Le Vendée Globe, la sacralisation de la course au large en solitaire
C'est par le biais d'un stage en Optimist durant les vacances que Charlie Dalin découvre la voile. S'en suivront plusieurs années en 420, beaucoup plus "fun". Après ses études scientifiques au lycée, il s'envole pour l'Angleterre pour suivre une formation d'architecte naval. Il n'en oublie pas pour autant la voile, participant à des régates sur le Solent.
À son retour, il alterne missions d'architectures et courses à la voile. C'est d'ailleurs sur sa première Mini Transat en 2009 qu'il confirme sa passion pour le solitaire.
Après plusieurs années sur le circuit Figaro, il est désormais l'heureux skipper de l'IMOCA à foils Apivia mis à l'eau en août 2019. Et il s'apprête à prendre le départ de son premier Vendée Globe, qui sacralise toute sa passion pour la course en solitaire.
"La navigation en solitaire, la course au large en solitaire, c'est ce qui me plait par-dessus tout dans toutes les disciplines de la voile. Le Vendée Globe, c'est clairement la course ultime en solitaire, la plus longue, la plus engagée en course au large. Je la suis depuis longtemps. Elle me fait rêver depuis longtemps. C'est un objectif, même si je ne sais pas exactement depuis combien de temps."
C'est l'édition de 1996 qui marque le début de son attrait pour cette course. Il a 12 ans et sa mère lui offre le livre de la course, qu'il passera son temps à lire et relire. Dans les magazines, il dévore les récits et sauvetages de la course.
Grand sportif, il vient chercher sur ce Vendée Globe la performance et le dépassement de soi.
"Je viens chercher une course longue. Je n'ai jamais passé plus de 3 semaines en mer, je vais multiplier par 3 et demi cette durée. Faire un tour du monde, en soi, ce n'est pas rien. Même en 2020, ce n'est pas anodin. Il y a des phases du parcours qui me font rêver."
Comme beaucoup de bizuths, il a hâte de découvrir les mers du sud qu'il ne connait qu'à travers les récits, les discussions, les livres. Et de passer le mythique cap Horn.
"La régate d'un point de vue performance m'attire aussi. Se confronter aux autres bateaux rapides, gérer leur stratégie, la tactique, la préservation du matériel, voir quand attaquer, quand lever le pied. Le sens marin est encore plus présent sur le Vendée Globe."
Apivia, un bateau bien né
Et justement, il devra en faire preuve de sens marin, puisqu'il est l'un des 8 skippers à naviguer sur un foiler de dernière génération. Apivia est un plan Verdier dont la conception/construction a duré un an demi. Mis à l'eau en août 2019, Charlie Dalin a pourtant déjà parcouru 20 000 milles à son bord.
"Je me suis beaucoup impliqué dans la conception. C'est un bateau qui se veut polyvalent. On n'a pas voulu mettre toutes nos billes sur une allure particulière. Il est facile à mener en solitaire. C'est un des premiers bateaux de dernière génération avec un cockpit protégé, complètement fermé. On avait étudié le même style de cockpit intégré à l'intérieur du bateau, comme celui d'Hugo Boss, sans savoir qu'ils avaient fait ce choix. Finalement, on a opté pour une version un peu plus dans le compromis. Il est un peu plus à l'arrière, mais complètement fermé, car Apivia est un bateau très rapide et humide."
Cet été, le chantier a porté sur le changement d'étrave, désormais plus spatulée pour améliorer les performances au portant. Un gros travail ergonomique a également été réalisé pour apporter plus de confort à bord, et notamment pour la gestion du sommeil.
"Un des gros enjeux de la course c'est de réussir à avoir du sommeil de qualité, profond. C'est important. À bord tout va dans le mauvais sens pour obtenir ce sommeil profond. Il y a les bruits, les chocs, l'humidité, les situations anxiogènes quand on avance très vite, la chaleur. Au vu de la taille des foils, on savait que le bateau allait aller très vite et que le confort allait beaucoup en pâtir."
Si toute l'équipe a travaillé pour améliorer le confort à bord cet été, la question du sommeil avait été réfléchie avant la mise à l'eau. Charlie Dalin a testé différentes solutions de matelas, de pouf, de siège ergonomique.
"On a tout essayé. On a notre version finale. J'espère que ce sera la bonne. Sur la Vendée Arctique, on a eu quelques phases de vitesse, mais ça n'a pas dépassé quelques heures. Donc pour l'instant, je n'ai pas pu tester cette solution de repos sur de très longues périodes."
Même si c'est son premier Vendée Globe et que la mise à l'eau de son bateau est récente, Charlie Dalin figure parmi les favoris. Il faut dire qu'il est l'un des rares skippers de foilers de dernière génération à n'avoir pas eu de dégâts majeurs sur son bateau.
"Apivia, on l'a voulu bien né. C'est plus facile à dire qu'à faire. Mais on a réussi à ce que le bateau fonctionne bien dès le début. On n'a donc pas été perturbé dans notre programme de nav'. C'est un cercle vertueux. On peut naviguer plus, donc en naviguant plus, on débugge plus le bateau. Ça nous laisse plus de temps. Le bateau n'a jamais été immobilisé au ponton pour des problèmes de structures. Plus de navigation, c'est plus de fiabilisation."
