Des milles au compteur
Arnaud Boissières a grandi sur le bassin d'Arcachon et commence à naviguer très tôt avec Yves Parlier sur le monocoque de 60 pieds Aquitaine Innovation. À son bord, il participe à trois transatlantiques – en parallèle de ses deux saisons en Mini de 1999 et 2001
"En 1999, mon Mini est rentré en cargo, et moi en convoyage en IMOCA."
Il finit par monter son propre projet IMOCA et participe à sa première Transat Jacques Vabre — sa première course en solitaire — en 2007 sur l'IMOCA Akena Veranda. "C'était le premier Sodebo, lancé en 1998. Il était mythique."
En 2019, il participe à sa 26e transatlantique, a participé à 3 Vendée Globe et a couru sur toutes les courses du circuit IMOCA, à l'image de la Route du Rhum ou de la Transat Anglaise.
"3 tours du monde et 26 transats c'est pas mal dans la vie d'un navigateur, mais il ne faut pas s'arrêter là. Je ne suis pas du tout à la fin de ma carrière et de mon cursus."
"Cali" comme on le surnomme dans le milieu prendra d'ailleurs le départ du prochain Vendée Globe en 2020 sur son nouvel IMOCA La Mie Câline Artipole. "Le bateau est lié au projet. Pour le Vendée Globe 2016/2017, j'avais un vieux bateau que j'ai revendu après la Transat Jacques Vabre 2017 à Manuel Cousin (Groupe Setin)."
© YVAN ZEDDA
Un bateau à foil upgradé
C'est donc à bord de La Mie Câline - Artipole 2, acheté à Michel Desjoyeaux en 2018 que le skipper vendéen participera au Vendée Globe 2020. Cet ancien plan Owen Clark a été dessiné en 2007 pour Mike Golding et construit en Nouvelle-Zélande. C'est à son bord qu'Enda O'Coineen avait participé à la dernière édition du Vendée Globe, avant de démâter en Nouvelle-Zélande en 2017.
Le bateau a subi un long chantier au sein de l'écurie de course au large de Mer Agitée — foils, et safrans relevables — mais aussi chez CDK – pied de mât, aménagement des ballasts intérieurs…
"J'ai longtemps couru sur mon premier bateau et je n'avais pas de budget pour en acheter un nouveau. J'ai donc racheté un ancien bateau sur lequel il était possible d'adapter des foils. C'est un bateau moins extrême que certains, un peu comme La Fabrique (NDLR : Alan Roura), mais ça m'a permis d'avoir un foiler en respectant mon budget qui ne me permettait pas d'avoir un bateau dernier cri."
S'il ne peut pas rivaliser avec les derniers foilers, il peut compter sur un bateau fiable et robuste, à l'image de son projet.
Un faux débat
Pourtant bien conscient de la différence qui peut exister au sein de la classe IMOCA, avec des projets hétéroclites, pour lui, le classement à foil et sans foil n'a pas lieu d'exister.
"Pour moi c'est un faux discours ce classement à foils ou sans foils. Il ne faut pas oublier que le bateau qui a gagné la Route du Rhum 2018, c'est SMA de Paul Meilaht, un bateau à dérive. Et notamment sur les Transats, les IMOCA à dérives droites marchent très bien, car celles-ci agissent comme des plans porteurs."
© YVAN ZEDDA
Concurrencer la génération 2016
Avec un bateau qui marche très bien au portant — "pas comme Charal c'est sûr" — Arnaud assure pouvoir concurrencer les IMOCA de la génération de 2016. "Ça s'est révélé sur le Défi Azimut 2019, nous avons fait aussi bien que Bureau Vallée ou Newrest Matmut. C'est plutôt bien. Nous avons terminé à la 12e place et nous avons navigué au contact de Prysmian Group ou de V&B — Mayenne. Par contre la grosse faiblesse du bateau c'est le près, c'est très pénible et nous avons perdu 6 places. C'est frustrant, mais il faut relativiser."
Car sur un Vendée Globe, la navigation se fait principalement au portant, contrairement à la Transat Jacques Vabre, où le près prime. "Il faut naviguer différemment et Xavier Macaire m'a apporté ça. On a navigué différemment au près, pour faire moins de cap et on se rattrape au portant. On est dans la positive attitude, il est un peu comme moi à ce sujet et c'est chouette."
Ses principaux rivaux sont les IMOCA de la même génération que la sienne. "Je me bataille souvent avec Alan Roura (LA Fabrique) ou Stéphane Le Diraison (Time for Ocean). Il y a aussi des bateaux qui marchent très bien avec leurs dérives droites, à l'image de Corum de Jean Le Cam et Nicolas Troussel. Ce sont des navigateurs chevronnés et ils sont redoutables."
