Des débuts sur le circuit Mini 6.50
Pour Sam Manuard, la voile est un héritage familial. D'abord celui de son grand-père, qui avait construit un dériveur en contreplaqué, puis de son père qui a construit un bateau en acier à la fin des années 70, pour y embarquer en voyage sa famille.
"L'intérêt pour les bateaux à voile, leur construction et leur utilisation est une suite familiale. J'ai un peu pris le virus grâce à eux."
Sam démarre l'architecture navale en se dessinant un Mini 6.50, le TipTop650, puis en le construisant. Il participe d'ailleurs à son bord à toutes les courses du circuit avant de prendre le départ de la Mini Transat 2001. Une course qui se passe plutôt bien et qui lui donne envie de continuer dans cette voie.
"Sébastien Roubinet, qui est un bon copain, m'avait donné un super coup de main sur la fin de la construction de mon bateau. Il avait aussi ce projet de faire la Mini Transat. Je lui ai donné les plans de formes de TipTop, un peu évolués, et il l'a construit. C'est comme ça que je me suis de plus en plus impliqué dans le métier d'architecte naval."
Pour la Mini Transat de 2003, il construit d'ailleurs 3 "protos".
"C'est comme ça que tout a commencé. C'est à partir de ce moment que j'ai pris le virage. J'avais un premier métier de géophysicien, et je me suis complètement impliqué à la fois dans des projets de course à la voile et des projets d'architecture navale. Ce que je fais toujours courir et dessiner"
"Courir et dessiner"
Sam Manuard fait donc ses débuts sur le circuit Mini 6.50, avant de naviguer en Figaro, en Maxi, en ORMA, en Multi60, en Class40, en Multi50 et plus récemment en IMOCA.
"Presque tous les coureurs font leurs armes en Mini 6.50. J'ai suivi cette école de formation qui est géniale. J'ai appris plein de choses : à me débrouiller, à dessiner, à analyser, à les construire. C'était très riche.
J'ai eu la chance de pouvoir tester plein de supports différents, pleins de bateaux. Ça amène à se poser plein de questions sur leur fonctionnement, sur ce qui est important, transposable d'un bateau à l'autre… Ça nourrit la réflexion de naviguer sur des bateaux qui sont différents."
"Une formation peu académique"
C'est donc "sur le tas" que Sam Manuard se forme au métier d'architecte naval. Même si sa formation en géophysique lui apporte cet aspect scientifique, commun aux deux métiers.
"Il y a un aspect lié au dessin, aux formes, aux volumes, à l'appréciation… Ça ne s'apprend pas forcément dans les livres ni sur les bancs de l'école. La construction des bateaux donne un bon aspect pratique : toucher de la matière, travailler des matériaux. Ça a été ma formation. Passer du temps sur l'eau, à naviguer en croisière avec mes parents et en course, aide aussi à se donner un bagage en architecture navale. Il faut être touche-à-tout dans ce métier. C'est une formation peu académique, mais c'est en faisant qu'on apprend."
Des projets éclectiques
Aujourd'hui, Sam Manuard s'est fait un nom dans le monde de la course au large, dessinant presque exclusivement des voiliers. Un parcours qui s'est tracé naturellement.
"Je suis très intéressé par tout ce qui flotte et tout ce qui permet de profiter de l'élément. Que ce soit sur des bateaux à rame, de loisirs, d'expédition, des dériveurs, des petits bateaux à voile. J'aime toutes les sortes d'engins.
Il se trouve que les projets se sont enchainés comme ça. En le voulant, mais sans vraiment chercher à provoquer les choses. Et il se trouve que j'ai eu la chance de pouvoir bosser dans des projets de course au large. Ça m'excite beaucoup, mais j'adore aussi toutes les problématiques liées à la croisière.
Plus le temps passe, plus ce qui me plait dans le métier d'architecte naval c'est de trouver une solution à un cahier des charges donné. Que ce soit sur un bateau à moteur ou autre chose."
Outre ses projets de course au large, Sam Manuard travaille également avec des propriétaires particuliers, mais aussi pour le chantier Bénéteau avec les Seascape.
