Une passion pour le design et l'optimisation des bateaux
Issu du milieu de la croisière et non du milieu de la course, Vincent Lebailly restaure dès son plus jeune âge des voiliers avec son père.
"Tous les 3 ou 4 ans, mon père achetait des voiliers. On a commencé par un bateau de 5 m, puis 8 m, 10 m et 11 m. Il avait la maladie du mètre de plus… Quand on achetait un bateau, on le trouvait toujours trop petit et entre 8 et 11 ans, j'ai commencé à me demander comment il était possible d'optimiser l'intérieur ou le cockpit pour le rendre plus grand."
À force de "mettre les mains" dedans et de s'intéresser notamment à la partie agencement de la zone de vie et du cockpit, sa passion lui vient assez naturellement. Si ses premiers amours concernent principalement le design, il prend goût à la conception des gréements, des carènes, au design des superstructures…
"J'étais épaté de voir ce que l'on arrivait à faire dans un petit volume au niveau de l'optimisation des espaces. À force de regarder aussi les magazines, de voir les fameux plans d'aménagements, de pouvoir comparer les différentes réalisations, ma passion s'est développée de plus en plus."
À 18 ans, après un Bac S, Vincent prend le chemin de l'Angleterre pour suivre sa formation d'architecte naval en trois ans à Southampton. L'école a une très bonne réputation et la plupart des archis navals sont passés sur ses bancs. S'il a d'abord envisagé une formation d'architecture en bâtiment ou une formation en ingénierie navale en 5 ans, il a rapidement été convaincu par les conseils des quelques cabinets d'architecture navale contactés sur le bien-fondé de Southampton.
"Je me suis rapidement rendu compte que ce métier nécessitait d'être bilingue. On passe beaucoup de temps à échanger en anglais par téléphone ou par mail et Southampton apportait également cet avantage. Dans l'ensemble, je pense que toutes les formations ont leurs avantages et leurs inconvénients. Mais dès qu'on m'interroge sur les formations pour devenir architecte naval, je conseille Southampton, comme on me l'avait conseillé. Beaucoup d'architectes navals, mais aussi de marins sont passés par cette école."
Des expériences en design et bureau d'études
À la fin de ses études, en juin 2005, Vincent intègre le cabinet de design Pierre Frutschi pour dessiner les coques des bateaux dont il en charge le design, mais aussi plusieurs bateaux one-off et de série.
"En première, je m'interrogeais sur mon avenir et je suis allée rencontrer Pierre Frutschi. On a toujours gardé le contact. C'est surement lui d'ailleurs qui m'a donné le coup de pied aux fesses dont j'avais besoin pour me lancer en tant qu'architecte naval. Pendant mes études, l'été je faisais des stages chez lui. Il n'avait pas la mission d'architecture navale, il ne faisait que le design. Et il m'a proposé d'ajouter une corde à son arc en me recrutant. C'est d'ailleurs comme ça que je me suis mis à dessiner les bateaux pour le chantier Garcia, dont Pierre avait en charge le design."
Le cabinet est racheté par Yacht Industrie, un important chantier de Caen. Vincent prend alors le poste de Directeur du bureau d'études et réalise des dessins de catamarans entre 80 et 90 pieds pendant plusieurs années.
Suite à la crise de 2008, l'entreprise ferme ses portes en 2009. Une opportunité que saisit Vincent pour créer son entreprise d'architecture navale.
Création de l'entreprise Vincent Lebailly Yacht Design
"Je n'avais pas envie de changer de région et il y avait sans doute une opportunité pour moi de me lancer. J'ai récupéré le projet de conception d'un ancien client, pour lequel on avait déjà commencé les dessins de son bateau. C'était un Garcia GY 64. Ça a été mon premier bateau en tant qu'indépendant. Et la naissance du cabinet. Ça fait 12 ans maintenant que le bureau existe.
Finalement, tout est une question d'opportunité. Après mes études à Southampton, je voulais partir en Nouvelle-Zélande pour faire un Master. Puis j'ai eu l'opportunité d'intégrer le bureau de Pierre Frutschi. Puis ensuite Yacht Industrie et enfin d'ouvrir mon propre cabinet."
Bateaux de série et bateaux à l'unité
Aujourd'hui l'activité du bureau d'étude se concentre sur la conception de bateaux de série et de bateaux à l'unité, majoritairement à la voile (entre 90 et 95 % des projets).