Une classe tirée vers le haut
Si son projet n'est pas un des plus onéreux, Arnaud est assez excité de pouvoir naviguer à côté de tous ces nouveaux bateaux récemment mis à l'eau. "Jérémie Beyou était le premier et a beaucoup bossé pendant un an. Sébastien Simon a beaucoup de talent et le bateau est magnifique, mais il est tout jeune. J'aime beaucoup Apivia aussi. Ce sont les deux plus bateaux de la flotte. Si je devais faire un bateau neuf un jour, Apivia ou Arkea seraient des modèles."
Cette émulation autour des nouveaux bateaux est bénéfique pour la classe, permettant une diversité tout en restant "assez homogène avec une bonne unité."
"Ça tire tout le monde vers le haut, les sponsors, les préparateurs, les équipes… La flotte est diversifiée et il y a de très beaux projets avec des bateaux magnifiques. Mais aussi des projets moyens et des projets d'aventure pour le Vendée Globe."
En ce sens, tous les bateaux — nouveaux comme anciens — ont beaucoup évolué cet hiver, à l'image d'Apicil, IMOCA à dérive de Damien Seguin. Un choix qui n'est pas toujours facile à faire pour Arnaud, qui est à la fois skipper et gérant de société.
"C'est sûr qu'ayant mon propre projet, j'aimerai mettre plus de moyens. Je gère tout le projet et je suis propriétaire de mon bateau. Le skipper que je suis aurait envie de préparer un chantier pour un jeu de foils. Mais je suis obligé de calmer mes ardeurs. C'est la richesse de mon projet, mais aussi sa faiblesse. Je me dis que quand c'est un armateur qui gère le bateau, il y a d'autres problèmes. Finalement, je vois le verre à moitié plein."
Dans son projet, Arnaud peut compter sur le soutien de nombreux partenaires, et de ses deux partenaires titres depuis 2016, La Mie Caline et Artipole.
Cet hiver, son bateau entrera en chantier pour s'améliorer et progresser jusqu'à la Transat New York – Les Sables, qui sera le dernier run avant le tant attendu tour du monde.
© Christophe Favreau
Une classe IMOCA en pleine expansion
"Ça fait peur quand on parle de chiffres. On est nombreux, et il y a un engouement extrême pour le Vendée Globe à un an du départ. Aujourd'hui c'est une classe phare et il faut en profiter".
Sur la Transat Jacques Vabre 2019, ils étaient 30 duos à passer la ligne de départ. Un record ! Il faut dire qu'avec le nouveau système de qualification et de sélection pour le Vendée Globe, il faut naviguer le plus possible. "C'est pas mal, les skippers et les bateaux seront plus éprouvés et ça ne peut être que bénéfique."
Ainsi, comme beaucoup de ses concurrents, Arnaud a effectué son retour de transat en solitaire et devrait d'ailleurs rallier Les Sables-d'Olonne vendredi ou samedi.
"Ce n'est pas qualificatif, mais ça permet de naviguer et de s'entrainer. Ce parcours retour de la Jacques Vabre est similaire au parcours retour du Vendée Globe et ce n'est pas forcément le plus agréable. Donc c'est bien de le faire, de se mettre dans le dur."
Pour ce parcours retour réalisé entre novembre et décembre, Arnaud ne se met pas la pression. Si la météo est compliquée, une halte aux Açores est même envisagée. "Encore une fois, on navigue et ça prouve qu'on pousse pour fiabiliser nos bateaux et nos projets."
Si son objectif était de performer sur la Transat Jacques Vabre — Arnaud et Xavier ont terminé 18e — le Vendée Globe ne quitte jamais son esprit. "À chaque fois que je navigue sur le bateau, je pense Vendée Globe et je pense à ne pas trop le charger. L'idée, c'est de le rendre plus performant, le fiabiliser. À un an du départ, ça me met en confiance et il a un réel potentiel"
La rigueur des Figaristes
Pour se préparer à sa prochaine grande échéance, Arnaud a fait appel à Xavier Macaire pour la Transat Jacques Vabre 2019. "Il n'a pas beaucoup d'expériences en IMOCA, mais a fait 9 saisons en Figaro. Il est aussi très motivé et aimerait participer au Vendée Globe 2024."
En naviguant en Figaro sur le Tour de Bretagne à ses côtés, Arnaud a pu apprendre différemment. "Il m'a mis sur son petit bateau et ça m'a apporté en rigueur, en précision… Xavier me donne des conseils sur les range de voile, les polaires du bateau, le routage. Il fait ça extrêmement bien et ces petits détails et réglages qu'il m'apprend me font beaucoup gagner."
Mais "Cali" n'en oublie pas pour autant le côté humain de son coéquipier, un critère primordial. "Je ne partirais pas en double avec quelqu'un avec qui je ne m'entends pas. L'échange humain est important. C'est un garçon sympa et j'y apporte beaucoup d'attention. Tout le monde ne pense pas comme moi, mais quand je navigue, je ne vais pas à la mine. Je suis un gars du sud-ouest et j'aime raconter des bêtises, rigoler. On fait un métier extraordinaire et il faut relativiser. On peut faire de la course au large et rester humble."
© YVAN ZEDDA