Avant d'être l'épouse de Jean, Anne Le Cam est avant tout une femme, active, vivante et sémillante. Elle a la capacité de parler à la fois de l'amour pour son roi, des promenades de ses chiens et de la manière dont elle gère les relations qu'elle a avec les partenaires de son navigateur d'époux. À son âge (la décence et le savoir-vivre ne nous autorisent pas à aborder l'âge des dames), Anne n'en est pas à son premier départ de tour du monde, c'est presque en vieille routarde des mers qu'elle a eu la gentillesse de discuter avec nous.
Quelques jours pour amerrir ou atterrir
Trois jours après le départ du Vendée Globe 2020, maintenant que Jean Le Cam a pris la mer, Anne nous explique qu'elle s'est octroyée quelques jours de repos, avec sa famille, dans les landes avant de remonter avec sa maman en Bretagne. Elle gère le quotidien, les animaux et le chantier, pendant que le navigateur dont elle partage la vie s'amuse en mer. Les derniers mois ? "Beaucoup de stress, l'incertitude quant à la date du départ, si départ il y aurait, de la course. Et les difficultés, aussi, à rencontrer les partenaires et la famille. La crise sanitaire nous a amené à fonctionner différemment tous ensemble, nous ne pouvons nous rencontrer que si c'est nécessaire. C'est compliqué pour moi, qui suis une Humaine avant tout. J'aime le contact et les relations avec les autres, j'en suis privée depuis un moment".
Tout pour le bateau
Durant toute la phase préparatoire à la compétition, le skipper et son épouse sont restés aux Sables-d'Olonne. "Jean avait besoin de rester proche de son bateau, proche de son équipe", explique-t-elle avant de poursuivre, "Les 3 dernières semaines avant le départ sont un processus de préparation qui fait déjà partie de la course. La concentration, le repos, les habitudes se modifient. Et le temps passe, il file même. À peine le temps de se dire que le départ est dans une semaine qu'il est déjà sur le pont, sur le point de franchir la ligne de départ."
Arrive le moment du départ
Un moment de mélancolie ou de tristesse au départ de son mari ? Anne nous explique : "C'est mon 7e départ de tour du monde, j'ai l'habitude de le voir partir et de savoir qu'il va revenir. Je ne me prépare pas spécialement, je reste dans l'action. Je n'ai pas le temps de la mélancolie ou du coup de blues, j'ai le chantier à gérer et je ne suis jamais toute seule. Puis, je travaille avec Jean au quotidien, nous sommes en contact par Skype au moins deux fois par jour", nous explique-t-elle.
Radio Ponton
Lorsqu'elle a son amoureux au téléphone, Anne ne fait pas que parler bateau. "Je lui donne l'actu de la course et celle du monde. Surtout, je fais radio ponton avec lui, on discute des cancans et des potins du Vendée Globe. Au téléphone, nous sommes comme dans la vie normale, un couple qui discute. Que Jean soit en mer ne change pas grand-chose en fait, certaines femmes sont mariées à des routiers qui découchent souvent, moi, c'est un marin."
Chaque matin, elle consulte les informations de position fournies par la course. Comme elle nous l'explique : "Les terriens dorment la nuit, c'est assez agréable, au lever, de ne pas avoir été réveillé par la direction de course et de constater son avance."
Des risques assumés et connus
Justement, les risques, une femme de navigateur les vit et les connaît. Ici encore, Anne a sa philosophie bien à elle : "J'ai épousé un coureur - un vrai, ça ne sert à rien de pleurer avant d'avoir mal. Jean est un constructeur dans l'âme, il connaît chaque millimètre de son bateau, chaque son et chaque défaut. Il connaît absolument tous les secrets de son bateau. J'ai donc un devoir de confiance absolue et aveugle dans mon mari. Je ne pense pas aux risques, ils sont consubstantiels de son métier, c'est ainsi."
Mais le rôle de "Femme de" ne signifie pas qu'Anne ne s'implique pas dans le bateau, au contraire. "J'ai le titre pompeux de Directrice de Projet. Autrement dit, je m'occupe de tout ce qui n'est pas technique, depuis la communication jusqu'aux fournisseurs, en passant par les partenaires et le coup de balais dans l'atelier le soir. Et je gère les chantiers aussi. Je ne reste pas à attendre le retour de mer de mon bien-aimé, je suis active et j'avance en permanence", nous explique celle qui refuse qu'on la qualifie de la femme du marin qui attend patiemment le retour de son bien-aimé sur le pas de la porte.