"On ne pas vraiment chercher nos clients. Ce sont des armateurs qui viennent nous rencontrer avec des projets de voiliers. Déjà parce que le bateau sur mesure c'est souvent à la voile, pour des projets de grands voyages." Une expérience de la voile qui leur a d'ailleurs permis de collaborer avec le chantier Wrighton.
Outre des conceptions à l'unité, Vincent Lebailly dessine aussi les Paroa 34 et Garcia 64 avant de se voir confier le dessin d'autres chantiers.
"Depuis quelques années, on travaille avec de nouveaux clients comme Iguana, Wettoncraft, des bateaux amphibies à moteur… On a aussi dessiné le 60 pieds Open de Norbert Sedlacek pour sa tentative de record. C'est notre seule expérience du bateau performant. On a eu quelques skippers pour des projets Class40 ou Mini mais ce sont des projets qui prennent du temps, qui nécessitent beaucoup d'investissements financiers. On a également une nouvelle marque de catamarans, Adelaïde Yachts, qui sera construit en Europe de l'Est.
Le bateau de série représente une part de plus en plus importante de notre activité. C'est une bonne manière d'assurer la continuité de notre activité. On alterne les bateaux sur mesure qui ont marqué le début de notre activité et les bateaux de série, pour lesquels on s'équipe de plus en plus au niveau des outils de conception."
De l'innovation et du bon sens
Si les dessins se font majoritairement en collaboration avec les chantiers, le cabinet essaye d'apporter un maximum d'innovation dans ses propositions. Les projets sont gérés par les 4 membres de l'équipe pour que chacun apporte sa touche et son expérience.
"On essaye à chaque fois, notamment pour les bateaux de série, d'apporter une notion très forte d'innovation, parce qu'on est une équipe jeune. On propose une ergonomie différente, un confort différent… Et c'est surement cette fraicheur qui plait à certains chantiers. On travaille de manière très transversale. On joue avec les compétences de chacun. J'aime que chacun puisse donner son avis et passer sur tous les projets même s'ils ont leur spécificité : ingénieur/mécanique du bord, design extérieur/ergonomie du plan de pont…"
Si les chantiers ont des idées arrêtées sur les projets à mener, les armateurs privés se scindent en deux catégories. Ceux qui font complètement confiance et se fient aux conseils de l'agence et ceux qui savent où ils veulent aller.
"C'est ce qui rend le métier difficile en termes de charge de travail. Soit on va dessiner le bateau en peu d'heures, car on fait ce que l'on veut, soit on va passer 10 h à dessiner un petit balcon. C'est passionnant aussi. On a vraiment à faire à des gens qui ont toujours le sourire, car ils dessinent l'objet de leurs rêves."
Si l'innovation est le leitmotiv de l'agence, Vincent rappelle que la qualité principale d'un architecte naval reste le bon sens.
"Dans le sens où il faut arriver à trouver des choses innovantes et intéressantes, mais qui restent faisables, intelligentes et qui vont perdurer dans le temps. On sait que sur un bateau, les choses vieillissent plus vite. Il faut aussi tenir compte de la sécurité, en maitrisant l'innovation. Finalement, on essaye de faire des choses simples, cohérentes. On essaye de bousculer un peu les codes, mais sans aller vers des choses non testées au préalable ou précaires."
Bousculer les codes
Le cabinet travaille sur des projets innovants en termes d'intérieur et d'ergonomie, comme sur l'Adélaïde, au niveau du design extérieur.
"Il faut quand même garder une certaine logique, un certain bon sens et ne pas aller dans l'extrême, dans le sens où un armateur ne se verra pas naviguer sur son bateau. Le nautisme est un milieu assez conservateur même si les formes de coque ont évolué depuis 50 ans. J'aime bien propose des nouvelles innovations, mais en restant sur des choses simples ne pas que les prix s'envolent.
Pour l'Adélaïde, on a voulu casser les codes. On a un roof inspiré de l'automobile, mais on a gardé un plan de pont ergonomique pour la sécurité et les manœuvres. La plupart des catamarans de grande série ont des formes de rouf ou de casquettes assez similaires, même notre vision d'architecte nous permet de faire la différence.
Bousculer les codes de l'ergonomie et du design c'est ce que j'aime beaucoup dans le métier d'architecte naval."