Interview / Kevin Escoffier : "Le Vendée Globe, c'est ma première régate en solitaire"

© Yann Riou / PolaRYSE

Spécialiste de la navigation en équipage, Kevin Escoffier compte plusieurs tours du monde à son actif. Mais ce Vendée globe 2020 sera son premier tour du monde en solitaire, format qu'il a découvert il y a an et demi, en succédant à Vincent Riou à la barre de l'IMOCA PRB.

Spécialiste de l'équipage découvre la navigation en solitaire

Kevin Escoffier participe en 2020 à son premier Vendée Globe. Une décision très rapide pour ce spécialiste de la navigation en équipage, qui a notamment participé aux deux dernières campagnes de la Volvo Ocean Race, en tant qu'équipier de Dongfeng Race Team, mené par Charles Caudrelier.

"Il y a 20 ans, j'appréhendais le bateau en termes de performances. Mon objectif c'était de naviguer sur les plus beaux bateaux possible et d'aller le plus vite possible. Je n'étais pas forcément dans une optique de naviguer en solitaire."

Suite à la dernière Volvo 2017-2018, Kevin est contacté par Vincent Riou – ancien skipper du bateau - qui lui annonce qu'il est sur la short-list pour prendre la barre de l'IMOCA PRB.

"Après la Volvo, la navigation en solitaire a commencé à me trotter dans la tête. C'est la discipline phare de la course au large et ça permet de savoir ce que tu vaux. En solitaire, les échecs comme les réussites sont dus à toi. Fin 2018, j'étais sur la short-list des futurs skippers de PRB, une semaine après Jean-Jacques Laurent (Président Directeur Général de PRB) me confirmait que j'étais choisi pour reprendre le bateau. C'est allé très vite !"

Kevin Escoffier a alors quelques mois pour s'entrainer avant le départ de la Rolex Fastnet Race en août 2019.

"Ça faisait un an et demi que je pensais qu'à ça. Dans un projet IMOCA, la gestion de projets est très importante. Il ne suffit pas que de faire du bateau et de participer à des courses. Il y a toute la partie choix technique, gestion du bateau, performance, planning, etc."

L'IMOCA PRB
L'IMOCA PRB

Le Vendée Globe 2020, première régate en solitaire

Presque deux ans après la prise en main de PRB, Kevin Escoffier va participer à son premier Vendée Globe, une course mythique.

"Les Anglo-saxons ont l'America's Cup, les Jeux olympiques ou encore la Volvo Ocean Race. En France, il y a la Route du Rhum et le Vendée Globe. Quand tu vis au bord de l'eau, tu es baigné avec ces courses mythiques, tu grandis avec."

S'il compte 3 tours du monde en multicoque à son actif et 2 tours du monde en monocoque avec escale, toujours en équipage, cette envie de course au solitaire ne date que d'un an et demi. Alors forcément, le navigateur se pose des questions.

"Ça va être ma première régate en solitaire. J'ai quelques doutes même si j'ai des certitudes sur les manœuvres, sur le fait de savoir faire avancer un bateau. Je n'ai pas de gros doutes, mais j'ai dû beaucoup travailler pour rattraper mon retard sur la navigation en solitaire. Ce n'était pas facile, car avec le Covid, on a eu des transats annulées. Mais j'ai fait une transat retour en solitaire et je suis intégré au Pôle Finistère de Course au large. Je navigue en vrai solo, sans performer à bord. Je préfère tout faire en solitaire plutôt que de m'entourer de personnes qui pourraient m'aider dans les petits détails et la performance."

Grâce à ses navigations, seul, qui lui ont permis d'expérimenter le solitaire, Kevin Escoffier a découvert le plaisir qu'il pouvait en retirer.

"J'ai découvert que je prends énormément de plaisir, sur la Vendée Arctique les Sables-d'Olonne, sur le Défi Azimut. J'espère en prendre autant sur le Vendée Globe. Je suis étonnamment serein. On a convoyé le bateau hier aux Sables-d'Olonne, Jean-Jacques était à bord. La pression monte doucement. Le bateau est désormais amarré. On va peut-être essayer de naviguer 2 ou 3 fois, car rester 3 semaines sans naviguer et prendre un départ dans des conditions solides, comme c'est le cas en Automne, c'est beaucoup." 

Kevin Escoffier © Yann Riou
Kevin Escoffier © Yann Riou

Terminer la course pour faire une jolie performance

Pour ce premier Vendée Globe, le navigateur espère faire une belle régate, réussir à prendre du plaisir et réfréner son envie d'aller toujours trop vite.

"Je vais aller au rythme du bateau, sans surjouer. Je pars avec les repères que j'ai acquis en un an et demi. J'espère faire une belle course et d'abord la terminer pour faire une jolie performance. Ce n'est pas un manque d'ambitions. Si tu navigues proprement, le résultat sera au bout. Il faut accepter de perdre quelques milles sur les bateaux neufs et profiter des forces de mon bateau au portant et au près, sur les phases de VMG. C'est ce sur quoi j'ai travaillé."

Le marin ambitionne quand même de finir devant les bateaux d'ancienne génération, et pourquoi pas devant certains bateaux neufs, qui pourront être moins rapides ou plus soumis à la casse de par leur jeunesse.

"À Port La Forêt, je navigue au contact de bateaux d'ancienne génération et au contact de nouveaux foilers. J'accepte de prendre quelques milles et de garder la tête froide, de ne pas chercher certaines vitesses que le bateau ne sait pas faire ou de surexploiter la vitesse. Je vais aller chercher des coups pour régater. Le résultat se fera tout seul, la course va être longue. J'espère faire aller vite mon bateau, aligner de belles vitesses moyennes sans trop avoir de déchet. Ce n'est pas si simple que ça. C'est une question de dosage. Sur ces bateaux, tous les 3 nœuds de vent, ça change de monde. Les bateaux sont différents et doivent être réglés et ajustés de manière très fine."

