A quelques jours du départ de la Transat Jacques Vabre, Romain Attanasio évoque l'épreuve et son nouveau bateau.
À moins d'un mois du départ, dans quel état d'esprit es-tu ?
C'est la question que l'on se pose aussi. Ça a été une découverte énorme ce nouveau bateau. C'est un gros challenge. Ça n'a plus rien à voir avec ce que j'ai connu avant. Pure Best Western, était un bateau à dérive performant, un bel IMOCA. Là, on est un cran au-dessus.
On a navigué tout ce que l'on pouvait. Il y a aussi eu un gros refit du bateau, puisqu'il a percuté à son arrivée du Vendée Globe 2020. On a eu le 2e foil que le 10 juin, mais on a navigué quand même avec le seul foil bâbord. Et j'ai aussi beaucoup navigué avec Seb, mon co-skipper. On a énormément navigué depuis que l'on a le bateau. On a encore des choses à apprendre, mais on a bien avancé.
Quelles sont tes ambitions sur cette Transat Jacques Vabre maintenant que tu as un bateau à foils ?
C'est très difficile de se fixer des ambitions. On va donner le meilleur. Ce qu'on veut et ce que l'on essaye de faire, c'est de jouer avec le groupe de tête, auquel je n'ai jamais pu accéder avant.
Peux-tu nous parler de ton bateau (ex-Malizia II) et de ta préparation justement ? Quel bilan tires-tu de tes navigations à son bord depuis sa prise en main au printemps dernier ?
On est beaucoup plus à l'aise. Au début on était impressionné tout le temps. Aujourd'hui, on ne l'est que des fois (Rires). On a surtout une meilleure vision de ce qu'est un foiler. C'est une sensation tellement différente. Quand il vole sur son foil, tout l'avant décolle, l'arrière touche l'eau parce qu'il n'y a pas de plan porteur sur le safran. Mais il finit quand même par décoller avant de retomber sur le safran. Ça donne l'impression d'avoir des hauts le cœur, sur les descentes. Dans le noir à 25/30 nœuds, c'est vraiment impressionnant !
On vit plus à genoux, on a plus de mal à se tenir. C'est beaucoup moins confortable que mon ancien IMOCA. La vie à bord est plus compliquée. On tire plus sur le bateau, donc il y a plus de chocs. Avec mon ancien bateau, quand ça tapait comme ça, ça faisait un bon moment que j'avais réduit. Là, c'est normal.
En termes de réglages, il y a énormément de charges. Un IMOCA se couche quand il est trop toilé. Sur mon nouveau bateau, il y a des capteurs de charge partout : étais, bastaque, tirant d'outrigger… Il y a de la fibre optique dans les foils pour connaitre leurs limites. Quand on arrive pour la première fois à bord, on découvre un cadran avec 16 chiffres. On n'y comprend rien au départ. Tout est très impressionnant : l'électronique, les pilotes beaucoup plus technologiques, Oscar (NDLR : un dispositif capable de détecter les OFNI) que l'on utilise beaucoup, car on voit moins devant, les alarmes, AIS, radars… Tout est tout le temps en route. Ça crée une atmosphère, associée à la vitesse du bateau très brutale.
C'est une chance folle ! Il y en a 15 des bateaux comme ça dans le monde ! C'est vraiment génial. Je me rends compte de la chance que j'ai. J'ai fait beaucoup de Figaro, j'ai navigué sur le Pingouin en 2016, pour mon premier Vendée Globe puis sur Pure Best Western, un bateau de 2008. Arriver ici aujourd'hui, c'est une chance exceptionnelle ! J'en ai rêvé et je n'aurai pas misé lourd sur sa réalisation. En plus à mon retour du Vendée Globe, j'étais en renouvellement de contrat avec les sponsors. Et j'ai pu racheter ce bateau en copropriété avec un ancien sponsor. J'ai aussi trouvé un nouveau sponsor, Fortinet.
En quoi a consisté le dernier chantier ?
Ça a plus été de la réhabilitation, car le bateau a été réparé par Boris Hermann à la suite du Vendée Globe. Il avait déjà fait un énorme travail d'optimisation avant la course : rake, nouveaux foils, nouveau pilote, carène, même les voiles. On partira comme ça sur la Transat Jacques Vabre, c'est impossible de faire des modifications sur ce que l'on ne connait pas.
