Pas question de refit aujourd'hui, mais bien d'un projet largement plus ambitieux. Christian est un allemand qui vit en Grèce depuis plus de 30 ans. Cette ingénieur (qui a fait ses études en France) aborde la navigation avec la planche à voile. Puis la vie l'éloigne de la mer avant qu'il ne revienne aux voiliers habitables avec lesquels il pratique la régate. Il aime la course au large, aller vite sur l'eau.
Une idée qui germe en croisière
En 2000, pendant des vacances avec son frère (ingénieur en aéronautique), il imagine construire le bateau de leur rêve. Tous les 2, ils élaborent un cahier des charges de ce qui serait pour eux le voilier idéal. Sans aucune limite ni restriction, ils définissent en quelques lignes ce voilier :
- Il doit être stable (en route comme au mouillage)
- Rapide pour jouer avec les autres en course
- Offrir 3 cabines doubles avec des couchages de 160 x 200
- Une seule salle d'eau suffit à condition qu'elle soit grande
- Le cockpit doit être spacieux pour la vie en extérieur et permettre même de dormir dehors
- La cuisine est spacieuse pour préparer les repas, mais pas besoin d'un grand carré vu que l'on vit dehors en Méditerranée.
Comme un air d'IMOCA
En 2000, Christian découvre aussi le Vendée Globe et se passionne pour le parcours d'Elen MacArthur et son IMOCA King Fisher. Il commence le dessin de son bateau fortement inspiré par un IMOCA. Pour loger les aménagements désirés, il arrive à la conclusion que son voilier doit faire 45 pieds. Ce sera aussi suffisant pour supporter les coups de vents violents que les marins grecs redoutent.
Pour la raideur à la toile, sans trop pénaliser le poids, il décide de porter le lest à 3,70 m sous la flottaison. Mais avec un astucieux système de vérin hydraulique et un puits de quille conique, il peut relever la quille sabre pour réduire le tirant d'eau à 2,20 m. Ce qui permet de s'approcher au mouillage et de pratiquer les ports des îles Grecs.
A la recherche de solutions
En 2003, le projet existe toujours sous forme de croquis. Christian cherche une solution technique pour réaliser son voilier. Il aimerait bien le construire en carbone, mais c'est trop cher. Il pense même le faire en alu, mais ne trouve pas de chantier accessible pour ses finances. Du coup le projet dort encore.
En 2006, Christian finit par acheter un Sun Shine 38 (très bien équipé) avec lequel il participe aux régates locales. Mais son projet reste toujours dans un coin de sa tête. Ce n'est qu'en 2008 qu'il le relance en commençant à partir à la recherche de fournisseurs pour le matériel pour construire la coque (fibre, résine…). Il fait des recherches partout en Europe, fait établir des devis.
Architecte naval autodidacte
Le problème c'est que Christian n'a pas encore de plan pour son bateau. Qu'à cela ne tienne. Il commence à le dessiner à la main. Mais il finit par acheter un logiciel de dessin (Boat Bulding) et entreprend de se former. Cela va prendre 1,5 an pour maitriser le logiciel, comprendre le programme et dessiner.
Pour définir en détail son voilier, il utilise ses expériences de skipper sur différents supports : Mum 36, TP 52, catamaran… En fonction des conditions de vent, de la mer, il regarde comment se comportent les bateaux. Par exemple, son expérience en planche à voile (dans les années 80) lui avait montré qu'un concave sur l'arrière de la planche favorise le départ au planning. Il va donc réaliser le même sous la coque de son voilier.
Un fournisseur de matériaux qui devient partenaire
En 2011, il finit les plans du bateau sans même les faire valider par un architecte naval ! Puis ce sera la rencontre décisive. Toujours à la recherche de matériaux, il va contacter Dimitri chez Fibermax Composite, un revendeur au nord de la Grèce. Devant la demande étonnante (Christian demande un devis pour 600 m2 de carbone plus des plaques en PVC), Dimitri lui propose de venir lui parler en tête à tête du projet. Le lendemain, Christian arrive sur place à 8h. L'entretien se terminera à 22h sans même une pause pour déjeuner, seulement avec un verre d'eau !
Dimitri n'est pas seulement un fournisseur. Il va devenir un collaborateur du projet changeant les plans en proposant souvent des solutions mieux adaptées et moins chères. Depuis ce moment et jusqu'à la mise à l'eau du bateau (pendant plus de 10 ans), il a été présent sur toutes les étapes de la construction. Christian lui en est énormément reconnaissant.
Une bande d'amis pour la construction
C'est sur un terrain prêté que Christian entame la construction sous une bâche. Il réunit toute une équipe d'ami qui vient régulièrement donner un coup de main. Le bateau est construit sur mannequin femelle en bois. Puis la forme est recouverte de mousse PVC avant d'être surcouchée de 5 tissus carbone et du Kevlar. Pour cette étape, ce sont 14 personnes qui viennent participer.
Une fois la coque réalisée, elle sera retournée dans une entreprise voisine qui réalise des pièces métalliques. Puis une fois la forme en bois déposée, l'intérieur recevra, elle aussi, les 5 couches de carbone Kevlar.
Christian avoue qu'il a beaucoup été épaulé par tous ses amis. Chaque centimètre du voilier a été discuté et calculé. Il sait écouter les remarques de chacun et les prendre en compte si besoin.
Finalement, c'est la réalisation de la quille qui va retarder le chantier. En effet, la coque est prête, mais la quille qui réalisé en acier sans soudure (comme un lego) est faite pas un ami dans sa société. Ce n'est pas cher, mais il faudra l'attendre 3 ans…
Mise à l'eau en 2019
Pendant ce temps Christian coule le plomb du lest (2 tonnes) et avance dans les aménagements intérieurs. En octobre 2019, le voilier reçoit sa quille et peut être mis à l'eau. Tout le monde est heureux, mais Christian avoue un moment de stress maximum. Mais le bateau tombe juste dans ses lignes. Un ami s'amuse à mesurer le franc bord, qui il est exactement à la côte des plans. Christian peut se réjouir. Le voilier est maté avec son mât carbone lui aussi dessinée et construit par Christian. Les barres de flèches (en composite) sont très poussantes avec un angle de 30°.
Une propulsion électrique
Pour le moteur, Christian a choisi une propulsion électrique. Au début du projet, il aurait aimé pouvoir rentrer l'hélice dans la coque (comme sur le nouveau Dehler 32 OD), mais le mécanisme était trop complexe. Il décide donc de mettre un moteur à l'intérieur avec une courroie pour réduire la vitesse de rotation de l'hélice. Vu le faible poids du bateau (4,5 tonnes) et sa capacité à naviguer à la voile, il décide de ne pas mettre de grosses batteries. Ainsi il obtient une autonomie de 2,5 h à 50% de la puissance maxi (5 N par mer plate).
Rapide, léger et stable
La stabilité de forme étonne même son concepteur. Sur ce plan le voilier répond à son cahier des charges. La première régate montre aussi de belles performances avec 75° bord à bord au près avec 15 N de vent, mais pas de mer.
Question budget, Christian estime à environ 150 000 € (60 k€ pour la coque et le reste en équipements, voiles et accastillages). Un budget vraiment minime pour un 45 pieds full carbone…
Des projets pour un rêve
Désormais, Christian veut s'approprier son voilier durant 3 ans avec des régates et des croisières familiales. Puis il espère partir relier l'Antarctique. Pas débarquer ou naviguer dans les glaces, juste faire une grande et longue croisière jusqu'au sud de l'Amérique, jusqu'au Cap Horn, son rêve…