Interview / Damien Seguin "Sur la Transat Jacques-Vabre 2019, je vise la première place des bateaux à dérive"

Damien Seguin, skipper de l'IMOCA Groupe Apicil

Damien Seguin participera à la Transat Jacques Vabre 2019 sur son IMOCA Groupe Apicil. Ce plan Finot de 2008 sort d'une longue optimisation qui lui permet de viser la première marche du podium de sa catégorie, les IMOCA à dérives. Interview.

Une carrière paralympique réussie

"J'ai un parcours atypique dans le petit monde de la voile. D'abord parce que je suis né avec un handicap" explique Damien Seguin, qui participera à la prochaine Transat Jacques Vabre sur l'IMOCA Groupe Apicil, un plan Finot de 2008. Un handicap qui ne l'a pas empêché de faire une très belle carrière olympique en voile et de s'illustrer sur différents supports."J'ai commencé à naviguer à l'âge de 10 ans, d'abord en Optimist puis en Laser Radial et enfin en Hobie Cat 16. À l'époque j'habitais en Guadeloupe, ça aide pour naviguer toute l'année ! Du coup je naviguais énormément."

Damien intègre ensuite en 1998 le Pôle France à l'ENV (aujourd'hui Ecole Nationale de Voile et des Sports Nautiques ENVSN) à Quiberon, en Tornado, catamaran olympique. S'en suivent quatre années sur ce bateau avant d'entreprendre une préparation paralympique en 2004. Première participation, première victoire pour Damien consacrée par une médaille d'or à Athènes !

Le jeune sportif participe alors aux 4 saisons de Jeux paralympiques. En 2008, il décroche l'argent à Pékin, en 2014, il termine 4e à Londres tout en portant fièrement le rôle de Capitaine de l'Équipe de France et en étant le porte-étendard de notre nation tricolore.

C'est à Rio en 2016 qu'il achève sa carrière paralympique en décrochant une 2 médaille d'or. "Au total j'ai décroché 5 titres de champions du monde en 2,4 mR, le dernier en date de cet été 2019."

Un touche-à-tout de la voile

En parallèle de l'olympisme, Damien a longuement pratiqué la course au large. D'abord en Figaro Bénéteau — qu'il débute en 2005 — puis en Class40 — qu'il intègre en 2009. Il participe d'ailleurs à deux Routes du Rhum et deux Transat Jacques Vabre.

"Après les JO de 2016, j'ai aussi participé à 3 Tours de France à la Voile (Tour Voile aujourd'hui) avec une victoire en 2017 avant de me tourner vers un projet IMOCA fin 2017/début 2018 dans l'objectif d'un Vendée Globe 2020. J'ai terminé 6e de la Route du Rhum 2018 et je m'apprête à courir la Transat Jacques Vabre puis le Vendée Globe pour ne citer que les grandes courses."

Un IMOCA d'ancienne génération, optimisé et performant

Groupe Apicil est un IMOCA de la génération 2008, né sous les couleurs de DCNS et barré par Marc Thiercelin jusqu'en 2011. C'est ensuite Eric Bellion qui le prend en main sur le Vendée Globe 2016-2017. Renommé Comme Un Seul Homme, l'IMOCA termine son premier tour du monde en solitaire sans assistance et sans escale. C'est d'ailleurs à son bord qu'Eric Bellion réalisera le film "Comme Un Seul Homme".

"Mon bateau, c'est un peu une star de cinéma" rigole Damien. Avant d'ajouter "ce n'est pas un bateau récent, mais c'est un bon bateau, bien construit. L'essentiel était d'avoir une machine fiable. Je n'avais pas les moyens d'acheter un bateau de dernière génération."

Damien l'achète au début de l'année 2018 et enchaine immédiatement avec la préparation de la Route du Rhum. Une édition difficile, marquée par les dures conditions météo.

En 2019, le bateau a subi un long chantier d'optimisation "dans la limite de ce que l'on était capable de faire. Le bateau est plus léger. On a touché à tous les éléments tout en gardant à l'esprit que c'est un bateau de 2008. Il n'avait pas vraiment évolué durant ces dernières années. L'objectif d'Éric était de terminer le Vendée Globe, sans notion de performance."

Groupe Apicil a donc été remis au gout du jour. Le plan de pont a été revu pour que les manœuvres soient le plus efficientes possible, le jeu de voile complet a été changé, les dérives aussi et le moteur a été remplacé par un modèle électrique. "Ça ne joue pas dans la performance du bateau, mais c'est important pour moi. Mon dernier Class40 possédait déjà un moteur électrique et je voulais montrer qu'on pouvait faire la même chose en IMOCA."

Damien navigue sur la nouvelle version de Groupe Apicil depuis le début de l'année 2019. "Il est plus agréable en navigation, mais conserve la fiabilité et la solidité qu'on lui connait et qui en font un bateau assez sain. J'ai d'ailleurs terminé toutes les courses auxquelles j'ai participé. Ça a apporté un vrai plus en termes de performances."

