Il en jette ce Dehler 30 OD !
En quête de performance, les voiliers de course au large doivent limiter leur poids et abaisser leur centre de gravité. Ces critères dictent à chaque instant les traits de crayons de l'architecte sur sa table à dessin.
La réputation des cabinets de design allemands n'est plus à faire et avouons que le Dehler 30 OD attrape le regard par ses lignes racées. Il évoque les performances, la carte est tellement bien jouée qu'il rappelle même un peu l'Imoca Hugo Boss.
Des formes qui évoquent la légèreté et la puissance
Ainsi pour gagner du poids le Dehler 30 OD est bas sur l'eau, à vous jeter des embruns plein la figure. À l'image des derniers Imoca, le franc-bord, habituellement vertical ou tulipé, s'inverse à l'avant. Cela permet de réduire la largeur de pont et le volume des œuvres mortes. Associé à une étrave partiellement inversée, ces détails réduisent les poids à l'avant afin de générer moins de tangage.
Pour gagner en puissance, la carène est dotée de bouchains et la section avant de la coque est volumineuse comme tous les bateaux de course de dernière génération.
Gréement sport
Côté espars, on remarque le bout-dehors fixe qui prolonge l'étrave de 1,2 m. Quant au mât carbone de couleur noir, il est reculé, proche des 50 % de la longueur de coque. La quête est très prononcée, de l'ordre de 6°. La pente d'étai et de drisses de gennaker ainsi créé oriente la poussée vélique vers le haut et donc, donne du "lift" au bateau pour bien planer dès le reaching.
Match race à Rostock
Le chantier Dehler a invité Bateaux.com à Rostock sur la mer Baltique pour découvrir leur dernier né, le Dehler 30 OD. Le #001 et #002 sont prêts à naviguer, deux marins par bateaux. J'ai l'intuition que ça va vite prendre la forme d'un match race.
Certes, les conditions météo ne sont pas optimales. Ce matin, à Rostock, le ciel est aussi gris que bas, il pleut et le vent est évanescent. Mais qu'importe, nous sommes deux voiliers identiques et le vent erratique va rendre le match encore plus passionnant. Car c'est bien le programme du Dehler 30 OD, proposer des bateaux similaires pour s'amuser en régate. Celui qui sera devant aura mieux réglé son voilier ou aura tiré de meilleurs bords.
Tout d'abord nous devons quitter le port, et là surprise on m'annonce qu'il faut mettre l'hélice dans l'eau ! Pardon ? Effectivement pour limiter la traînée, le chantier a développé un système d'arbre d'hélice pivotant qui s'escamote intégralement dans la coque à la manière des Volvo 65.
Non seulement cela réduit considérablement la traînée, mais en plus c'est l'occasion d'utiliser une hélice tripale fixe diablement efficace. Ainsi la petite puissance du moteur est transmise de manière optimale. Malgré le moteur de 10 CV le bateau réagit très vite, autant en marche arrière, qu'en marche avant.
Système de barres de liaisons réglables en navigation.
Premiers instants, premières sensations
Nous quittons la place de port. En donnant quelques mouvements de barre à tribord et à bâbord je constate que les safrans sont très réactifs, conduisant directement l'étrave d'un côté ou de l'autre.
Profonds et larges, ils sont reliés par deux barres de liaisons réglables en longueur. On peut ainsi ajuster le parallélisme des safrans en navigation afin d'optimiser la traînée. Par exemple lorsqu'on navigue au travers, bien chargé sur le gennaker, le safran sous le vent aura une incidence importante et utile alors que celui au vent ne sera qu'un frein. Ainsi on peut régler une incidence neutre pour limiter son frein d'eau. Les réglages de parallélisme se font aussi au près et au portant.
Un peu plus loin, j'ai assez d'espace pour effectuer un 360°, cette manœuvre me montre que le bateau tourne autour de sa quille avec un rayon relativement court. Entre le rayon de giration et la bonne réponse des safrans, il y aura du match sur les phases de départ !
Toujours au moteur, nous avons l'occasion de rencontrer un puissant remorqueur. Je me dirige droit vers son sillage. Si le bateau s'ébranle dans tous les sens et met du temps à perdre son roulis et son tangage, c'est le signe d'un centre de gravité haut et de surpoids aux exterminées. Ici notre Dehler se comporte tel que je l'imaginais : il fait peu de cas des vagues rencontrées et retrouve rapidement son équilibre.
On met les voiles !
Voilà pour les premières sensations ! Place maintenant à la préparation des voiles. Je m'affaire à la l'installation de la corne de grand-voile, un lashing permet la connexion au coulisseau à roulettes Rutgerson circulant dans la ralingue du mât.
