La collision avec un cétacé, importante cause d'abandon des coureurs

Des navires toujours plus rapides et présentant de moins en moins de frottement sur l'eau sont nettement moins détectables par les cétacés qui, de fait, ne se déplaceront pas et risquent d'être percutés par les géants qui parcourent les océans. Quelles solutions sont proposées par la technologie pour ne pas courir tout droit à la catastrophe ?

La problématique du bruit des bateaux est une réalité à prendre en compte, notamment dans la perspective de diminuer le nombre d'impacts entre les navires des concurrents et les cétacés. Trop bruyants, ils attireront la curiosité de certaines espèces telles que les cachalots, les baleines à bosse, le rorqual commun éventuellement la baleine bleue qui viendront aux nouvelles, voir ce dont il s'agit et se rapprochant, risquer l'accident. Trop silencieuses, les étraves ne préviennent pas les animaux qui ne se détourneront pas. Ce sont les explications apportées par Olivier Adam, bioacousticien, Professeur à l'Université de la Sorbonne, spécialiste des émissions sonores des cétacés.

Le bruit, attirant ou repoussoir des cétacés

Ce spécialiste a collaboré avec Fabrice Amedeo, skipper du bateau Newrest – Art & Fenêtres sur le Vendée Globe 2020, afin de chercher des solutions pour contrer ou détecter les risques de collision avec ces animaux peuplant nos océans. Il explique que tout navire dispose d'une signature acoustique (c'est d'ailleurs cette signature que recherchent les sous-mariniers pour identifier les bâtiments) que constitue son bruit naturel (frottement de la coque sur l'eau, bruit du mât, retombée sur l'eau du bateau …). Pour éloigner les cétacés, il peut faire sens d'ajouter du bruit. Dans d'autres cas, si la signature acoustique du bateau est faible, mieux vaut ne pas en ajouter.

C'est pour valider ou non ce postulat de base que Fabrice et Olivier ont procédé à une série d'enregistrements du monocoque Newrest – Art & Fenêtres au moyen d'un hydrophone. La surprise est venue du peu de bruit engendré par l'IMOCA. Le skipper du bateau explique : "Le résultat de cet enregistrement est toutefois à relativiser : le bateau avançait à une vitesse moyenne sur mer plate." Olivier Adam ajoute "C'est plutôt une bonne nouvelle parce que c'est un indicateur de performance, d'abord, et parce que le bateau de Fabrice ne devrait pas attirer les cétacés puisque très silencieux et considéré comme furtif dans ces conditions de mer plate et vent moyen". Mais il s'interroge : "Un doute sur la génération acoustique persiste, notamment sur les différences qu'il pourrait y avoir entre les catégories de bateaux et selon l'état de la mer et les conditions météorologiques. Il serait intéressant de refaire des enregistrements acoustiques pour tenter de mettre en évidence des sons spécifiques (les sifflements, frappes de la coque dans les vagues, transmission du bruit du mât à travers la coque) qui pourraient attirer les cétacés."

Systèmes anti collisions

C'est pour éviter autant que possible ces collisions que Fabrice a équipé son bateau de deux systèmes anti collision, l'un actif et l'autre passif.

OSCAR
Oscar

Le Passif, nous vous le présentons dans ce sujet, c'est Oscar, le détecteur de collision développé par BSB Marine qui a la capacité de détecter le corps d'un cétacé à environ 600 mètres de distance à condition qu'il soit au ras de l'eau (cétacé qui sommeille à fleur d'eau par exemple). À propos d'Oscar, Fabrice nous explique : "Si Oscar détecte un animal ou un objet à la surface de l'eau, sur la route du bateau, une alarme se déclenche instantanément. C'est un outil relativement récent qui compte beaucoup sur l'acquisition de données. En somme, plus il y a de bateaux équipés, plus il sera performant." 18 des 33 bateaux alignés sur la ligne de départ du Vendée Globe 2020 sont équipés de ce système.

