Selon votre âge, Antoine est un navigateur qui a chanté ou bien un chanteur devenu navigateur. En 1966, le chanteur, né à Tamatave (Madagascar), a composé les Elucubrations, la chanson qui l'a rendu célèbre, condensé d'une époque et de ses tiraillements.
Celui qui a parcouru toutes les mers du globe ou presque n'a pas d'eau salée dans le sang, comme il l'explique : "Lorsque j'étais petit, j'ai traversé 4 fois l'Atlantique en paquebot avant l'âge de 10 ans. J'ai vécu sur des îles, mais la navigation et le bateau n'étaient pas dans la mythologie familiale. En un mot, je ne suis pas né et n'ai pas grandi sur un voilier, comme c'est souvent le cas d'autres navigateurs."
Hasards et coïncidences
C'est en 1969, au cours d'une tournée dans le sud de la France, que le hasard amènera le chanteur au contact de l'eau de mer : "Avec mes musiciens, nous louons une maison à Saint-Raphaël pour l'été. A côté de la maison se trouvait un hangar à demi abandonné. Nous sommes allés le visiter. A l'intérieur se trouvait un vieux dériveur en contreplaqué, le Quiva. Un de mes musiciens m'a proposé d'aller faire un tour sur l'eau, nous n'avions rien à faire ce jour-là" continue le chanteur.
"Nous sommes restés à peine une heure à bord de cette coque de noix qui prenait plus d'eau que nous ne pouvions écoper. Revenu à terre, j'avais envie de plus, d'en faire et d'en apprendre plus."
La "maladie" contractée, le chanteur a envie de plus d'embruns et d'eau salée.
Il commence par se documenter. Par hasard ou presque, il tombe sur "Apprendre la voile en dix leçons", un livre préfacé par Eric Tabarly. Le hasard guide les pas de l'aventurier : "Je rentre chez un libraire et je tombe nez à nez avec un livre qui parlait du tour du monde sur une goélette, l'Europe. J'avais alors 25 ans."
Un projet collectif pour une navigation finalement solo
Avec son groupe, le chanteur se lance un défi : "Nous nous sommes donnés comme objectif tous ensemble de partir en mer cinq ans plus tard" explique Antoine.
Pendant ce temps, les compères louent des bateaux pour apprendre encore et encore la navigation, les joies et les déboires du bord. C'est notamment à bord de "Blue of Methylen" de Régis Théolier que le chanteur tirera des bords.
D'abord, le dégoût
En 1973, Antoine part naviguer en Méditerranée avec son groupe d'amis : "Revenus de Grèce, même si la météo avait été magnifique, j'étais écœuré par la navigation. L'exiguïté du bateau, les quarts et les responsabilités, tout cela avait été bien trop compliqué à gérer, je jetais l'éponge."
Au point de clamer haut et fort "Plus jamais de voile !"
Le hasard, toujours, amène le chanteur vers un autre bouquin. "Je tombe sur un livre qui parle d'un gamin de 16 ans parti faire le tour du monde en solitaire. Je comprends alors qu'en fait, le souci à bord d'un bateau, c'est les autres, pas le bateau en lui-même."
L'été suivant, décision prise : le chanteur veut se tester en navigateur solitaire : "Je loue un bateau à Juan-les-Pins et je pars en croisière tout seul, jusqu'à Saint-Tropez. Ensuite, direction la Bretagne. Je loue un Brise de Mer sur la Vilaine, je vais jusqu'à Belle-Ile et je rallie La Rochelle sous force 10. Retour vers la Vilaine, j'ai pris cher mais j'ai adoré. C'est à ce moment-là, après cette aventure-là précisément, que ma vie a changé" explique le navigateur.
"J'avais réservé ce bateau pour le mois d'octobre" ajoute Antoine. "Quelques semaines avant, je tombe sur un journal qui parle d'un nouvel évènement à La Rochelle. C'est lors de la première édition du Grand Pavois que j'ai rencontré Michel Joubert qui sera l'architecte de mes bateaux. J'ai aussi fait la connaissance de Jacques Arthaud qui a édité mes livres quelques années plus tard."
Le hasard, toujours lui.
Le navigateur commande son bateau auprès d'un chantier qui fera rapidement faillite. Il est contacté par Meta. "Meta me propose de construire la coque de mon bateau. Ils avaient fabriqué le bateau de Moitessier, j'étais un peu plus en confiance alors. J'ai pris livraison d'une coque entièrement vide que j'ai aménagée moi-même. Et, le 4 juin 1974, jour de mon trentième anniversaire, je partais, seul. J'avais tenu ma promesse." termine le chanteur.
