La batellerie nourrit pas mal de fantasmes et d'idées reçues chez les gens d'à terre. Le métier consiste à transporter du fret d'un point à un autre des voies fluviales. Les bateaux de grand gabarit sont désormais le plus souvent exploités par des armateurs, mais le transport fluvial artisanal n'a pas complètement disparu.
Un métier familial
La batellerie traditionnelle s'exerçait le plus souvent en famille. Le couple vivait dans le logement, en arrière de la salle des machines. Si un matelot devait séjourner à bord, il logeait dans le pic avant. Le rythme de vie des mariniers suivait celui des affrètements. Le patron en attente de fret se rendait à la bourse d'affrètement pour prendre son tour. Les voyages y étaient proposés aux bateaux vides, que le marinier pouvait accepter ou refuser. On privilégiait bien sûr les destinations à partir desquelles il était probable de trouver du fret de retour.
Le macaron de la marquise
Cette organisation était souvent bousculée par l'arrivée des enfants qui devaient être scolarisés à terre dans la famille, ce qui poussait les mariniers à privilégier des voyages qui permettaient de passer régulièrement dans la région. Les mariniers sont des gens du voyage. Comme leurs cousins terrestres, ils forment de véritables dynasties et les mariages d'un bateau à l'autre sont fréquents. Ils éprouvent un sentiment profond de vivre différemment et leur mode de vie est en butte aux mêmes à-priori que celui des autres nomades. Dans la marquise (la timonerie), le patron est au macaron (la barre à roue), tandis que son épouse joue le plus souvent le rôle de matelot, filant les amarres aux écluses et profitant des longs biefs pour les autres tâches du bord.
Le chargement des cales
Mais la navigation n'est pas tout, le bateau est avant tout un engin de transport et un 38 mètres peut charger 350 tonnes de fret dans ses cales. Lors des chargements, le marinier déploie la grue pour empiler les panneaux d'écoutille sur les denbords (les hiloires) de manière à ouvrir les cales. Lors du chargement, il préfère s'amarrer sur des ducs d'albe (poteaux à distance de la rive), pour que l'enfoncement ne lui fasse pas toucher le plafond (le fond du canal). Ceux qui doivent naviguer a vide, ballastent la cale arrière à l'eau pour enfoncer l'hélice et éviter qu'elle n'aspire de l'air.
Moïse garde la banane
Même si l'eau affleure les plat-bords, la navigation est nettement plus facile lorsque le bateau est chargé. Le fardage, la prise au vent, est moindre. Dans les passages difficiles, le marinier fait l'haï, c'est à dire qu'il utilise les contre-courants. A l'approche des écluses, il suit le Moïse, la charpente de bois qui évite au bateau d'être dépalé par un courant latéral. Le principal risque serait alors de bananer le bateau. Un accident qui advient lorsque le bateau est partiellement entré dans le bassin de l'écluse et qu'une force latérale le tord. Dans les cas extrêmes, le bateau courbé ne parvient plus à passer entre les bajoyers de l'écluse.
En cale pour le plan de sondage
Régulièrement le bateau doit passer en cale-sèche. Le bassin de la cale de radoub est vidé de son eau et le bateau se pose sur des tins. En se glissant dessous, un expert dresse un plan de sondage en mesurant l'épaisseur de tôle restant sur les fonds qui s'usent par ragage. L'entretien courant est assuré à flot pendant les chômages à l'aide du bachot, l'annexe ou bateau de servitude. Ces périodes où l'on ne navigue pas sont aussi l'occasion de se retrouver à couple avec les amis ou la famille, voire de participer aux fêtes de la batellerie comme le Pardon des mariniers à Saint-Jean-de-Losne.
La batellerie artisanale est en très fort déclin et de nombreux bateaux sont devenus des établissements flottants fixes ou des bateaux logement. Parfois il a fallu les recouper pour les adapter au gabarit des écluses. A Toulouse, on voit ainsi plusieurs bateaux raccourcis d'un tronçon, lui-même utilisé comme atelier d'artiste. Les nouveaux propriétaires ont souvent gardé la devise (le nom) d'origine. De leur côté, les anciens mariniers ne perdent pas une occasion de naviguer et assurent très volontiers les convoyages pour qui les sollicite.