L'actif, Whale Shield, vise à écarter les cétacés à proximité. C'est sur l'initiative d'Alex Thomson qu'une seconde solution a été proposée aux skippers. C'est un "pinger" installé à l'avant du bulbe de quille à 4,50 mètres de profondeur, qui émet un ultrason supposé écarter les cétacés. Proposé par la société australienne Future Oceans, inventé initialement pour éviter aux dauphins de venir s'emprisonner dans les filets de pêche, Whale Shield va équiper 5 bateaux au départ de la course des IMOCA 2020. Des questions se posent néanmoins sur ce système à propos duquel peu de retours d'expérience existent. La pertinence de le mettre en fonctionnement ou non se pose. Émettre des ultrasons peut repousser des espèces, mais aussi créer un bruit attirant la curiosité pour certaines autres espèces d'animaux marins.

L'émetteur Whale Shield
L'émetteur Whale Shield

Chaque espèce aura un comportement différent face au bruit

Olivier Adam explique qu'existent 89 espèces de cétacés, toutes ont des réactions différentes : "Certaines fuiront les bateaux entendus tandis que d'autres viendront les observer. C'est un vrai sujet sur lequel les scientifiques travaillent depuis les vingt dernières années. En course au large, il s'agit de comprendre comment se passent les collisions avec des bateaux potentiellement silencieux et furtifs. Fabrice a cette démarche constructive. Il comprend la mer, les problématiques sur l'environnement, donc je trouve que c'est réellement très intéressant."

Les collisions, réalité reconnue

Les collisions entre navires et animaux sont une réalité chez tous les skippers qui s'apprêtent à parcourir les mers du globe. Dans le jargon, on les appelle des OFNI, responsables de nombreux abandons dans l'histoire de la course océanique. Il peut s'agir de bouées, de billes de bois, d'épaves ou de conteneurs... Mais dans la majorité des cas, ce sont des cétacés, vivants, comme nous l'explique le skipper "Il y a une vraie omerta sur le sujet. Les chocs avec les cétacés sont malheureusement fréquents et, à chaque fois, les marins invoquent un choc avec un OFNI pour des raisons d'image. Nous ne voulons pas passer pour des tueurs de baleines. Je pense au contraire qu'il faut en parler, car si 30 IMOCA lancés autour du monde n'échappent pas à des chocs avec des cétacés, qu'en est-il de la flotte de commerce mondiale ?".

C'est pour parer à cette menace pour les habitants des fonds comme pour les marins que les skippers de la classe IMOCA sont de plus en plus nombreux à s'équiper. Initiative que ne manque pas de saluer Catherine Chabaud, première femme à avoir bouclé le Vendée Globe et aujourd'hui députée européenne qui explique "Le sujet des filets de pêche et de la protection des dauphins est une préoccupation de la Commission européenne et notamment du commissaire européen à l'Environnement, Virginijus Sinkevičius, qui a lancé un groupe de travail auquel je participe. Pour les cétacés, le sujet est également très important et la course au large a un rôle à jouer en termes d'exemplarité, mais aussi dans la recherche de solutions innovantes qui pourraient ensuite être déployées sur les navires de commerce. J'avais lancé un groupe de travail sur le sujet avec des skippers au ministère de l'Écologie après le dernier Vendée Globe, et c'est une réelle satisfaction de voir que les marins prennent le sujet à bras-le-corps aujourd'hui et vont plus loin."

Risque évidemment humain

Au-delà de la préservation nécessaire des espèces, c'est avant tout la sécurité des navigateurs de ces courses océaniques qui est menacée. On ne citera que quelques-uns des drames récents: La Volvo Race au cours de laquelle le navire ABN Amro One a heurté une baleine et détruit la dérive, Jean-Edouard Criquioche qui a eu la peur de sa vie en heurtant un cétacé au cours de la Route du Rhum 2010 ou encore Kito de Pavant contraint, en décembre 2016, d'abandonner son navire après une collision dont on a su quelque temps après, qu'elle avait eu lieu entre un cétacé et son monocoque, Bastide Otio. Ces dispositifs permettant de détecter et éviter ces collisions sont donc une bonne chose pour tout le monde, cétacés compris.

Les évolutions structurelles des navires engagés, notamment la présence des foils, créent des bateaux de plus en plus rapides et dont l'empreinte sur l'eau est de plus en plus large. Foils compris, certains navires mesureront plus de 12 mètres de largeur. Autant de potentialités de rentrer en collision avec un OFNI ou un animal. Un choc qui avec les vitesses atteintes aujourd'hui (on parle de près de 40 noeuds ici) peut provoquer à la fois des dégâts au navire et de graves blessures au skipper.

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