Une carrière de course au large
Pierre Rolland est d'abord un coureur au large. À l'origine de sa carrière, son goût pour les courses à la voile. S'il rêve d'intégrer le circuit Figaro, il n'en a pas les moyens. Il décide alors de participer à la Mini Transat de 1987 et se construit son propre bateau, d'après ses propres plans.
"J'ai commencé la voile en rade de Brest vers l'âge de 12 ans. Je faisais des challenges l'été. À l'époque, les choses étaient simples. Je régatais sur Muscadet. Puis pendant les années suivantes, j'ai alterné entre croisière et course au large. Le Figaro étant hors budget, j'ai eu le projet de participer à la Mini Transat. Avec de petits budgets, on pouvait y participer."
Pierre Rolland participe donc à sa première transat en solitaire sur son bateau Petit Poids.
"C'était un apprentissage complet. Je l'ai dessiné, construit et j'ai ensuite traversé l'Atlantique à son bord. Ça m'avait vraiment plu."
Deux plus tard, il se décide à recourir la Mini Transat, en essayant de faire mieux que la première fois. Il repart donc en 1989, sur le même bateau, qu'il a optimisé. Mais c'est sur la course Vannes – Les Açores – Vannes – dont se sont tenues deux éditions les années paires – que son goût pour la conception va se développer.
"J'ai participé aux deux éditions. En discutant avec d'autres coureurs, on s'est dit que ce ne serait pas mal de se regrouper pour construire des bateaux plus performants."
Un deuxième plan Rolland, la victoire sur la Mini Transat 1993
Pierre Rolland dessine donc un 2e Mini 6.50, qu'il construit à Vannes avec d'autres coureurs de la Mini. 4 exemplaires seront produits. En 1993, il participe une nouvelle fois à la mythique transatlantique sur ce bateau qu'il vient de construire. Thierry Dubois, un des autres concurrents, navigue lui aussi sur ce 2e plan Rolland.
"Cette édition a été très compliquée. Il y a une très, très grosse baston. C'était la tempête sur le golfe de Gascogne. Aujourd'hui, on ne partirait plus dans ces conditions. Il y a eu des balises de détresse déclenchées, des bateaux retournés, un skipper qui a disparu… J'étais dans le groupe de tête quand l'organisation de course nous a demandé de rentrer en France. J'ai donc rallié l'Espagne, qui était plus proche pour moi.
Thierry Dubois n'a pas entendu le rappel et a continué, terminant ainsi la première étape. Et il a fini par gagner la Mini Transat sur ce bateau, Amnesty International, mon second plan. À cette époque, je n'avais pas envisagé une carrière d'architecte naval. Mais je suis content que ce bateau ait gagné."
Finalement, 4 autres exemplaires de ce 2e Mini voient encore le jour pour l'édition suivante. Pierre Rolland s'est fait un nom dans la course au large.
Un premier Mini de série pour le chantier Structures, la naissance d'une carrière
Pour cette même édition de 1995, Pierre Rolland est contacté par le chantier breton Structures (père des célèbres Pogo) qui souhaite fabriquer un Mini 6.50 de série.
"Le patron du chantier Structures m'a contacté. Il savait que les moules de mon 2e Mini étaient à Loctudy. Bernard Stamm les avait récupérés pour se construire un exemplaire. Il était intéressé pour les utiliser pour fabriquer un Mini de série. À l'époque, le seul bateau de série était le Coco, un plan Harlé ancien avec un monosafran, tout en fonte. Je me suis dit que ce n'était pas trop difficile de faire un bateau plus moderne avec des doubles safrans, une quille à bulbe, plus toilé, plus large… Voilà comment ma carrière a commencé, en dessinant le Pogo 1."
Un autodidacte passionné
Comme tous les architectes de son époque, Pierre Rolland est autodidacte. Titulaire d'un BTS en fabrication mécanique, il maitrise néanmoins le dessin industriel. C'est en se documentant et lisant qu'il apprendra l'hydrodynamique, les calculs de structure, etc.
"Harlé, Joubert-Nivelt, aucun n'avait de diplômes en architecture navale. À cette époque, on était autodidacte, avec une formation de base. Sur le plan technique, jusqu'au Pogo 1, tous les dessins que j'ai faits étaient à la main. Il n'y avait pas encore d'informatique pour les dessins 3D. C'était fait sur calque, avec des lissages. On dessinait à l'échelle 1. Ça marchait, ça prenait juste plus de temps. J'ai commencé à utiliser des logiciels en 1995."
Une histoire d'opportunités
Outre les Mini 6.50, Pierre Rolland va se faire connaitre en dessinant les plans d'un célèbre 60 pieds, le Superbigou de Bernard Stamm.
"Bernard Stamm avait construit un proto 6.50 à partir des moules de mon 2e plan et avait terminé 3e de la Mini Transat 1995. Deux ans plus tard, il m'a contacté pour dessiner les plans d'un 60 pieds en construction amateur."
Le deal est clair, cette mission sera bénévole, tout comme le chantier d'ailleurs.
"C'était intéressant de se lancer dans ce projet associatif, avec beaucoup de gens, de bénévoles. Par contre, au niveau des calculs, c'était un peu chaud. Passer d'un Mini 6.50 à un 60 pieds, ce n'est pas la même histoire."
