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Quinze ans que tu n'as pas fait de solitaire et malgré toute ton expérience, c'est ta première Route du Rhum. Comment l'appréhendes-tu et qu'est-ce qui te motive à ce retour aux sources, d'autant plus en Ultim ?
Quand on est figariste de base, on le reste toute sa vie. La course en solitaire m'a toujours attiré, mais la vie m'a fait faire 3 Volvo Ocean Race. Le plan c'était de gagner la Solitaire du Figaro et d'enchainer avec du multicoque en solitaire. J'ai été patient, mais c'est le sport qui veut ça. J'ai eu la chance d'avoir ma chance.
Il y a 3 ans, quand on a démarré avec Gitana, on a prévu un programme solitaire et équipage. Je me suis positionné sur la Route du Rhum et Franck m'a dit "vas-y". On a commencé par l'équipage et j'ai pris le relais en solitaire. Le circuit Figaro, c'est la meilleure école du solitaire.
Sur cette Route du Rhum, je suis bizuth dans le sens où je n'ai jamais géré de gros bateaux en solitaire. Je compense en étant celui qui a le plus navigué sur un Ultim volant. J'ai le plus de milles, j'ai fait beaucoup de double, et c'est du solitaire à temps partiel. Je connais bien mon bateau.
Je suis bizuth avec énormément d'envie et d'excitation. C'est presque un nouveau départ. Tout était nouveau en Figaro, ça l'est aussi en Ultim volant.
La Route du Rhum, c'est la première course qui m'a donné envie de faire de la course au large. Tout le monde rêvait de Vendée Globe, moi je rêvais de Route du Rhum en multicoque. J'ai des souvenirs d'enfance très précis sur les Route du Rhum de 1990 et 1994 avec Laurent Bourgnon. Il m'a inspiré, je me rappelle jusqu'à la couleur de sa veste à son départ !
C'est en quelque sorte un nouveau grand saut pour Gitana, qui avait dû abandonner suite à son avarie de flotteurs en 2018.
C'est la course qui manque à son palmarès, alors que depuis 3 ans, il gagne tout. Le Maxi Edmond de Rothschild est un bateau légendaire. Il a marqué un tournant en étant le premier bateau volant. Quand il est sorti, il n'y a pas grand monde qui croyait à ce concept audacieux. Aujourd'hui, il est la référence.
Ceux qui avaient construit des bateaux plutôt archimédiens, mais capables de voler ont changé leur fusil d'épaule... Le nouveau Banque Populaire n'a rien à voir avec l'ancien. Tout est conçu pour voler.
Si ce bateau n'avait pas existé, il n'y aurait pas aujourd'hui des foils aussi grands, des appendices aussi grands, des ailes de raie pour tirer sur le bateau et ajouter du couple de redressement. C'est presque le plus vieux bateau volant, et il est encore à la pointe. Il a beaucoup évolué, même si la plateforme reste la même.
Gagner la Route de Rhum serait une belle victoire, avec du sens.
Est-ce que ton expérience de la Solitaire du Figaro est une force pour la Route du Rhum ?
La Solitaire du Figaro est la course la plus dure au niveau de la gestion du sommeil et de la performance. C'est un petit bateau sur lequel on est tout le temps trempé mais il n'y a pas meilleure école. La preuve, Armel le Cléac'h, Michel Desjoyeaux y sont revenus… Tout le monde aime cette course, mais c'est surtout la course en solitaire la plus dure à gagner. Il n'y a aucune course au monde, en monotype, au large, avec autant de monde sur la ligne de départ. C'est l'école de la rigueur !
La gestion du sommeil est capital en solitaire. C'est sur le papier mon point faible. C'est compliqué de dormir sur un bateau qui peut chavirer. L'anticipation des manœuvres est donc capitale. Je m'en sors très bien. J'ai cette culture de la manœuvre, mais la course se joue aussi sur la vitesse et la gestion du sommeil.
Comment as-tu fait la transition vers le solitaire ?
On fait beaucoup de faux solo parce qu'on navigue toujours proche des côtes. Il y a toujours un risque de collision. En entrainement, on n'arrive jamais à dormir aussi peu qu'en course. On fait moins de veille, et donc on ne veut pas prendre de risque.
J'ai ramené le bateau de Martinique en faux solo. C'est la plus longue navigation en solitaire que j'ai faite. Une bonne expérience pour identifier mes forces et les points de progression, comme la gestion des manœuvres, le timing et le sommeil sur ce bateau. Ça m'a donné une idée claire et permis de voir que je suis capable de le faire.
Depuis 4 ans, je ne pense qu'à ça : comment naviguer en solitaire.
J'ai fait aussi du vrai solo pour ma qualification, que l'on pouvait faire seul ou accompagné d'un mediaman. Je suis le seul à avoir fait mes 2 000 milles en vrai solo.
As-tu adapté ton bateau au solitaire ?
Le changement des foils est lié à l'évolution du bateau. Pour le solitaire, on a travaillé uniquement sur l'ergonomie, notamment au niveau du siège de veille qui remplace une des colonnes. On a ajouté un matelas pour optimiser mes temps de repos dans le confort maximum. On a aussi installé quelques systèmes de largage automatique pour la sécurité.
Ce qui me fait peur, ce n'est pas le choc avec un ofni, c'est la collision avec un autre bateau, les dégâts que je peux causer aux autres.
J'aurais pu partir avec le bateau que j'avais avant, il a été conçu dans l'optique du tour du monde plus que de la Route du Rhum. C'est un bateau conçu pour un solitaire, avec un cockpit très étroit pour un homme seul. Il faut à la limite l'adapter plus pour l'équipage que pour un homme seul. On l'avait adapté pour l'équipage pour le Trophée Jules Verne. Là, on est plus proche de la configuration double.
