Nicolas, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Jusqu'à il y a un mois, je n'étais pas professionnel du nautisme. J'ai démissionné de mon travail de conseil en stratégie à Paris il y a 3 semaines. J'ai mené de front pendant plusieurs années le côté nautique et ma carrière professionnelle. À la fin de mes études, j'ai participé à la Mini Transat en Proto en 2015. J'avais 23 ans et j'ai terminé 9e. J'ai débuté ma carrière à Paris, mais au bout de 6 mois je me suis rendu compte que ça n'allait pas le faire. J'ai décidé de refaire la Mini, en série cette fois-ci. J'ai acheté un Pogo 3 pour l'édition 2017. J'ai terminé 2e en série et j'ai continué la saison 2018/2019. J'étais tellement content. Je me suis dit "si je fais ça à temps plein, je vais faire quelque chose de bien." J'ai donc décidé de me lancer en Class40
À moins d'un mois du départ, dans quel état d'esprit es-tu ?
Je suis hyper content de notre préparation jusqu'à maintenant. On a rattrapé le manque de temps avec des moyens humains forts. J'ai 3 préparateurs qui travaillent avec moi depuis la mise à l'eau. Je suis dans un état d'esprit positif pour prendre le départ dans de bonnes conditions.
On a fait la mise à l'eau il y a une semaine et demie. J'ai hâte de partir. Ça fait plusieurs mois que mon projet tourne plus autour de la démarche des sponsors, la réponse aux emails… Je vais enfin pouvoir aller tirer des bords sur mon bateau. J'ai envie de le découvrir, car pour l'instant, j'en ai seulement vu 1 %.
Quelles sont tes ambitions sur cette Transat Jacques Vabre, avec un bateau récemment mis à l'eau ?
Sur le côté sportif, c'est dur de se positionner, sachant que c'est le dernier Class40 mis à l'eau. Mais on a toutes nos chances. Erwan (NDLR : Le Draoulec, son co-skipper) est un compétiteur acharné aussi.
On aimerait viser la victoire, un podium, mais le bateau n'est pas encore au point. Il n'est pas au max de son potentiel. Ça sera plutôt le cas sur la Route du Rhum. On va naviguer à notre manière. Si on fait bien notre travail et que les architectes ont aussi fait le leur, il n'y a pas de raisons que ça se passe mal.
La Transat Jacques Vabre est hyper importante, dans le sens où, l'année prochaine j'aurai une transat dans les pattes avant le Rhum. On s'est vraiment acharné avant le départ pour tenir le programme.
Peux-tu nous parler de ton bateau et de ta préparation ? Quel est le bilan de tes premières navigations ? Pourquoi le choix de VPLP et ce type de Class40 ?
C'est un plan VPLP/Multiplast. Déjà, on choisit un couple architecte/chantier. Il y a eu une rupture technologique en Class40 il y a 2 ans, avec l'apparition des scows Crédit Mutuel et Banque du Léman.
Aujourd'hui, on est dans la 2e génération de scow. Les architectes ont planché pour améliorer encore les concepts : Lombard, Verdier et VPLP ont proposé de nouveaux modèles. Les premiers scows ont défriché le concept. C'est une question de philosophie de bateau.
Je suis d'abord allé voir Structures, Lombard. Je voulais un bateau pour le large, pour les transats au portant VMG. Un bateau typé pour les grandes courses océaniques et pas pour les régates entre quatre bouées. Je suis bon au large, et mauvais sur toutes les courses de moins de 4 jours. Plus je suis longtemps en mer, plus je suis à l'aise.
Le Clak40 est un plan qui correspond à mon envie de large. J'ai eu un Pogo en classe Mini, mais j'ai décidé d'aller voir ailleurs. Multiplast est un chantier de légende et VPLP est hyper réputé. On a eu un très bon feeling. C'était aussi à un moment de leur projet où je pouvais encore influencer leur dessin, notamment sur l'ergonomie, c'est ce qui a fait la différence : 3 ou 5 winches, 1 ou 2 goulottes… Le skipper peut mettre le curseur où il veut.
J'ai fait des études d'ingénieur et ça me passionne. Le plan Verdier était déjà prêt à construire, les plans étaient figés.
C'est très dur de faire un bilan. On n'a pas encore navigué avec d'autres bateaux. La Jacques Vabre va être ma première course. D'un point de vue sensations, l'équilibre de barre est un gros sujet en scow. La barre est un peu molle au près. Mais ce n'est pas le cas sur mon bateau, les sensations sont bonnes. L'ergonomie est top. Le cockpit est top.
Je suis rentré de qualification après 2 jours en mer dans des conditions musclées, avec 25 nœuds. On est hyper protégé. Le bateau avançait à 18 nœuds. C'est hyper positif. Au large, ça joue d'aller vite sans se faire mal. D'un point de vue vitesse, on avait des polaires de référence sur la qualif, on était dans les clous. Mais impossible de dire si le bateau s'en sort bien sans comparaison.