"On va mettre à l'eau un monocoque de 72 pieds, un bateau de croisière rapide pour le chantier Black Pepper, mais dessiné pour un client. J'ai aussi fait quelques bateaux de croisières pour des constructeurs amateurs. C'est un peu, quelque part, là d'où je viens. J'essaye d'être le plus éclectique possible."
Garder sa liberté, mais travailler en équipe
Sam Manuard travaille différemment des autres architectes navals, bien souvent à la tête ou embauchés dans des bureaux d'études ou cabinet d'architecture navale. Il s'associe en fonction des projets avec les différents acteurs nécessaires à la réalisation.
"Sur les gros projets, je travaille avec des gens qui ont leur propre entreprise. On avance projet par projet selon l'ampleur. Je suis rarement seul sur un projet. Je fais appel à des gens qui ont des savoir-faire spécifiques : calcul de structure, design de foils, calculs CFD, VPP. Je n'ai pas vraiment envie d'avoir des employés, j'aime ma liberté."
"Travailler sur des concepts"
Ce que l'architecte aime par-dessus tout, ce sont le travail du début des projets, le développement de concepts.
"Lorsqu'il faut trouver les grandes lignes du bateau, trouver ce qui va être important soit pour la performance ou pour répondre au mieux au cahier des charges qui peut parfois être complexe. Il faut trouver les solutions les plus intelligentes pour répondre à la problématique. J'aime bien monter les projets. Ça me plait beaucoup, tous les échanges que l'on a pour démarrer ces projets."
Ne pas imposer ses idées et être créatif
En fonction du cahier des charges, il est important d'être à l'écoute de son client, d'une équipe, ou alors au contraire d'offrir une vision complète et libre.
"C'est très important d'être à l'écoute de son client, et de ne pas forcément vouloir imposer ses propres idées, sauf quand on le demande. Après ça peut être ça aussi le cahier des charges, avoir carte blanche. Mais parfois il faut répondre à un cahier des charges assez clair. C'était le cas avec Seascape. Faire des bateaux simples, de loisir, adaptés à un grand public.
Il faut essayer de trouver les bonnes solutions, mais aussi écouter les autres. À plusieurs on a de meilleures idées et des contributions de clients. Souvent, j'ai des clients ultras compétents, qui savent ce qu'ils veulent, qui ont de bonnes connaissances. Souvent l'échange est très riche."
Et pour répondre au cahier des charges, la remise en question et la créativité sont primordiales. Il faut pouvoir innover.
"On doit aborder une problématique sans trop d'a priori. C'est la grande difficulté. Rester ouvert et créatif. C'est dur d'être créatif. On a souvent tendance à refaire ce que l'on a fait. Se remettre en question ce n'est pas facile.
Il y a une expérience qui m'a beaucoup marqué à ce sujet. Il y a longtemps, j'ai donné des cours d'architecture navale à Montpellier, à des élèves en architecture. Ils n'avaient pas du tout d'a priori sur l'architecture navale et j'ai pris une grande claque. Je me suis aperçu que de ne rien connaitre dans un sujet permettait de l'aborder de manière beaucoup plus libre et de manière plus créative. J'essaye souvent de me rappeler ça, de garder un œil neuf sur ce que je fais."
Créer les tendances
Un des rôles de l'architecte naval est également de créer les tendances, d'innover pour trouver de nouveaux concepts, qui seront la voie à suivre.
"Il y a une part de sensitif et d'intuitif. C'est en ça que je dis que parfois il faut faire fi de ce que l'on fait ou de ce que l'on croit savoir pour se laisser plus de liberté. Il faut tester des choses. C'est important de laisser place à l'intuition. Suivant l'ampleur du projet et les moyens, on peut valider avec une démarche scientifique que les concepts vont fonctionner, pour en tout cas, limiter la prise de risque.
C'est ce qu'on fait typiquement en IMOCA. Ce sont des bateaux assez difficiles à produire. On investit dans du temps et en R&D pour valider et assurer que les concepts sont bons et que la dynamique des bateaux va être bonne. Ça réduit le risque, mais au départ il faut de l'intuition et de bonnes idées."