Un an et demi de fiabilisation
Depuis un an et demi donc, le skipper a beaucoup navigué sur son bateau. Même si l'année passée s'est jouée à la course contre la montre.
"On a mis le bateau à l'eau en août et on prenait le départ de la Transat Jacques Vabre le 25 octobre 2019. L'équipe a joué un rôle important en fournissant un travail énorme dans la mise au point du bateau. On naviguait souvent les weekends, comme ça l'équipe pouvait réattaquer la semaine. On y a laissé de longues soirées, des démarrages très tôt le matin, de long weekend."
Un travail de longue haleine puisque Charlie Dalin remportait la Transat Jacques Vabre et son bateau ne déplorait aucune avarie. Il en profitait d'ailleurs pour rentrer en solitaire du Brésil pour se frotter à ce type de navigation.
"Cette année, toute la liste de chose à tester et à valider n'a pas changé. On a eu forcément moins de temps à cause de la crise sanitaire. On a eu moins de temps sur l'eau pour faire tout ça avec la deadline incompressible du Vendée Globe. C'était beaucoup de travail pour l'équipe, un gros investissement pour que le bateau soit prêt."
Grâce à ce travail d'optimisation et de fiabilisation, et son implication dans la construction grâce à son bagage d'architecte naval, Charlie Dalin connait son bateau sur le bout des doigts.
"Il a un fond de vitesse facile. On a toujours moyen d'accélérer encore, mais on atteint une vitesse satisfaisante assez facilement. Les foils fonctionnent à peu près à toutes les allures. Il n'est pas forcément le plus rapide sur certaines allures, mais il n'est jamais le plus lent non plus. La construction d'un bateau, c'est un enchainement de prises de décision. Ce sont des prototypes dont on choisit la forme de coque, le plan de pont, la forme de foils… On décide de tout de A à Z. Et chaque prise de décision est impactant, car tous les éléments sont liés les uns aux autres. C'est la spirale du design et de l'architecture.
Lors de la première navigation, j'avais l'impression de déjà le connaitre. Je sais aussi pourquoi on a fait telle ou telle chose. Il correspond à ma façon de naviguer, de fonctionner."
Un objectif de classement, pas de temps
Attiré par le solitaire et la solitude, passer 70 jours en solitaire ne lui font pas peur. C'est d'ailleurs sur les courses les plus longues qu'il se sent le mieux. Pour son premier Vendée Globe, il s'est plutôt fixé un objectif de classement plutôt qu'un temps de parcours.
"C'est une course, pas un record. L'objectif c'est donc de terminer avant le 2e. Boucler le tour du monde avec Apivia, c'est quelque chose de fort. Boucler un Vendée Globe en mode régate, qui plus est, c'est encore plus fort. Rien que ça, ça sera une très belle réussite. Je suis un compétiteur même si je pars sur cette course avec beaucoup d'humilité. C'est une course longue, je me rends compte de la durée de l'épreuve. Depuis que j'ai mon bateau, on a quand même sillonné l'atlantique en long, en large en travers, on a participé à de nombreuses sessions au Pôle Finistère de course au large. J'ai aussi beaucoup navigué de mon côté aussi. Pourtant je n'ai toujours pas réussi à atteindre le nombre de milles d'un parcours de Vendée Globe. Donner un objectif final, c'est dur. La course se déroulera comme elle se passera."
Partager ces moments de vie en mer
Même s'il est compétiteur, Charlie Dalin aime partager sa course avec les gens restés à terre. À l'aise pour réaliser des vidéos, comme il l'a fait sur la Vendée Arctique, il réitèrera sans doute sur le Vendée Globe.
"J'aime bien faire des images. Même si je suis très compétiteur, et que je navigue pour la performance, je sais aussi mesurer la chance que j'ai. J'aime beaucoup quand les conditions le permettent regarder le bateau glisser sur la mer, profiter du coucher de soleil, de cette lumière particulière. Il y a quand même souvent des conditions qui sont magiques. Sur la Vendée Arctique, on avait eu une mer plate avec du vent, ça permet d'atteindre des vitesses très élevées, avec le pont du bateau qui reste sec et sans chocs. J'ai juste simplement admiré le bateau glisser à pleine vitesse. Il est magique dans ces conditions. Je suis heureux de partager ça avec les gens."
Son pronostic du podium du Vendée Globe ?
Parmi les bateaux que je suis le plus, il y a Jérémie Beyou et Charal, Hugo Boss sur lequel il y a beaucoup d'inconnus, comme Corum. On n'a aucune donnée de performances pour ces deux-là, mais il y a des chances qu'ils soient au rendez-vous.
Il y a LinkedOut, de Thomas Ruyant, un bateau très proche du mien, l'Occitane qui est aussi performant, PRB… Samantha Davies a de bonnes phases aussi, elle est aux avant-postes.