plus dans des conditions difficiles, que l'on ne contrôle pas tout le temps. Ce n'est jamais simple de faire un tour du monde ou une transat. Même si on progresse, on est toujours confronté à des problématiques de fiabilité. Nos bateaux seraient incassables s'ils étaient plus lourds. On prend toujours des risques quand on innove et on développe des bateaux comme celui-là pour gagner la Route du Rhum.
Si on prends tous les vainqueurs de la Route du Rhum, depuis la première course, ils avaient tous des bateaux innovants, et ont pris des risques. Le bateau de Francis en 2018 n'était pas le plus récent, mais il est 3 fois vainqueur de la Route du Rhum.
On prend des risques dans des domaines qui ne remettent pas en cause l'intégrité du bateau, à des endroits ou si l'élément casse, on peut continuer à avancer ou naviguer. Parfois, on a une dégradation des performances, mais ce n'est pas forcément le cas. Pour tous les systèmes électroniques et mécaniques, on a du back-up. On peut utiliser un autre élément à l'identique.
Il faut avoir des plans B, C, D, parfois avec un niveau de performance qui diminue. C'était mon cas il y a 4 ans, avec des problèmes d'appendices. Mais mon bateau a continué de flotter et de naviguer. Il faut avoir des solutions de réparations à bord. On a pas mal de systèmes à bord, certains que l'on peut bloquer. On ne sera peut-être pas dans les mêmes plages de réglage qu'au début, mais on finira la course sur un bateau le plus intègre possible.
C'est quoi la suite du programme ? Est-ce que tu prépares un scénario alternatif si ton bateau n'est pas homologué ? Un Trophée Jules Verne ?
Il a plusieurs fois été certifié conforme, mais c'est vrai qu'il y a de l'incertitude sur la suite du programme. Aujourd'hui, on ne pense pas à ça, car il y a une belle Route du Rhum. Dans tous les cas, on a plein d'idées pour le faire naviguer. On l'espère en course, avec le plus de camarades possible. Dans tous les cas être sur l'eau et donner à ce bateau ce qu'il mérite et de belles performances.