Peux-tu nous parler de ton choix d'Erwan Le Draoulec en tant que co-skipper ?
Erwan est avant tout un ami. On a passé des vacances cet hiver ensemble, alors que j'étais dans le suivi de chantier de mon bateau. Il était vraiment intéressé. De manière naturelle, il a parlé à son sponsor Emile Henry de mon projet. Ce dernier était intéressé pour se prêter à l'aventure. Erwan était tout autant motivé.
J'avais besoin d'un co-skipper que je connaisse humainement et qui soit aussi hyper compétent. Il a terminé dans le top 10 en Figaro, a gagné la Mini… Il est hyper mûr. C'est un marin exceptionnel. Ça s'est donc fait très naturellement, ça cochait toutes les cases. Emile Henry était motivé et a apporté l'autre moitié du budget avec mon sponsor Happyvore. C'est un match parfait.
Quels sont les contraintes et avantages d'un format de course en double en comparaison du solitaire ?
C'est radicalement différent. En double certains disent que c'est un peu que les avantages du solitaire, sans les inconvénients. On peut pousser le bateau plus loin, porter les spis dans plus de vent, naviguer avec un peu plus d'intensité, car il y a toujours quelqu'un sur le pont.
Pour la première course du bateau, c'est aussi plus facile à gérer en cas de problèmes techniques. À deux, c'est plus simple en cas de soucis de pilote ou pour monter au mât.
Il y a aussi le côté humain. Il faut gérer le binôme, en plus du bateau. Ce sont des conditions rudes. Le bateau va vite, il tape. C'est assez dur au large, surtout les scows. Ce sont des bateaux qui tapent dans mer, des bateaux très inconfortables. Ça rajoute à l'aventure. On va beaucoup s'amuser, on rigole beaucoup. J'adore les 2 formats. Il faut faire les 2 et là, une première en double, c'est le jackpot.
Que penses-tu des nouveaux parcours de course ? Qu'est-ce que ça va changer ?
Il y a un peu de déception dans le sens où je n'ai jamais passé l'Équateur. J'ai grandi avec la Mini où les concurrents passaient l'équateur, direction le Brésil. Après le parcours a changé pour mes éditions. Et sur cette Jacques Vabre, avant on passait l'Équateur et ça change encore. Mais c'est bien que les courses se renouvellent et que les parcours changent. Le Covid a aussi influencé cette décision malgré tout.
Pour mon bateau, optimisé pour des allures VMG, avec des descentes sous spis pour faire des virements de bord, pour gagner dans l'axe du vent, c'est parfait. Il est fait pour ça. Et ça sera quasiment que du VMG sur la 2e partie du parcours. Sportivement, c'est donc mieux.
Je suis content. C'est important de traverser les océans, les longs voyages. La destination est cool aussi, mais rien que le fait de traverser l'Atlantique, ça compte. Et puis on est toujours bien accueilli aux Antilles.
Comment te sens-tu face à la concurrence, aussi bien en termes personnels qu'en termes matériels (bateau) ?
Le plateau est relevé. Il y a énormément de marins avec beaucoup d'expérience et qui ont déjà gagné plein de course. C'est grisant de faire des courses avec des marins comme ça. On va beaucoup apprendre. C'est génial de faire des courses contre des gens de qui tu avais des posters dans ta chambre.
Il y a beaucoup d'anciens ministes, comme Axel Trehin, Ian Lipinski, Luc Berry, Simon Koster, Valentin Gautier, Amélie Grassi que j'ai côtoyés sur le circuit Mini et avec qui je me suis battu. C'est cool de se retrouver sur des bateaux plus gros. Je n'ai pas peur. Je découvre mon bateau et moi aussi j'ai fait des podiums sur le circuit Mini. J'ai moins d'expérience, mais je vais la construire et mon bateau est compétitif.
En tout cas c'est plutôt bon signe. Ça veut dire que la classe va bien. On a l'effervescence que toutes les classes recherchent. La classe a le vent en poupe, les sponsors sont là. On arrive à attirer des partenaires et construire des projets.
Après la Transat Jacques Vabre, quels sont tes projets ?
L'aventure c'est d'aller jusqu'au Rhum 2022. Happyvore me suit jusqu'à l'année prochaine. Ça, c'est mon plan à moyen terme. J'aimerais faire une belle Route du Rhum avec toutes les courses du circuit Class40 en amont : Normandy Channel Race, Dhream Cup, Les Sables-Horta.
À plus long terme, j'aimerais évoluer vers des bateaux plus gros. Les courses autour du monde type Vendée Globe me font rêver. Il y a aussi des courses autour du monde en Class40. Il faut voir ce qui est le plus facile à monter comme projet. Sachant que c'est toujours des discussions avec tes sponsors.