Rendez-vous à la base
La carte postale est impressionnante avec une vingtaine d'IMOCA amarrés au port de l'ancienne base de sous-marins de Lorient. À deux mois du départ du Vendée Globe, c'est l'ultime confrontation pour les skippers des IMOCA, les derniers étalonnages et mesures de performance après les chantiers de l'été. Et c'est aussi l'occasion d'inviter à bord, architectes, constructeurs, fabricants de gréements, d'appendices et d'électronique, partenaires et journalistes.
Dans les Courreaux de Groix, les IMOCA sont chronométrés sur un parcours de 1,2 mille. C'est assez long pour parler de vitesse moyenne, mais pas trop pour ne pas subir les aléas d'un vent irrégulier. Le parcours est positionné travers au vent, l'allure de prédilection des IMOCA, en particulier les foilers.
Ces bateaux, dignes des F1, peuvent accélérer de 10 nœuds à plus de 25 nœuds en quelques secondes. Ainsi, la zone de course est sécurisée par trois semi-rigides équipés de gyrophares. Les concurrents peuvent s'élancer sur un maximum de 4 tentatives pour réaliser leur meilleur temps.
Les yeux rivés sur les foils
Tout comme l'année dernière, où le voilier Charal avait impressionné en faisant parler l'écume autant qu'il se cabrait, l'attention de tous est portée sur les foils. Ils ne sont pas moins de 15 foilers prêts à s'envoler en survitesse. Les teams s'observent, se jaugent et analysent les comportements en vol ainsi que les performances réalisées par les derniers-nés des prototypes volants.
Des conditions de rêve pour les runs
En Bretagne sud, l'été indien a pris ses quartiers, tout comme l'anticyclone au large des Açores… Ainsi pour le dixième Défi Azimut,le plan d'eau jouit d'un grand soleil et d'une brise thermique qui souffle à 15 nœuds en moyenne. À bord de l'Occitane en Provence, nous sommes accueillis par le très sympathique skipper Armel Tripon. Il prend en main l'IMOCA le plus audacieux de la flotte et vient d'accomplir sa qualification pour le Vendée Globe.
Le bateau est magnifique dans sa robe noire et son soleil d'or peint sur le pont et les voiles, un voilier élégant et racé. Il dénote franchement de la concurrence par son étrave de scow très spatulée, par sa relative étroitesse et surtout par ses immenses foils qui rappellent les fameuses moustaches de Salvador Dali.
L'IMOCA accélère et l'on plisse les yeux à mesure que la vitesse augmente
Nous nous apprêtons à prendre le départ de notre premier run. La tension monte d'un cran à bord, les regards sont concentrés avec pour objectif la vitesse. Chacun des membres d'équipage est à son poste, Armel Tripon au pilotage, l'architecte Sam Manuard en observation et les embraqueurs de part et d'autre de la colonne de moulin à café.
À bonne distance de la ligne, Armel Tripon lâche tous les chevaux de l'Occitane en Provence. Les embraqueurs moulinent à en perdre haleine et le foiler se lève à mesure de leurs efforts pour border l'immense gennaker et la grand-voile.
Nous y sommes, ça vole ! La carène est sustentée par le foil sous le vent. Comme le tranchant d'une épée, il fend en deux la surface de l'eau et laisse échapper de son extrémité une vaporisation fumante. Les vibrations stridentes des foils et de la quille emplissent l'environnement. En quelques secondes, le vent apparent devient considérable et l'on plisse les yeux pour continuer à voir le paysage qui défile à "foil" allure.
Les forces en présence sont énormes, à 90° du vent sous gennaker, on sent physiquement la puissance de la machine. Pourtant l'Occitane en Provence ne gite presque pas, le travail de Sam Manuard semble avoir payé en permettant un vol stable, relativement bas et avec peu de gite.
Attention aux wheeling, c'est quand même nerveux un foiler de 18 m
Comme une moto de GP, il faut contrôler la puissance d'accélération sinon on se retourne. Dans notre phase d'approche de la ligne, l'Occitane en Provence accélère et semble ne plus vouloir s'arrêter. Et puis soudain, l'étrave se lève, et se lève encore, elle aussi semble ne plus vouloir s'arrêter de s'élever. À pleine vitesse, une risée fait encore monter la machine en puissance et à 26 nœuds nous décollons littéralement. On s'accroche à n'importe quoi de solide, un chandelier, un balcon ou une filière, pourvu que ça tienne et qu'on arrête cette ascension zénithale.
Franchement, la sensation de wheeling est très déconcertante, totalement inhabituelle. Mais sur mer plate, il ne doit pas y avoir de danger majeur à monter trop haut, le foil décroche et l'IMOCA se repose sur sa coque… pour repartir de plus belle. Le pilote, Armel Tripon ajuste en permanence le réglage de l'angulation de la quille au vent, qui tel un plan porteur, influence sur la hauteur de vol.
L'Occitane en Provence, le plus rapide des foilers
À l'issue de ce vol, l'Occitane en Provence s'est révélée le plus rapide des foilers, quasiment 10 % de plus que son dauphin, c'est assez énorme. En effet, notre vitesse moyenne s'est élevée à 23,35 nœuds contre 21,60 nœuds pour le second LinkeOut et 21,28 nœuds pour Arkea-Paprec. À titre de comparaison, l'IMOCA qui a gagné le dernier Vendée Globe fut chronométré à 16,49 nœuds.
L'écart de performance qui s'est créé ces dernières années est considérable, les skippers deviennent de véritables pilotes. Mais des pilotes de quoi, mi-marins, mi-voltigeurs ? Aviateurs vs Aquateur, Aéronef vs Hydronef. Pas évident de trouver les mots pour qualifier ces nouvelles machines et leurs skippers. Mais pour l'instant, il faut surtout que les skippers arrivent à s'habituer physiquement à la violence de ces machines ultras nerveuses afin de réaliser des tours du monde à très autre vitesse.