"Je suis partisan de la théorie des déclics et des hasards" explique Antoine. "Toute ma vie, j'ai fait des rencontres hasardeuses qui m'ont donné des idées. C'est par hasard que j'ai commencé à réaliser des films, parce qu'on m'en a donné l'idée initiale".
Sur l'eau, on n'est pas emmerdé
A 77 ans, Antoine prend encore autant de plaisir à naviguer. Qu'est ce qui pousse cet éternel jeune homme sur l'eau ?
"J'aime la mer parce qu'on y est seul et qu'on n'est pas emmerdé" commence Antoine "La mer est un moyen de transport vers d'autres endroits, d'autres personnes et d'autres cultures. Ma compagne navigue avec moi depuis une vingtaine d'années n'aime pas les grandes traversées, c'est pour cette raison que je navigue en sauts de puce. A mes yeux, le bateau est un moyen de transport d'un point A vers un point B" continue-t-il.
Eloge de la lenteur ? Peut-être. Pour le moins, éloge d'une certaine idée de la vitesse : "Le bateau va à la vitesse de libération, comme l'a si joliment écrit Moitessier" explique l'aventurier quelque peu assagi.
C'est par sauts de puce qu'Antoine se lance, sans destination autre que lui-même, cet inconnu intime qu'il faut parfois retrouver. Avec le concours heureux de la chance, néanmoins : "Le jour de mon grand départ, je croise par hasard un météorologue sur les pontons. Il me recommande d'avoir passé le cap Creus avant midi. Je l'écoute et passe aux alentours de onze heures. A peine midi sonné à ma montre que je vois un énorme grain se lever au loin, juste avant le cap. J'aurais pu ne pas croiser ce Monsieur, ne pas lui parler ou ne pas l'écouter et me retrouver en plein dedans, mettant un terme par dépit à cette aventure naissante."
Antoine croise et parle avec nombre de ce qu'il appelle lui-même des références du domaine : "Gérard Janichon et Jérôme Poncet m'ont conseillé de ne pas prendre l'autoroute des alizés, de suivre ma propre route et ma propre manière. Je devais trouver ma façon de naviguer et de vivre l'eau. Je ne me sentais pas l'âme de vivre sur un bateau douze mois sur douze, j'avais besoin de revenir quelques mois par an en France."
Le message est clair, Antoine a besoin de plaisir sur un bateau, il n'a pas plus envie que cela de se faire secouer pour se sentir heureux, mobilis in mobili. "Je suis un navigateur de temps tropical" explique-t-il. "Je ne reviens pas vers l'Europe en bateau. J'ai choisi d'être dans les latitudes agréables aux bons moments, mais pas quand il y a plein de monde. Je suis un chercheur de lieux secrets."
Ce sont ces lieux secrets qui ont fait, et font toujours, le succès des voyages d'Antoine. Bloqué en Australie, dans une marina de Sydney depuis le démarrage de la crise sanitaire, son bateau est prêt pour de nouvelles aventures.
Les bateaux d'Antoine
Le chanteur n'est pas un collectionneur de bateaux. Il en a possédé en tout et pour tout trois différents au cours de sa vie de navigateur.
Il navigue depuis 1988 à bord de Banana Split, un catamaran en aluminium de 12,50 mètres, construit par Prometa sur un plan de Michel Joubert et Bernard Nivelt.
Le précédent, Voyage, était un sloop de 10 mètres de long, lui aussi construit par les chantiers tarariens selon des plans des mêmes architectes. Antoine est un fidèle en amitié. Il a été propriétaire de ce sloop de 1981 à 1989.
Om est le premier bateau sur lequel, à partir de 1974, le chanteur se mue en navigateur solitaire. Cette goélette en acier de 14,14 mètres de long, était équipée d'une quille relevable lestée de 4,2 tonnes de plomb. C'est Jérome Poncet qui a demandé à Michel Joubert de faire le plan de ce bateau pour le chanteur qui fera construire son tout premier bateau dans le Rhone, à Tarare.
Pourquoi ce choix de chantier ? "Meta a construit Joshua, de Bernard Moitessier. Je ne me voyais pas faire confiance à un autre chantier avec une telle référence".
Comment Antoine voit-il la navigation ?
Le chanteur n'a jamais abordé la navigation comme un défi personnel, sorte de lutte acharnée contre ses propres démons. Ce trait commun à nombre de voileux au long cours, il l'a rencontré chez d'autres qui se sont lancés la tête la première dans une aventure qui demande rigueur et préparation : "Renaud est venu me voir pour me demander des conseils d'achat de bateau. Il n'avait pas pris le temps de pratiquer doucement avant de se lancer. Il était à mon sens trop pressé d'atteindre un but intime, sans prendre le temps de voyager" analyse Antoine.