Je hisse les 35 m2 depuis le cockpit sans effort démesuré et ajuste la tension avec le winch de roof Leewmar à la remarquable finition carbone. Le solent à 110 % est monté sur mousqueton léger. Il est équipé d'une bande de ris, c'est un système très pertinent pour la performance lorsqu'on doit réduire la voilure. D'autant plus que la prise de ris d'un solent n'a rien de compliqué, c'est juste un coup à prendre.
Le vent souffle timidement à 5 nds par 3/4 arrière. Pour sortir de la rivière qui traverse Rostock et rejoindre la mer baltique, nous hissons rapidement le spi de 95 m2, pas mal pour un voilier de 30', en tout cas suffisant pour démarrer au moindre souffle de vent.
Le bateau est très réactif, la légèreté et la faible traînée du Dehler permettent de s'amuser à lofer et abattre pour exploiter les moindres risées.
Un bon cockpit pour les régates en double
Les deux bateaux sont côte à côte et il faut s'affairer aux réglages pour ne pas laisser, le camarade de jeu #001 s'échapper. Le cockpit se prête bien à l'exercice des réglages fins. On peut facilement renvoyer l'écoute de spi au vent pour la régler depuis le poste de barre. Le palan de GV est couplé à un réglage fin, et le chariot de grand-voile se règle facilement depuis le poste de barre. En outre grâce au stick télescopique Spinlock le barreur peut aussi intervenir sur les manœuvres de piano sans perdre son cap.
À la barre on s'installe sur un petit surbôt qui le protège le séant de l'eau circulant sur les passavants. C'est aussi un bon calage pour les fesses du barreur, et associé aux cale-pieds réglables on pourra trouver une bonne position pour de longues heures de navigation à la gite.
À l'aise sans le clapot
Nous tirons parti des risées et sortons enfin de la rivière, toujours sous spi. Notre Dehler 30 OD #002 et le #001 sont seulement séparés de quelques mètres et malgré la pluie qui ne cesse d'essayer de ruiner notre navigation automnale chacun prend plaisir à régler, à barrer à jouer avec le vent…. Vive la monotypie et la régate au contact !
Une fois en mer nous devons faire face à un clapot d'un mètre pour seulement 4 à 8 nds de vent. Heureusement, nous avons plus d'eau à courir pour lofer et appuyer notre spi. Le travail d'abaissement du centre de gravité et la carène étroite font merveille dans ces conditions exigeantes, avec 6 nds de vent réel nous maintenons une vitesse proche de celui-ci.
Départ au près
Après quelques empannages, nous affalons le spi pour hisser le solent et rentrer en serrant le vent. Là encore, le Dehler 30 OD navigue approximativement à la vitesse du vent. Nous organisons une sorte "de départ au lièvre" pour pimenter notre essai et relancer le match.
Le vent variable associé à la houle demande beaucoup de tolérance dans le régale des voiles. Le système de réglage 3D du point de tire du solent permet d'optimiser la forme de ce dernier et nous pouvons correctement twister à la voile.
Le bateau est très plaisant à barrer au près, les réglages fins sont efficaces, la barre est précise et l'ensemble réagit rapidement aux variations du vent : une risée se traduit immédiatement par une accélération.
Alors, quel bilan tirer de cet essai ?
La faible lumière automnale décline vite tandis que la pluie continue de nous rincer. Le # 001 a préféré tirer un bord au large alors que nous tentons notre chance à terre dans l'espoir d'une adonnante.
Cet essai s'est transformé en véritable régate et personne n'a lâché le moindre régalage. Au passage des phares qui balisent l'entrée de la rivière, seulement 3 ou 4 m nous séparent, on aimerait bien continuer cette régate, mais la nuit est tombée.
Évidemment, j'aurais aimé tester la puissance du Dehler 30 OD dans 20nds de vent, sous gennaker et ballasté à fond. Mais je n'ai que peu de doute sur le plaisir qu'il aurait procuré, il est léger et puissant, c'est la promesse de vitesses à deux chiffres et de surfs endiablés.
Je dois admettre qu'il y a plus à apprendre dans le vent léger et irrégulier sur un plan d'eau agité qu'avec une brise établie à 15/20 nds. Et les qualités nautiques du Dehler 30OD sont très convaincantes : il est réactif, précis et donne immédiatement des sensations à la voile.
Les régates seront passionnantes et grisantes, il reste cependant à constituer des flottes à travers l'Europe. Pour que la sauce prenne, Dehler attaque le marché avec un prix très raisonnable compte tenu de la qualité de fabrication et des équipements du bord.
On leur souhaite de réussir à attirer les premiers clients, qui ne manqueront pas d'avoir un effet magnétique sur les autres. La monotypie est une façon de régater des plus intéressante. Elle met en avant les compétences des marins et si le support est fun et rapide on ne peut que désirer participer à des parcours off-shore à son bord.