On arrive à la fin du processus de découverte pour arriver au top sur la Jacques Vabre. La semaine dernière, on a rencontré les architectes du bateau pour échanger sur le fonctionnement des foils. Ils étaient très contents d'échanger. C'est intéressant dans les deux sens.
Peux-tu nous parler de ton co-skipper, Sébastien Marsset et de ce choix ?
J'ai eu pas mal de demandes de skipper qui voulaient naviguer avec moi. Mais je voulais un second, être accompagné et découvrir ce bateau en exploitant le temps que l'on avait, avec quelqu'un au quotidien. Stewart, le boat captain néozélandais du bateau et ancien membre de l'équipe de Boris est resté avec nous, mais j'avais vraiment besoin d'un co-skipper qui soit avec nous tout le temps. Il fallait aussi quelqu'un avec qui je m'entends bien. Avec Seb, on a déjà fait la Transat Jacques Vabre en 2019. Ça s'était bien passé. On commence à se connaitre. On sait comment fonctionne l'autre. Il y a des missions que je peux lui confier entièrement comme l'électronique par exemple.
J'ai monté une équipe au fur et à mesure avec Seb, Stewart et Marc Liardet, ancien boat captain de Michel Desjoyeaux. Je voulais être accompagné, faire beaucoup de navigations, de choses avec les partenaires. Il a fallu remonter le projet, financer le bateau, accueillir Fortinet. C'est important de m'entourer de gens compétents. Sur mon ancien bateau, je faisais tout, ce que je ne peux plus faire aujourd'hui. J'ai appris à beaucoup déléguer, ce que je ne savais pas faire avant.
Quels sont les contraintes et avantages d'un format de course en double en comparaison du solitaire ?
Il y a beaucoup d'avantages et peu de contraintes. C'est mieux d'ailleurs qu'on soit dans l'année du double pour découvrir ce nouveau bateau. Ça aurait été plus difficile sur une Route du Rhum. En 2022, ça sera une année de solo et c'est énormément de travail.
Être à deux sur un bateau, c'est dix fois plus facile ! Sortir une voile, matosser… en solitaire ça prend 15 minutes, il faut wincher. En double, ça prend 20 secondes !
Sur les sensations de découverte du bateau, c'est aussi du partage d'être deux. À deux c'est toujours plus simple. Ça change la donne. C'est ce que je retrouve en double cette année.
Que penses-tu des nouveaux parcours de course ? Qu'est-ce que ça va changer ?
Ça change pas mal. Il va falloir naviguer avec du vent portant VMG, et donc faire des empannages. On va aussi avoir du reaching - vent de travers. Mais la course sera en grande partie au portant et il va falloir le gérer. Ça va être la loterie le long des côtes sud-américaines. J'avais fait le convoyage de retour de la Transat Jacques Vabre avec Louis Duc en 2015 et à cet endroit on avait eu beaucoup de sargasses, de déchets de l'Amazone. Il ne va pas falloir se taper dedans.
Comment te sens-tu face à la concurrence, aussi bien en termes personnels qu'en termes matériels (bateau) ?
Du mieux qu'on peut ! On est plus avec les groupes de tête. On arrive à être dans le bon paquet. Avant, sur les bateaux à dérives, on partait toujours super bien au près. Mais après, dans les alizés, au portant, ça débride. Aujourd'hui, on tient les bateaux de dernière génération et on met beaucoup de bateaux derrière. Il y a plus de match qu'avant. Ça donne des ailes. On verra comment ça se passe. Deux transats ne se ressemblent jamais.
Après la TJV, quels sont tes projets ?
On devait aller aux États-Unis pour un voyage pour Fortinet, mais avec le Covid tout est annulé. On va faire le retour en mode convoyage et mettre le bateau en chantier d'hiver. Ça va être court puisque la première course de la saison, la Bermudes 1 000 part le 8 mai 2022.
On va refaire une peinture, reponcer entièrement le bateau. Ça va permettre de tout démonter et de tout checker. C'est un gros job. La jauge autorise d'avoir plus de quête de 2° et on pourrait le faire, mais c'est un gros changement, car il faut changer tous les câbles. Je pense que Boris avait mis des supers foils, mais ils commencent à être petits. La jauge a été limitée à 8 m3 et les nôtres doivent faire 7 m3. Mais on ne le fera pas maintenant, peut-être pour la Transat Jacques Vabre 2023. Les grands foils c'est bien pour des régates, mais sur le Vendée Globe, on s'est rendu compte que les grands foils c'est un peu chaud dans le grand Sud.