S'appeler Le Cam, un nom pas toujours facile
À une époque de compétition à outrance à tous les niveaux, on pourrait penser qu'être une pointure comme le Roi Le Cam faciliterait les relations avec investisseurs et partenaires. Anne Le Cam nous explique qu'en fait, le contraire se passe : "Le nom Le Cam est vu comme intouchable. Les partenaires n'envisagent même pas de pouvoir participer aux aventures de Jean, convaincus que la marque vaut de l'or. Nous gardons donc nos partenaires historiques, avec lesquels nous faisons en sorte de conserver les meilleures relations humaines, qu'ils soient ou non encore à nos côtés."
La voile fait de plus en plus peur
Anne ajoute en complément "La voile fait de plus en plus peur. Les évolutions récentes apportées aux bateaux font que, d'une manière ou d'une autre, il y aura de la casse, au moins matérielle. L'IMOCA veut que les bateaux volent, les bateaux volent", nous explique-t-elle. "On va trop vite, trop haut et trop loin. La classe IMOCA reproduit les erreurs de la classe ORMA, dont les abus avaient créé la situation ubuesque de la Route du Rhum 2002 [NDLR 15 abandons sur 18 concurrents en course]. Les drames humains sont au coin de la rue, c'est malheureusement écrit. Jean me raconte souvent un planté qu'il a réalisé à 20 nœuds seulement. Il a vu son fauteuil arraché, le cockpit du bateau en vrac et aurait pu se blesser gravement. Que se passera-t-il à 30 ou 40 nœuds ? Le bateau résistera peut-être, mais dans quel état sera le skipper ?" Et de conclure : "Un tour du monde ne peut pas n'être qu'une course de vitesse, c'est une question de stratégie et de savoir-faire, le fameux bon sens marin que les navires actuels n'autorisent plus. Un tour du monde n'est pas un laboratoire, il y a des épreuves faites pour cela, certainement pas le Vendée Globe."
Philosophe néanmoins, Anne Le Cam conclut, "les membres de l'IMOCA ont voté pour une direction dont les objectifs étaient clairs. Il faut donc croire qu'une majorité voulait aller dans cette direction." S'appeler Le Cam, c'est, aussi, avoir une vraie liberté de parole. Liberté dont se vante l'épouse du navigateur d'ailleurs "Nous sommes libres, c'est un luxe que de l'être, ça coûte cher. Comme tous les luxes !"
Une compagne passionnée elle aussi par la mer ?
À l'entendre, on pourrait penser qu'elle est une passionnée de la mer. Le "Oh que non !" qu'elle nous apporte comme réponse est sans appel, Anne n'est pas une navigatrice "Moi, ce sont les bois, les forêts, les lacs et les cueillettes de champignons. Quand il fait beau, un tour en baie de Concarneau, pourquoi pas, mais pas de tour du monde, encore moins en couple. Il ne me supporterait pas et l'un de nous deux passerait par-dessus bord." Vie de couple partagée et corollaire pour le navigateur, semble-t-il "Jean ne viendrait pas plus en forêt que j'irais sur l'eau" explique-t-elle avant d'éclater de rire !
Conseil aux autres compagnons ou compagnes de navigateurs ?
Cette expérience de voir son époux partir puis revenir fait de Madame Le Cam une référence pour les femmes de skippers, aussi a-t'elle quelques conseils à prodiguer aux débutantes sans doute ? "Nous sommes toutes si différentes, chacune doit gérer la course de son compagnon selon son caractère, ses envies et son appréhension éventuelle." Elle donne un conseil néanmoins "Restez dans votre vie, ne soyez pas dans l'ombre de l'autre, ce sont des métiers passions et la passion mange le quotidien. Vivez vos vies et soyez dans vos propres pas. Les navigateurs sont des passionnés, des artistes mêmes et comme des peintres, des danseurs ou des coureurs à pied, ils ne comprennent pas qu'on ne respire pas peinture, danse ou course à pied." Le rythme de vie est calqué sur l'autre, il faut s'y faire, semble-t-il. "Nous ne sommes pas parties plus de deux fois une semaine en vacances ces dernières années, et peut-être un week-end. À peine revenus, on parle de nouveau bateau et course au large."
