À moins d'un mois du départ, dans quel état d'esprit es-tu ?
On jubile. Avec Marie (NDLR: Tabarly, sa co-skipper), on a cette sensation de chance énorme de pouvoir faire ce départ. C'est mon 6e départ et c'est à chaque fois différent. Mais là, c'est un goût différent parce qu'il y a un an rien n'était fait. On a peu navigué, mais on a un bateau prêt. Il y a 6 mois je m'étais dit qu'être au départ de la Jacques Vabre serait une réelle victoire. On est arrivé au bout ! C'est ma première expérience en IMOCA donc l'objectif c'est d'acquérir de l'expérience, de prendre du plaisir et de rentrer avec une liste énorme de modifications à faire sur le bateau !
Tu viens d'intégrer le circuit IMOCA après la Class40, pourquoi ce choix et quelles sont tes ambitions sur cette Jacques Vabre ?
J'ai passé un bon moment en Class40. J'ai fait mes débuts en 2007 avec des interruptions. J'ai participé à ma première Jacques Vabre en 2007. Et de nouveau en 2008. Il y a eu à cette période une évolution de la classe et le lancement de bateaux neufs, dont le mien. Les architectes ont fait des choix d'innovations et de performances. J'ai participé à la conception du Lift40 Carac, avec le groupe Lombard. Il a d'ailleurs gagné la Route du Rhum entre les mains de Yoann Richomme en 2018, qui a réutilisé notre moule pour sortir un bateau encore plus abouti. Moi j'ai eu une avarie sur la course. C'était quand même génial que le bateau qu'on a imaginé remporte la victoire. On était arrivé au bout, même si j'aurai aimé gagné une transat.
En 2019, j'ai eu un accident et perdu mon bateau. J'ai eu une grosse remise en question : arrêter le projet ? Faire autre chose que de la course au large ? Continuer à naviguer ?
J'ai récupéré l'argent de l'assurance, mais qui ne me permettait pas de lancer un nouveau bateau. Mais j'avais de quoi créer une histoire. J'avais cette idée dans la tête. Depuis des années, la course en solitaire est ma passion. Naviguer dans des conditions difficiles m'éclate.
Tu as racheté l'IMOCA Fortil de Clément Giraud, victime d'un incendie avant le départ du Vendée Globe. Peux-tu nous le présenter et nous expliquer ton choix ?
Fortil était le propriétaire du bateau. Quand le bateau est arrivé à Caen, il a été démâté, mis au sec et nettoyé de l'intérieur pour pouvoir l'expertiser. On l'a racheté, déquillé et entré en chantier. On a tout démonté pour voir ce qui fonctionnait ou pas. D'apparence, il pouvait avoir des choses abimées – circuit électronique, calculateur de pilote, centrale – mais qui pouvaient être sauvées. On a tout testé pour savoir ce que l'on gardait, ce que l'on bricolait ou ce que l'on jetait. Et finalement, on a sauvé beaucoup de choses !
En rajoutant 30 % du matériel qu'il y avait, on est prêt à courir aujourd'hui : hydraulique, électronique, accastillage. Le bateau a brulé donc le roof était délaminé, tout comme la cloison de mât. On a cherché à voir si le bateau avait bougé en termes de structures et de forme. On est allé plus loin que ce qui était visible en faisant un carottage avec un expert pour déterminer les zones à dégager et les zones que l'on pouvait sauver. La cloison d'outrigger était cramée au 2/3, mais la partie basse était encore saine par exemple. On a essayé de sauver un maximum de chose.
On s'est rapproché du cabinet Lombard pour effectuer des modifications avant les réparations. Eric Levet a redessiné le bateau. On a reculé les poids. C'est le sistership du bateau de Jean Le Cam. On a donc pris contact avec lui pour connaitre sa philosophie et on a fait pareil. On a reculé le moteur, modifié l'implantation des ballasts, renforcé le fond de coque… De la cloison d'outrigger à la cloison étanche, il est neuf. On a aussi gardé des choses à faire pour plus tard. On avait un budget maximum pour les réparations et ça a bien fonctionné.
C'est une des premières fois où je n'avais pas les mains dans les travaux. J'ai laissé le cabinet Lombard et mon équipe gérer. Je suis parti à la chasse aux financements. C'était une grosse aventure de relancer la construction du bateau avec ces modifications.
Il fallait ensuite trouver 100 000 € supplémentaires – en plus des 200 000 € que l'on avait déjà injectés dans le projet pour réparer et courir. On a créé le projet "Votre épargne autour du monde", une sorte de prêt entre particuliers, à hauteur de 1 000 € par personne, et rémunéré par un taux d'intérêt de 2 %. Au mois d'aout, on mettait à l'eau un bateau prêt.
Si les travaux étaient assurés, il manquait les financements pour la course. Fin mars, Marie m'appelle. Mon projet lui plaisait, correspondant à sa philosophie. Elle m'a proposé de l'aide pour trouver des financements avant de me demander si je comptais participer à la Jacques Vabre. Si c'était possible techniquement, ça l'était impossible financièrement. On s'est donc donné 3 mois pour trouver le budget de fonctionnement. On a trouvé un premier partenaire, Lantana Paysages qui a apporté 40 % du budget. On a également formé un club de partenaires qui a apporté un petit budget.
J'ai ensuite rencontre Emmanuelle Cadiou, la présidente de Cadiou Industrie (Kostum by Cadiou) qui nous a rejoints fin juillet 2021. On s'était fixé une deadline mi-juillet pour savoir si le budget financier nous permettait de participer à la Jacques Vabre ou pas. Et finalement, on a eu 15 jours de plus.
