Deux jeunes aventuriers voués à une noble cause
Sylvestre et Mathias sont deux lycéens marseillais et pratiquent la voile à l'ASPTT. Après un parcours en Optimist puis en Open Bic, ils se sont orientés vers le 420, dériveur en double conçus pour des régates sur plan d'eau abrité. Les deux compères fréquentent la même classe au lycée et forment également un duo soudé sur l'eau.
C'est au cours d'une navigation en habitable que l'idée leur est venue de rallier Calvi au départ de Marseille, mais sur leur dériveur ! Puis le Covid a débarqué et a bouleversé les habitudes de tout le monde. Comme beaucoup pendant le confinement, Sylvestre et Matthias ne peuvent plus naviguer, mais ce temps libre est mis à profit pour dessiner les contours de ce projet complètement fou.
Hélas, un évènement dramatique vient endeuiller ce début de préparation. Leur ami Félix, lycéen, voileux et licencié à l'ASPTT, a décidé de mettre fin à ses jours.
Cet évènement tragique a été le moteur de la motivation des deux jeunes navigateurs. Quitte à se lancer dans un projet, autant que ce soit pour une belle cause, et pour la mémoire de leur ami. Le montage du projet s'accélère et se fera sous les couleurs de l'ASMA, l'association de lutte contre le suicide d'adolescents. Le projet sera baptisé "En parler ; peut tout changer".
Une préparation minutieuse
"On a rencontré Jeremy Lagarrigue, qui avait une certaine expérience dans ce genre de défi. Il nous a aidé à structurer notre aventure, nous a aiguillé dans notre préparation. On a passé deux mois à réfléchir, à construire et à viabiliser notre projet " nous expliquent les deux jeunes marseillais.
Puis ils commencent à se lancer dans la préparation technique de leur 420. Aucun navigateur n'a jamais tenté cette traversée sur ce type de bateau. La structure est entièrement vérifiée et les points de faiblesse, fréquents sur un dériveur de sport, sont repris. Le gréement courant est remis à neuf, et le gréement dormant a été doublé et sécurisé par du dynema. Si un hauban venait à céder, l'équipage pourrait continuer à naviguer.
Les deux amis trouvent également un bateau accompagnateur pour les suivre tout au long de leur navigation. Celui-ci garantira leur sécurité tout au long de la traversée. Côté avitaillement, Sylvestre et Matthias ont embarqué 20 kgs d'avitaillement et 9 litres d'eau chacun, sachant qu'un 420 (coque + gréement) pèse environ 80 kgs…
Un aller/retour entre la pointe rouge et la Ciotat leur permet de valider les solutions techniques apportées sur le bateau, ainsi que leur équipement personnel.
Des précédents qui sont devenus des grands noms de la Voile
Sylvestre et Mathias ne sont pas les premiers à tenter une traversée sur un bateau conçu pour une petite sortie à la journée. En 1986, Laurent Bourgnon et son ami Fred Giraldi réalisent une traversée de l'Atlantique sur un Hobie Cat 18 de 5,50 m. Ils mettront 22 jours pour atteindre la Guadeloupe, sans moyens de communication et dans un confort inexistant.
En 2016, l'Athlète Olympique Youssef Akrout relie la Tunisie et l'Italie à bord de son Laser, sur une distance d'une centaine de milles.
La même année, Violette Dorange , du haut de ses 15 ans, traverse la Manche en Optimist. Elle bouclera les 70 milles du parcours en 14h58, devenant la première fille à traverser la Manche sur un tel engin.
Un départ à bloc
Sous les encouragements de stagiaires et des moniteurs de leur club, Sylvestre et Mathias prennent le départ en fin d'après-midi du 15 juillet, dans une queue de Mistral.
"On est parti à l'intérieur des calanques, puis on a envoyé le spi a l'abri. Et bim, on a commencé à cravacher. "
Une claque à 38 nœuds les envoie au tapis au large de Cassis. Le 420 dessale et se remplit d'eau. Alourdi par l'avitaillement encore complet, le redressement est laborieux.
"On a affalé le spi le temps de vider le bateau, puis on l'a renvoyé. On s'est rapproché du cap Sicié, qu'on a passé dans 25 nœuds avec 3m de creux, sous travers un peu abattu. Un de nos meilleurs souvenirs de nav ! "
Pétole, quarts et baleines
Puis les caprices de la Méditerranée se sont rappelés à leur bon souvenir. Le vent a tourné, puis est complètement tombé. Le 420 bouchonne. Leur progression est stoppée jusqu'à 1h du matin, jusqu'à ce que le thermique de Porquerolles se lève et leur permette de reprendre leur route directe.
"A 5h, au lever du soleil, on a pris le cap 107 vers Calvi. C'était parti pour un bord unique vers la Corse dans 10-12 nœuds, au travers un peu abattu."
Après une première nuit à chercher du vent, les deux équipiers peuvent enfin se reposer. L'un reste à la barre pendant que le second dort au fond du bateau, calé entre le puit de dérive et le caisson. En fin d'après-midi, le vent se renforce et se stabilise dans la bonne direction. Le 420 allonge la foulée. Notre équipage d'aventuriers profite de ces bonnes conditions pour tirer sur leur bateau et gagner de précieux milles avant la nuit. Ils tartinent, enchainent les gybes en mode régate jusqu'au coucher du soleil.
Puis, comme la nuit précédente, le vent tombe en début de soirée pour revenir vers 2h du matin. C'est à ce moment que Sylvestre reprend son quart et se fait une petite frayeur.
"Je venais de reprendre la barre, dans 8 nœuds de vent. C'est alors que je traverse un banc de plancton, qui s'illumine avec les reflets de la Lune. C'était magique ! Et tout à coup, j'entend le souffle d'une baleine très très proche qui a sondé juste à côté de nous. Les petites vaguelettes créées par le mammifère ont un peu secoué le 420, mais sans gravité."
Une arrivée idyllique et un pari gagné
Mathias reprend la barre au lever du soleil. Les reliefs de la Corse commencent à apparaitre à l'horizon. L'équipage continue sa progression sous spi, avec le lever du soleil et le phare de la Revellata en arrière-plan. Le 420 fait son approche dans la baie de Calvi et enroule la balise devant la citadelle, après 44h et 58 minutes de navigation.
Le papa de Félix, leur ami disparu, qui avait embarqué sur le bateau accompagnateur, les félicite pour leur performance. L'émotion est intense, les deux amis ont réussi leur défi !