Un grand coup de jeune pour l'IMOCA PRB

Depuis la prise en main de PRB en 2019, le bateau a retrouvé sa jeunesse. Il avait été prêté à Sébastien Simon (NDLR : skipper du foiler Arkéa Paprec) pour servir de bateau d'essais. L'IMOCA est un bateau de 2009, équipé de foils pour la Route du Rhum de 2018 de Vincent Riou.

"Je n'ai pas de regrets sur la préparation du bateau et sa fiabilité. Depuis sa prise en main, j'ai travaillé sur la performance avec les moyens que PRB a mis à ma disposition. C'est un bateau d'un concept léger pour pouvoir être manié en solitaire, un bateau fin. On a fiabilisé le bateau depuis l'ajout de ses foils, qui lui servent de moteur.

On a travaillé pour renforcer le bateau partout, on a revu l'ergonomie, la table à carte, allongé la casquette pour se protéger plus. On a également retravaillé le plan de voilure, les bateaux allant plus vite à certains angles de vent et l'électronique. L'accastillage qui subit d'importants efforts a également été changé.

Avec l'ajout des foils, les bateaux d'ancienne génération fiabilisés perdaient leur fiabilité. Les bateaux doivent subir des efforts plus importants générés par ces appendices, qui sont une source de performance plus importante. Finalement, c'est la génération de foils qui génère la performance sur cette génération de bateaux."

L'IMOCA PRB © Jean-Marie Liot
L'IMOCA PRB © Jean-Marie Liot

Un bateau polyvalent, un skipper qui connait le large

Si l'IMOCA PRB n'est pas le plus puissant, il est très polyvalent et efficient dans les phases de transition. "Il est performant au reaching, grâce à l'ajout des foils qui lui apportent de la vitesse. Les foils sont fins, la coque traine peu et il peut accepter d'être sous-toilé."

S'il découvre depuis peu la navigation en solitaire, Kevin Escoffier à l'expérience du large, même s'il sait qu'il sera face à des concurrents très expérimentés.

"Je sais ce qu'est un bateau. J'ai une formation mécanique et technique, donc quand je tire fort sur le bateau, je sais où ça force. J'ai beaucoup navigué sur plusieurs types de bateaux. Je sais trouver des solutions et des façons pour aller vite. Avec les foils, je sais aligner des vitesses moyennes élevées pour ne pas fatiguer le bateau. Avec le Covid, on a manqué de temps de navigation et on part avec des bateaux qui n'ont jamais navigué plus de 12 jours dans une configuration donnée. On va découvrir des choses et des points d'usure que l'on n'avait pas identifiés jusque-là."

L'IMOCA PRB © Jean-Marie Liot
L'IMOCA PRB © Jean-Marie Liot

Un maximum de navigations pour "apprendre" le solitaire

S'il est serein dans sa préparation et sur le déroulement de la course, il sait aussi que les foilers accélèrent très fort et qu'il faudra être vigilant sur les casses.

"Si je ne suis pas serein sur la course, je n'aurai pas de regrets. J'ai bossé pendant un an et demi avec bateau fiable et prêt. Il me manque du temps de navigation, notamment pour la connaissance du solitaire, mais c'est le cas de tout le monde.

On va tous partir à armes égales. Pour me préparer, j'ai participé à toutes les courses possibles, que j'ai d'ailleurs terminées à chaque fois. J'ai pris le maximum d'heures de nav' sur PRB.

Je me dis que le Vendée Globe, c'est une régate comme une autre. Après tout, j'ai pris pas mal de départs de régates. Sur la Volvo, ce sont neuf départs qui sont donnés. Ce sera un départ comme un autre, avec les mêmes automatismes et je vais naviguer avec mes forces et faiblesses.

Ce qui est intéressant sur une course comme le Vendée Globe, c'est la différence des profils. Tu regardes le plateau et tous ont des expériences différentes. Il y a des skippers plus âgés avec énormément d'expérience, des jeunes qui sont bons… Moi je viens de l'équipage… Il y a plein de profils différents, ce qui apporte de la richesse, avec des manières différentes de naviguer, de régler son bateau, de choisir les trajectoires…"

Communiquer pour remercier

Si la communication est devenue une partie intégrante du métier de navigateur, Kevin Escoffier en prend toute la mesure.

"C'est très important de partager notre course avec le public, avec nos amis et notre famille qui font des sacrifices pour que l'on puisse prendre le départ. D'autant plus avec le Covid, c'est difficile de partager sur le village, de faire visiter les bateaux. Donc c'est encore plus important de communiquer pour partager notre passion avec les gens.

C'est aussi important pour les partenaires. J'ai de la chance d'avoir un sponsor passionné de voile. C'est la 8e édition du Vendée Globe sur laquelle un bateau aux couleurs de PRB prendra le départ. S'ils me permettent de vivre de ma passion, eux aussi doivent en retirer quelque chose, et ça passe par la communication. Des fois, on est fatigué, mais il faut le faire, et dans 90 % des cas, je le fais avec plaisir."

Son pronostic pour le podium du Vendée Globe ?

"Aujourd'hui, pour moi, le bateau le plus polyvalent et abouti, c'est Apivia, skippé par Charlie Dalin. Il n'a pas eu de casse apparente et vis-à-vis de la fiabilité, c'est un point fondamental. Jérémie Beyou a une grande expérience et son bateau Charal a été mis à l'eau tôt. Enfin, Alex Thomson a encore plus d'expérience, il sait aller vite, avec un bateau que j'aime beaucoup, tout comme ses foils."

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