On a réussi à mettre le bateau à l'eau, à naviguer, se qualifier et se sentir à l'aise.
Peux-tu nous parler de Marie Tabarly que tu as choisie comme co-skipper ?
À la base Marie voulait seulement m'aider dans ma recherche de financement. L'idée n'était pas de courir ensemble. Mais finalement l'histoire correspond. On a la même passion des bateaux et de la mer. Ce n'est pas courant chez tous les coureurs d'être né autour de la mer et des bateaux. On a vécu tous les deux autour de l'eau et on a cette passion commune. De faire renaitre ce bateau, on le voit tous les deux avec des yeux de gamin. J'ai aimé le message de Marie, ce côté bienveillant du personnage. Elle a aussi énormément navigué en régate sur de gros bateaux. Elle a beaucoup d'expérience au large aussi. Et un sens marin énorme.
J'ai beaucoup couru sur la Jacques Vabre, la Route du Rhum. Je connais bien les parcours, les départs. Elle connait bien les gros bateaux. J'ai l'habitude des pièces techniques.
Dans ce projet-là, tout colle bien. C'est génial. On a fait le plus dur : monter un projet, trouver de l'argent, s'entendre avec la presse, les sponsors. Il y a moyen de s'engueuler souvent sur une course en double, mais avec Marie c'est lisse. Dans tous les équipages il peut y a voir des tensions.
Quels sont les contraintes et avantages d'un format de course en double en comparaison du solitaire ou de l'équipage justement ?
Le double je trouve que c'est un super format. Partir en solo tout de suite je l'aurai fait, mais dans ce cas c'est plus sympa d'être à deux. Il va y avoir du boulot technique sur le bateau. On va aussi manœuvrer à deux. En solitaire, la préparation est draconienne. Ici, c'est plus facile de monter au mât. L'équipage, c'est moins mon truc. Par contre le format double laisse un espace de liberté, car il y a beaucoup de navigation en solo. Quand tu es en solitaire, tu prends les choses seul. En termes de sécurité, ce n'est pas mal aussi le double.
C'est un format très spécifique, mais agréable quand ça se passe très bien avec la personne.
Que penses-tu des nouveaux parcours de course ? Qu'est-ce que ça va changer ?
Les 2/3 c'est la même chose qu'avant. C'est exactement pareil que d'aller au Brésil. On travaille un peu les schémas météo, mais pour l'instant on n'a pas grand-chose.
Ce qui change c'est le retour Fernando de Noronha/Martinique avec des côtes pas simples, des pêcheurs, des conditions pas simples avec des effets de thermique, des OFNI. On va aussi devoir traverser le pot au noir une 2e fois. Normalement, plus on le passe à l'ouest mieux c'est, car il est plus actif dans l'est. Cette 2e partie est une part d'inconnu. La part d'alizé est simple à gérer et les phases tropicales que je connais bien aussi.
Comment te sens-tu face à la concurrence, aussi bien en termes personnels qu'en termes matériels (bateau) ?
Sur l'ensemble de la Transat Jacques Vabre, il y a quand même 45 Class40, dont beaucoup de bateaux neufs. J'aime cette classe et je la regarde de très près. Avec le Covid, on s'est dit que ça allait être dur pour la course au large et difficile de trouver des partenaires. Mais le développement est génial !
En IMOCA, après le Vendée Globe c'est souvent une année un peu molle. Mais là on est 22 bateaux au départ. La classe a beaucoup travaillé sur le fait que les bateaux doivent avoir navigué avant le Vendée Globe et c'est une bonne décision pour éviter les préparations à l'arrache. Ça permet de mieux connaitre son bateau, et d'avoir un niveau de performance sur l'ensemble de la flotte plus élevé. Le différentiel entre le premier et le dernier sera moins élevé.
Le fait que mon bateau soit vieux est génial. Ce n'est pas parce qu'on a un bateau d'ancienne génération qu'il s'agit d'un bateau poubelle, que l'on veuille juste vivre une aventure. On peut aussi jouer la performance. On a vu des exemples géniaux. Pip Hare qui a fait une course géniale, Le Cam qui aurait pu gagner le Vendée Globe s'il n'avait pas eu ses problèmes, Damien Seguin sur Apicil, avec un bateau moins performant et qui était quasiment 3e juste après le Cap Horn. C'est une belle surprise. Le secret est qu'ils ont beaucoup travaillé sur leur bateau, avec une grosse plus-value.
J'aimerais arriver comme ça dans 3 ans. Avec un bateau que l'on connait, qui a été modifié et réparé. Sur lequel j'ai beaucoup navigué. Je vais jouer avec mes outils le mieux possible.
Après la Transat Jacques Vabre, quels sont tes projets ?
Ça va être très actif. On entre en chantier fin décembre pour 3 mois. On va faire quelques modifications de dérive, de plans d'orientation et gagner du poids. On a déjà des gains à faire dans pas mal de domaines que l'on n'a pu faire avant.
On va continuer d'aller à la chasse aux partenaires. Ensuite, ce sera la Bermudes 1000, la Vendée Arctique, et la Route du Rhum 2022 sur laquelle j'aimerai être présent. Mon objectif c'est d'avoir un bateau prêt et de faire le maximum de milles. La Jacques Vabre va m'aider à préparer le bateau pour le solitaire.