Et la communication alors ?
Les époux que sont Anne et Jean depuis plus de 20 ans ont sans doute de petits secrets de communication lorsque l'un est à l'image sous les projecteurs et que l'autre regarde son aimé ? "Non, aucun. Nous avons et payons notre liberté, dans le respect des règlements et des contraintes. Si nous avons quelque chose à dire, on le dit. Sans éléments de langage ni armée de marketing. Nous sommes dans la simplicité du verbe juste et du mot précis, sans détour."
D'inévitables moments de stress
Il y a néanmoins inévitablement un moment de stress pour l'épouse dans toute la course, tout ne peut pas être abordé sereinement, bien sûr. Dans le cas d'Anne, il est bien surprenant "Le seul stress que j'ai, avant le départ, c'est de rejoindre le semi-rigide. Je n'aime pas ça, j'ai toujours peur de tomber à l'eau. J'admire les sauteurs Hugo Boss, belle cascade, j'essaie toujours de le faire alors que les caméras regardent ailleurs. Je confirme, je ne suis pas à l'aise sur l'eau !"
Traditions de retrouvailles ou de départ
Les traditions existent néanmoins et le navigateur célèbre comme il se doit le retour à terre après chaque course. Néanmoins, nous explique Anne "Nous n'avons pas de rituel, nous nous amusons, entre amis. Nous avions notre petite tradition, avant, un petit restaurant aujourd'hui fermé des Sables-d'Olonne. Nous voulons avant tout nous faire plaisir l'un à l'autre. Il y a 4 ans, par exemple, j'avais fait la surprise à Jean de le charger dans le master et de le conduire retrouver un ami à Brest, peu avant le départ de la course, après une très grosse fête entre amis. Pas de protocole ni d'organisation spéciale, juste du plaisir et un bon moment partagé avec ceux qui s'apprécient." Liberté encore une fois, ce mot semble guider le couple. "Au retour, chacun prend le temps de laisser l'autre venir dans le monde, Jean atterrit doucement, à son rythme. Et à son âge, l'atterrissage prend de plus en plus de temps" explique Madame Le Cam dans un éclat de rire dont elle a le secret.
Des relations toujours humaines et justes
Responsable des partenariats et des relations média, Anne aborde ici aussi les choses avec la simplicité qui les caractérise, elle et Jean "Nous ne sommes pas accompagnés par un gros service marketing chez Accor. Ce sont les franchisés qui font le partenariat et nous les rencontrons en direct. C'est un souhait que nous partageons avec Accor. Qu'il s'agisse d'un franchisé propriétaire d'un première classe comme du propriétaire de dix hôtels Mercure, il a le même taux d'implication dans le projet, il mérite les mêmes relations avec nous. Nous fonctionnons de la même manière avec le Crédit Agricole, un partenaire de longue date. Nous connaissons en personne les salariés de la caisse régionale. Jean comme moi voulons créer des relations avec les personnes, avec des personnes, pas uniquement avec des sponsors qui paieront la plus grande surface de voile."
Liberté, encore et toujours
Toujours cette liberté, d'accepter ou de refuser un partenaire, voir d'en ajouter un, qui ne demande rien et ne donne rien en échange "Nous accompagnons INOVEO, le fond de dotation du CHRU de Brest." INOVEO a pour objectif de soutenir les établissements hospitaliers et améliorer la prise en charge, la qualité de vie et le confort des patients d'une part, d'autre part de soutenir et financer toute action de recherche clinique ou fondamentale permettant d'accélérer le déploiement de la médecine de demain. Un partenariat fait de cœur, comme le sont ces deux personnages.
Apporter du bonheur
La conclusion, nous la laissons à Anne "Nous sommes heureux d'apporter un peu d'évasion aux gens. On a tous besoin de voyager en ce moment, nous sommes très fiers d'apporter un peu de dépaysement à celles et ceux qui sont contraints de rester là où ils sont, enfermés, parfois malades." Le credo de ce drôle de couple d'une terrienne et d'un marin ? "L'humain, l'humain et toujours l'humain !"