Pierre Rolland se rapproche alors du cabinet brestois de calculs de structure HDS (aujourd'hui Gsea Design), créée par Hervé Devaux.
"À l'époque, c'est lui qui réalisait tous les calculs de structures des bateaux de "pointe". Il travaillait depuis deux ans avec un jeune ingénieur passionné de voile, Denis Glehen. Il a depuis travaillé pour la Coupe de l'America et dirige la société. Il était débutant, mais a décidé d'embarquer avec nous dans l'aventure, lui aussi à titre d'auteur. René Coleno, directeur technique des Glénan, nous a épaulés sur ce projet avec un logiciel 3D qu'on avait plus ou moins développé ensemble. Le bateau était finalement bien né puisqu'il a encore couru cette année (NDLR : Medallia de Pip Hare sur le Vendée Globe 2020/2021)."
Cette expérience ajoute à la notoriété de l'architecte. Certes, Superbigou ne s'illustre pas sur le Vendée Globe, mais il décroche le record de l'Atlantique en 2001.
Des bateaux de course-croisière pour des chantiers bretons
Finalement, Pierre Rolland continue sa carrière en dessinant essentiellement des bateaux pour les chantiers Marée Haute, IDB Marine et GL Composite, dans le Sud de la France.
"J'ai créé toute la série des Bongo, des Django, des Fabulo… J'ai toujours travaillé avec des gens que j'ai rencontrés sur les pontons. Denis (NDLR : Bourbigot, patron d'IDB Marine), je l'ai connu sur les Açores, Serge (NDLR : Calvez, patron du chantier Marée Haute), m'avait commandé un prototype en bois moulé. Je n'ai jamais fait de démarchage."
Mais encore une fois, c'est le chantier Structures qui lui met le pied à l'étrier avec le Pogo 8.50. Ce bateau signera sa renommée.
"Après le Pogo 1, Structures voulait construire un bateau de croisière plus grand, rapide et un peu fun. Il n'y avait rien sur le marché à l'époque. Il y avait soit des bateaux de croisières, soit des bateaux de type IOR (NDLR : jauge avant l'ORC) pour faire de la régate entre 3 bouées. Ça marchait bien au près mais pas au portant. Tous les bateaux de régate étaient très influencés par cette jauge."
En 2000, le Pogo 8.50, premier croiseur inspiré des Mini de série avec ses doubles safrans et son cockpit très ouvert tire ses premiers bords.
"J'ai continué à décliner ce genre de bateau, plus ou moins spartiate. Aujourd'hui, quand on prend un Django ou un Mojito, ils sont confortables, légers et permettent de faire de la croisière confortablement. Les premiers étaient plus "agricoles". Ils naviguent toujours et les gens qui les possèdent sont super contents."
Dans le portfolio de Pierre Rolland donc uniquement des voiliers, dont un multicoque, le seul de sa carrière. Il dessine pour un ami a construit le prototype du Bongo, un trimaran repliable de 8 m pour faire de la croisière. Finalement, le Bandit 800 est construit en série, à 5 ou 6 exemplaires.
Coureur au large et architecte naval
S'il dessine des bateaux, Pierre Rolland ne renonce pas non plus à ses premiers amours, la course au large. Ainsi, il a toujours travaillé seul, s'associant à d'autres architectes – Pierre Delion notamment – pour projets de grande envergure ou des projets one-off.
"Je fonctionne comme Sam Manuard, je suis tout seul. On a été coureurs au large tous les deux. J'ai fait 4 fois la Solitaire du Figaro. Je n'ai pas choisi de devenir architecte naval. Et l'être à plein temps, c'était renoncer à naviguer. Aujourd'hui, je ne cours plus. Ma dernière course c'était la Mini 2009 sur un D2, mon 3e Mini de Série. J'ai toujours navigué sur les bateaux que j'ai dessinés."
Des chantiers fétiches
À 60 ans passés, Pierre Rolland en a terminé avec les one-off – projets trop compliqués financièrement parlant - se concentrant sur ses collaborations avec les chantiers IDB Marine et Marée Haute. Il s'est également construit son bateau de croisière de 12 m, conçu à partir d'une coque de Fabulo.
"Ça me tenait à cœur de construire un bateau de croisière. Il est à l'eau depuis la fin 2020, je le fignole. On a déjà fait 2 sorties avec. Il est construit sur les moules de coque du Fabulo. Mais j'ai fait autre chose au niveau du pont et des aménagements. C'est un bateau de croisière rapide pour aller se promener."
Quels conseils pour devenir architecte naval ?
"Il doit avoir fait du bateau. C'est mieux. De la croisière ou de la course. On peut commencer par de la course et après dessiner des bateaux de croisière, mais l'expérience de la navigation est primordiale. Ensuite une assise technique n'est pas stupide. Mieux vaut avoir fait une école d'ingénieurs plutôt que les Beaux-Arts, même s'y certains s'y sont mis. Ou avoir fait une école d'architecture DPLG. La majorité est aujourd'hui ingénieur. Il y a peu d'écoles spécifiques, comme pour les archis DPLG. La seule chose qui définit l'architecte naval c'est le fait qu'il dessine des bateaux.
Il doit aussi faire preuve d'esprit de synthèse, être capable d'écouter les autres. La naissance d'un bateau se fait en équipe. Il faut un architecte, un chantier ou un client et calculateur."