Une aquarelle à la base du projet
A l'origine de ce projet un peu fou, on retrouve Edith et Marc Frilet, marseillais d'origine et de cœur, qui naviguent depuis toujours. C'est à la vue d'une aquarelle représentant Alcyon que l'idée leur est venue de reconstruire ce coursier houari datant de 1871. A cette période faste pour le yachting provençal, des coursiers gréés en houari (ancêtre du gréement Marconi) s'affrontaient lors de féroces régates aux enjeux financiers très importants.
A une époque où la marine marchande était encore à la voile, les marins cap-horniers les plus aguerris prenaient place à bord pour participer à des régates suivies par le grand public et source de paris très rémunérateurs. Disputées entre Sète et San Remo, ces régates dont les prize money pouvaient atteindre un quart de la valeur d'un bateau rassemblaient le gratin du yachting européen.
La jauge était des plus libre, et n'est pas sans rappeler les principes originaires des jauges open actuelles. En effet, la seule contrainte à respecter était la longueur de coque, qui ne devait pas dépasser 6, 9 ou 13m selon la classe choisie. Toutes les extravagances étaient permises, et il suffit d'admirer les espars d'Alcyon pour les comprendre. Sa coque mesure 8m à la flottaison mais sa longueur hors tout est de 21,50 mètres. Il est large (3,80 mètres) et déplace environ 5 tonnes pour un lest de 600 kgs.
Son bout dehors mesure près de 7m et sa bôme dépasse les 9m. Malgré le fait que les houaris ne couraient pas au-dessus de 15 nœuds, il était assez fréquent que ceux-ci chavirent, emportés par le surplus de puissance d'une voilure surdimensionnée.
Les enjeux financiers étaient tels que les Houari étaient au centre de toutes les attentions. Ils possédaient même deux gréement, un de brise et un autre pour le petit temps. Il était d'usage que les équipages changent de mât pendant la nuit entre deux journées de régate, afin de s'adapter au mieux aux conditions météo du lendemain. L'organisation de ces régates était très professionnalisée, et le calendrier méditerranéen s'était adapté à celui des régates courues dans le Solent, afin de permettre aux Anglais de venir courir dans le bassin méridional.
Un bateau passion pour un projet fédérateur marseillais
C'est au cours d'un dîner familial qu'Edith et Marc Frilet ont décidé de se lancer dans la reconstruction d'Alcyon. Le projet est d'autant plus cher aux yeux d'Edith que son arrière-grand-père en a été le dernier propriétaire. Seulement voilà, le principal écueil réside dans le fait qu'il n'existe aucun plan du navire, construit il y a presque deux siècles. Des recherches littéraires ont permis de mettre à jour des indices précieux, notamment dans Aureto e Aurasso (Zephir et Aquillon), un ouvrage écrit par l'aïeul d'Edith, Alphonse Cyprien Fabre.
Les écrits d'Hubert Poilroux sur les flat boat ou les sandbaggers à fond aigu ont également permis de collecter de précieuses données. C'est avec toutes ces informations minutieusement collectées que Marc et Edith prennent contact avec Gilles Vaton, célèbre architecte naval, qui mettra plusieurs mois à redessiner les plans de forme de l'Alcyon.
Une conception très en avance sur son temps
Une fois les plans de forme définis par Gilles Vaton, Edith et Marc se sont tournés vers Daniel Scotto, charpentier de Marine basé lui aussi sur Marseille. Homme de talent reconnu par tous, Daniel avait depuis longtemps à cœur de redonner vie à un houari marseillais. Mais la délicate alchimie entre un plan de voilure surdimensionné et l'équilibre des œuvres vives a nécessité encore une année de réflexion et de calculs.
Daniel Scotto a dû adapter le moment de redressement aux normes actuelles, tout en garantissant la sécurité du navire, en adaptant notamment un cockpit auto-videur. La trouvaille d'une maquette de Houari chez un antiquaire a permis de faciliter les recherches. De plus, ce modèle était destiné à un usage pédagogique dans un club, et était pourvu de tous les détails utiles à la réflexion.
Etrave droite, maître beau extra large : Alcyon est à contrepied de ce que l'architecture anglaise faisait le mieux à l'époque. C'est d'ailleurs sous la pression des anglais que les Houari ont disparu au profit de la jauge métrique
Un chantier de 14 mois
La coque est réalisée par Daniel Scotto et son équipe. La réalisation du gréement et du matelotage est confiée à Patrick Moreau, tandis que l'italien Beppe Zaoli est chargé de la confection du jeu de voiles. La coque est composée d'une multitude d'essence de bois, notamment du red cedar appliqué en strip-planking sur des membrures en chênes ou en pin.
Mis à l'eau en 2013, rien n'a bougé depuis, preuve de la qualité de construction. Le mode d'emploi d'une telle unité n'a pas été facile à trouver. L'absence de winchs sur le pont rend les manœuvres très physiques. Un équipage de 8 équipiers n'est pas de trop pour dompter toutes les manœuvres régulées à la force des palans.
Tout comme son ainé, Alcyon écume les régates du circuit, toujours avec le même enthousiasme. "C'est un bateau qui navigue de manière très différente, il gîte très peu mais apporte d'incroyables sensations du fait qu'il est au ras de l'eau" s'enthousiasme Marc.
Et l'histoire n'est pas prête de s'arrêter, car un nouveau projet de reconstruction d'un houari est en train de voir le jour, avec le "Ville de Marseille", qui mesurait 27m hors tout pour 265m2 de voilure au près. L'objectif est de le faire naviguer pour l'été 2024, quand Marseille accueillera les épreuves de voiles des Jeux Olympiques.