Lors de la Jacques Vabre, les appendices avaient été changés pour décoller encore plus rapidement ? C'est toujours la même ligne de conduite ?
Oui, dans l'ensemble on veut aller plus vite dans les hautes vitesses. En solitaire, on est encore plus léger donc on décolle plus tôt. Le contrat a été bien rempli, notamment avec les nouveaux foils installés fin juillet.
On s'est rendu compte sur la Finistère Atlantique qu'il y avait un combat avec Banque Populaire, qui a beaucoup progressé avec ses appendices.
Gitana enchaine les victoires quel que soit le format de la course, c'est une pression supplémentaire pour la Route du Rhum ?
La Route du Rhum est mon grand objectif. Tout gagner met en confiance. Je suis lucide sur le fait que les 3 ans d'avance que l'on avait il y a 3 ou 4 ans, on ne les a plus aujourd'hui. Quand on a récupéré le bateau, il était assez révolutionnaire, avec de gros avantages sur les autres.
Aujourd'hui, tout le monde a la recette d'un bon bateau : de grands foils, de grandes ailes de raie et de l'hydrodynamique…
Les marges entre les bateaux sont réduites. Ça promet une belle bagarre. On est très proche en performance, même si ça ne se voit pas toujours. On est proche en vitesse pure. En solitaire, c'est possible de faire la différence.
On peut être très rapide en équipage, mais dur à mener en solitaire… Par exemple, Groupama était top en équipage mais compliqué en solitaire, à contrario du Gitana de l'époque, qui était plus lent mais facile à mener en solitaire.
En Ultim, on ne sera pas à 100 % du potentiel de notre bateau. En fonction, on verra si on peut le pousser à 90 ou 95 %. Tout le monde attaque beaucoup, Armel, Thomas, François, Francis… Ils poussent tous leur bateau et vont surement être très rapides.
Les bateaux vont très vite. On va tous être à fond. On a tous une histoire forte avec la Route du Rhum. Il n'y a que Francis qui l'ai remportée. On ne va pas en faire six des Route du Rhum… C'est notre olympiade !
Quelle est ta vision de la concurrence après les 24h Ultim ?
Le niveau est très proche. Bien que j'ai fait une toute petite erreur de navigation en faisant un peu trop de route, j'ai rendu une belle copie sans faire d'erreur de manœuvre. A l'arrivée, la différence est très faible. Je n'avais que 15 à 20 milles d'avance sur Armel.
Francis Le Goff a annoncé lors de la conférence de la Route du Rhum une arrivée possible à J+6, avec des bateaux toujours plus rapides. Quel est ton avis ?
C'est le dernier de mes soucis. Je veux juste arriver devant les autres. C'est sûr que si la météo est bonne, la barre des 7 jours peut sauter très facilement. Quand je suis rentré de Martinique, avec un départ très lent, j'ai mis 5 jours ½, mais sur une trajectoire directe. C'est plus rapide dans ce sens-là. Ce record va tomber.
Comment évaluer le risque de ne pas finir sur casse ? Travaillez-vous en amont sur des modes de navigation en course en mode dégradé ?
Ces bateaux sont faits pour le tour du monde, pas comme les ORMA. Si on n'est pas capable d'aller à fond, alors on n'est pas prêt pour faire le tour du monde. En multicoque, il faut savoir aussi ralentir. C'est la mer qui peut nous gêner, pas tellement le vent ni la vitesse. On la rencontre surtout les premières 24 heures. Après, on est à fond.
On a beaucoup cherché à fiabiliser le bateau, on est plus trop dans la découverte comme à l'époque. On a des gros coefficients de sécurité. On a cassé un flotteur en 2018 dans ce sens-là, et c'est ce qui nous a rendu aussi fort.
Les derniers bateaux sortis sont sans doute plus légers que notre bateau. Ça montre que le poids n'est plus forcément un problème. Il faut trouver un compromis entre la raideur, qui est importante, et la légèreté. Ça peut avoir des conséquences une perte de contrôle à 40 nœuds ! Même si les bateaux sont costauds, ils ont beaucoup progressé en poids et sur d'autres choses.
Même si numériquement ça a progressé, on n'arrive pas à reproduire la fatigue et la répétition des chocs. On arrive à savoir comment ça peut casser, mais pas encore comment ça vieillit. Pour l'instant, on est sur des coefficients de sécurité de 2, voire 3, donc on pourrait faire plus fragile.
Est-il possible d'optimiser Gitana ou la prochaine étape, c'est la construction d'un nouveau bateau ?
C'est encore possible et on a des idées en tête. Il le faut parce que les autres bateaux progressent aussi, notamment sur les foils qui seront les mêmes que les nôtres. Il y a des choses que l'on ne peut pas changer, c'est sûr. La plateforme reste la même. Avec SVR Lazartigue, on a la même philosophie, mais leurs flotteurs sont plus fins. Nous, on est plus haut sur l'eau. Il y a encore des progrès à faire en hydrodynamique, en aérodynamique.
On a changé de foils, et c'est clairement pas le même bateau. On a beaucoup progressé. Mais on n'est encore pas satisfait de nos foils, on sait déjà comment corriger. Les autres vont aussi trouver des trucs géniaux que l'on va copier. On prend les recettes de celui qui marche, mais on sera un moment bloqué par une plateforme. Aujourd'hui on serait capable de faire une meilleure plateforme, mais on a encore des choses à améliorer. C'est tout à fait possible de le faire. Tant que ça fonctionne bien on continue comme ça mais c'est sûr qu'il faudra y penser.