Le navigateur va sans but précis. Il explique qu'il navigue "a posteriori. Je regarde là où j'arrive et, à l'estime, je considère que c'est l'endroit où je voulais aller. Après tout, si la destinée en a décidé ainsi, il y a sans doute une excellente raison à cela" s'amuse Antoine.
Le présent est tumultueux pour les aventuriers : "Ma dernière grande traversée m'a déposé en Polynésie française (dans l'atoll des Tuamotu). Nous sommes revenus par la Nouvelle Zélande. Nous avons atterri aux îles Tonga où j'ai passé 2 ans. Partis des Tongas, nous avons navigué vers l'Australie jusqu'en janvier 2020. Nous avons décidé de revenir en France quelques jours avant le blocage des frontières courant d'hiver. Nous sommes bloqués en France depuis lors. Le bateau reste au sud de Sydney à attendre."
Ne pensez cependant pas le voyageur vide de projets : "Je retournerai sans doute naviguer en avril. Je vais aller vers la Nouvelle-Zélande pour présenter mon film et mon dernier livre. J'attends juste que les frontières s'ouvrent de nouveau, le lendemain je suis dans un avion."
Parmi les projets du chanteur, se mettre au fluvial, en France métropolitaine et alentours : "A mon âge, il devient parfois difficile de faire certaines manœuvres. Non pas que la navigation en eaux intérieures soit réservée à une certaine classe d'âge, mais je reste fidèle à mon envie de plaisir. Sur les fleuves, on fera la promenade sur des bateaux sympa. C'est la fameuse vitesse de libération le fluvial, on va à la découverte de personnes sur les canaux, les fleuves et les rivières. On est au contact de ceux qui font l'eau."
Antoine ajoute, toujours à propos de la navigation intérieure : "Le long des voies fluviales, il ne se construit rien. Pas de centre commercial, pas de rond-point ni de parking. Je crois que 90 % des bords de l'eau sont tels qu'ils étaient il y a 100, 200 ou 500 ans quasiment. L'espace fluvial est le nouvel eldorado de la tranquillité. Je vais sans doute remonter le Lot, j'ai repéré une location de bateau solaire, pour atteindre cette fameuse vitesse de libération au seul moyen de la lumière. Et s'arrêter quand la nature le décide, parce qu'il n'y a plus de lumière pour avancer."
La vie en bateau, c'est comme à terre, la mer en plus
Antoine a parcouru les générations de navigateurs et les modes de navigation qui y sont attachés : "Le bateau est passé du domaine du rêve à des camping-cars de luxe et de haut de gamme. On achetait des coques nues et on les aménageait soi-même. Il n'y a pas plus de navigation aujourd'hui qu'à l'époque, c'est uniquement l'usage des bateaux qui a évolué" explique le navigateur.
L'aventurier complète "On ne s'ennuie jamais en bateau, il y a de quoi occuper un jeune homme. En bateau, on peut faire tout ce qu'on fait dans une maison, la mer en plus. Les nouvelles technologies permettent de travailler depuis l'autre bout du monde. En escale, je fais des captures au drone, je monte mes films en cours et prépare les suivants."
Quelques nuances cependant : "Un bateau, c'est encore plus compliqué que ma ferme [le chanteur possède une ferme en Auvergne, N.D.L.R]. Sur un bateau, il y a toujours un truc à faire, c'est un immense bricolage, entre l'entretien, les modifications, les améliorations. Et le rêve, aussi, qu'il ne faut jamais oublier, à terre comme en mer."
De toutes ces années passées en mer, Antoine conserve un nombre de souvenirs incalculable. Il nous en partage quelques uns.
Meilleur souvenir en bateau ?
"Il est impossible d'avoir un seul meilleur souvenir en bateau. Peut-être la découverte du premier mouillage avec ma femme, dans un atoll de Tuamotu, perdu au milieu de rien."
Plus mauvais souvenir en bateau ?
"Sous les tropiques, en pleine nuit, je me suis violemment rappelé les mots de Moitessier qui me disait 'sous les tropiques, tu iras de toute manière taper sur un récif, prends un bateau solide' lorsque, justement, je l'ai fait, en solo et en pleine nuit, me sentant bien seul pour réussir à remettre tout ça d'aplomb."
Quelle est la prochaine grande date du navigateur ?
"J'ai sorti mon premier livre en 1982 'mettre les voiles'. Il a été réédité deux fois jusqu'en 2010. C'était un projet en commun avec Moitessier, nous voulions mettre dans un livre tout ce qu'il faut savoir en allant sur un bateau. Le livre va être réédité dans les prochains mois."