Une vocation depuis le plus jeune âge
La voile est une passion qui anime Juan Kouyoumdjian depuis son plus jeune âge. Il vit en Argentine jusqu'à ses 17 ans et y tire ses premiers bords, notamment en Optimist. En parallèle de quoi, il navigue avec son père, qui participe à de nombreuses régates offshores. Cette eau salée doucement infusée dans ses veines forge petit à petit son avenir.
"La voile a toujours été quelque chose qui m'a passionné. J'ai toujours voulu devenir architecte naval. Je n'ai jamais pensé à faire autre chose. La voile, c'est encore un des derniers domaines qui nous permet d'être libres sur cette planète. On a une certaine liberté d'expression. Être impliqué dans la conception et la navigation, ça permet de conserver ce contexte de liberté que l'on perd un peu plus tous les jours et de rester connecté le plus possible à un monde libre", nous explique l'architecte.
Première expérience sur la Coupe de l'America
Après un premier semestre dans un institut de technologie argentin, Juan Kouyoumdjian s'envole pour l'université de Southampton en Angleterre où il décrochera quelques années plus tard son diplôme d'ingénieur. Pendant ses études, il effectue un stage chez Philippe Briand à La Rochelle, qu'il a rencontré auparavant sur l'Admiral's Cup. Peu de temps avant d'être diplômé, il est à nouveau contacté par le designer pour intégrer ses équipes en France en pleine campagne de construction des voiliers France 2 et France 3 pour la Coupe de l'America.
"Diplômé en juin 1993, je commençais à travailler une semaine plus tard pour Philippe Briand à La Rochelle. J'y suis resté jusqu'en 1995, pour travailler sur les Class America, puis je me suis mis à mon compte en 1996" détaille Juan K.
Une carrière dans le monde de la régate et de la course au large
Depuis, l'architecte s'est fait une réputation dans le monde de la régate et de la course au large, concevant notamment plusieurs bateaux pour la Coupe de l'America. Le cabinet travaille également avec Nautor's Swan en Finlande et conçoit des bateaux one off pour la croisière. Il a aussi collaboré sur des projets de bateaux à moteur, mais bien spécifiques, comme des modèles à l'hydrogène, des projets nécessitant des optimisations hydrodynamiques, ou encore sur un foiler à moteur, actuellement à l'étude.
"J'ai fait 6 Coupes de l'America. C'est en grande partie ma carrière cette course. On s'est aussi beaucoup impliqué sur la Volvo Ocean Race avec la conception de Volvo 70 qui ont participé à 3 courses autour du monde en équipage. On a aussi dessiné des IMOCA, dont un qui est en production. On ne se spécifie pas sur la course au large, mais ce sont des bateaux que l'on fait beaucoup. 90 % de nos projets sont dans la course ou la performance. Contrairement aux bateaux de production où le marketing tient une part plus importante que la créativité et la performance, les projets de course sont ceux où l'on peut le plus s'exprimer, tout en tenant compte des règles de classe. C'est un peu similaire dans le monde du superyacht où les armateurs nous laissent une forte liberté d'expression. Ce sont souvent des one off et des propriétaires qui ont les moyens de concrétiser leurs envies" raconte l'architecte.
Naviguer et régater, un indispensable pour devenir architecte naval
Sa réputation, il la doit avant tout à son expérience de la navigation. Un atout qu'il considère majeur pour un architecte naval, mais qui malheureusement ne s'apprend pas dans les salles de classe…
"Je suis raisonnablement bon navigant et je navigue toujours. C'est d'avoir navigué qui m'a permis de devenir architecte naval. J'ai fait de la compétition à un niveau international et le fait d'être bon navigant m'a permis de me connecter à un monde très compétitif, dans lequel il est difficile d'être respecté si l'on n'a pas de résultats. La compétition à voile m'a toujours plu. C'est un sport extrêmement noble. C'est rare d'avoir un sport où l'on combine des qualités sportives avec un outil. Le bateau devient un outil que le navigateur doit développer, comme pour le kite, la planche…, comme on le voit également dans l'automobile. Naviguer à haut niveau m'a permis de lancer mon cabinet. Mon premier projet, je l'ai d'ailleurs décroché en faisant partie de l'équipage du propriétaire qui m'a confié la conception d'un nouveau bateau.
C'est très difficile pour moi de comprendre comment quelqu'un qui ne navigue pas activement et n'est pas dans le milieu de la course peut devenir architecte naval. Un jeune diplômé qui ne fait pas partie du monde de la voile et de la compétition aura du mal à s'introduire. C'est toute la contradiction des universités. Elles forment des architectes ou des ingénieurs, mais il faudrait que la compétition à la voile soit une des matières enseignées. Si je devais former des élèves, je le ferais à bord d'un bateau. Le bateau à voile est tellement complexe à comprendre. Sans pouvoir monter à bord, le sentir et le faire marcher vite, c'est très difficile de pouvoir le concevoir. Un bon navigant qui n'a pas de diplôme d'ingénieur peut être un meilleur architecte qu'un architecte qui n'a jamais été dans un bateau" explique Juan K.
Dessiner, diriger et régater
Aujourd'hui Juan Kouyoumdjian possède trois bureaux. Le plus grand est à Valence en Espagne, ouvert depuis la Coupe de l'America 2004 et dans lequel travaille une douzaine de personnes. C'est ici que sont notamment réalisés tous les calculs de structure. Le deuxième se trouve à Buenos Aires, en Argentine où sont embauchées 5 personnes. Enfin l'architecte travaille depuis Londres.
"Mon temps est divisé en 3 parties. L'activité créative que je réalise seul à Londres. L'activité exécutive, à Valence et en Argentine avec mon équipe. Et la partie relation commerciale, où je partage mon temps entre les clients, les régates. Ça me permet de garder le contact avec le monde de la voile" détaille Juan K.
Si Juan Kouyoumdjian a su s'imposer dans ce petit monde confidentiel de l'architecture navale de course au large, c'est qu'il aime innover et proposer des choses nouvelles.
"Chaque bureau a sa personnalité plus que sa spécificité. Les méthodes de travail sont différentes, les spécialités aussi. Aujourd'hui, il y a 4 ou 5 bureaux d'architecte qui travaillent ou sont impliqués dans des projets de tour du monde. On a tous plus ou moins les mêmes ingrédients, la recette n'est pas la même. Il y a des bureaux plus conservateurs pour des clients qui veulent des choses classiques avec des architectes qui sont très bons dans ce domaine. Et d'autres plus "borderline", catégorie dans laquelle je m'identifie. Mes clients viennent me voir parce que le projet doit être un challenge en soi, pas quelque chose de classique ou de conservateur. J'aime dessiner de nouvelles choses", conclut l'architecte.