De nouvelles dérives, mais des dérives quand même !

"C'est vachement attirant de pouvoir upgrader son bateau avec des foils !" Mais pour rester dans l'enveloppe budgétaire fixée, Damien et son équipe ont fait le choix de conserver les dérives. " Se posait aussi la question de la fiabilité du bateau à l'échelle d'un Vendée Globe. On a beaucoup regardé ceux qui avaient upgradé des bateaux de cette génération et les résultats n'étaient pas probants. On a donc fait le choix de conserver nos dérives. On les a quand même changés pour les remplacer par des appendices plus performants."

Le handicap dans la voile

À bord de son IMOCA, rien n'est adapté au handicap à l'exception de la colonne de winch verticale (un manchon remplace l'une des poignées). Les 60 pieds Open sont des bateaux puissants qui demandent la force des deux bras.

"Ma logique quand je suis passé sur la course au large c'était de m'adapter au bateau et pas l'inverse. Je voulais que le message soit lisible par tous et que mon bateau soit le même que tout le monde. Je voulais que ce soit la qualité du marin qui fasse la différence sur l'eau et pas l'adaptation du bateau."

À la question "Penses-tu que ton handicap te confère certaines forces que tes adversaires n'ont pas ?", Damien répond : "Je suis quelqu'un de passionné par ce que je fais. J'adore mon métier, naviguer… Je suis persuadé que les 20 années d'olympisme m'ont inculqué la rigueur, la préparation, et que l'enjeu de haut niveau m'a forgé le caractère. Je suis un vrai compétiteur, je ne lâche pas le morceau."

Avant d'ajouter, "c'est évident que ça m'a aussi forgé le caractère. J'ai toujours voulu faire comme les autres, comme mes copains. Que ce soit à l'école, sur les activités sportives ou dans la voile. Aujourd'hui, j'ai l'impression de continuer à progresser sur le bateau, je me sens à l'aise. Je ne me suis jamais fixé de limites par rapport à ça."

Des coéquipiers "potes"

Sur cette Transat Jacques Vabre 2019, Damien a choisi Yoann Richomme en tant que co-skipper. Double vainqueur de la Solitaire du Figaro et vainqueur en Class40 de la Route du Rhum 2018, Yoann est un ami de Damien. "On a déjà couru ensemble deux Jacques Vabre en Class40 et déroché la 2e place en 2011. On est très potes avait très envie de repartir ensemble. On est très complémentaires et nos résultats ensemble sont encourageants alors je n'avais pas de raison d'aller chercher d'autres personnes que Yoann."

Objectif réussite sur la Transat Jacques Vabre 2019

" Nous avons revu notre objectif à la hausse au cours de la saison. Le bateau marche très bien, il est fiable. Je n'ai pas cassé grand-chose et terminé toutes les courses."

En optimisant son bateau, Damien possède désormais un IMOCA qui se situe sur le haut du panier des 60 pieds Open performants à dérive. " Je vise clairement la première place des bateaux à dérive. On va essayer aussi de se battre avec certains foilers. Même si c'est un parcours qui va les avantager, on va essayer de tirer notre épingle du jeu et de pousser le bateau à 100 % de son potentiel. Si on fait les bons choix en termes de météo et de stratégie, alors on peut avoir de bons résultats."

Il y a 15 jours, Groupe Apicil participait au Défi Azimut, en rade de Lorient et décrochait la 5e place au scratch, terminant premier des bateaux à dérives. Son principal concurrent ? : "Banque Populaire X ! (NDLR : ex-SMA, vainqueur de la Route du Rhum 2018 avec Paul Meilhat) C'est un bateau récent et abouti. C'est notre lièvre et on va faire beaucoup d'effort pour l'accrocher !"

Banque Populaire X — qui a été remis à l'eau en juin 2019 — est désormais barré par la jeune Clarisse Crémer. Après une 3 place sur la Rolex Fastnet, l'IMOCA à dérive a terminé 6e du Défi Azimut.

Objectif Vendée Globe 2020

La prochaine grande échéance de Damien Seguin sera le Vendée Globe 2020. "J'ai un véritable objectif sportif dans la catégorie des bateaux à dérive. Mais avant tout, je veux maximiser mes chances d'être à l'arrivée de la course et de la terminer."

C'est d'ailleurs avec cet objectif en ligne de mire que le skipper de Groupe Apicil a préféré conserver ses dérives en lieu et place de foils. "Mettre des foils, c'était une prise de risque inutile, en dehors de couter beaucoup d'argent."

Une décision réfléchie avec l'équipe de Damien, et notamment Jean Le Cam, qui supervise la partie technique du bateau. Ce dernier participera lui aussi à la Transat Jacques Vabre 2019 sur son bateau mis aux couleurs de Corum pour l'occasion, aux côtés de Nicolas Troussel.

Un projet sportif et associatif

Après les Jeux paralympiques de 2004, Damien crée l'association "Des pieds et des mains". L'objectif est de faire découvrir les sports nautiques aux personnes atteintes de handicaps et de mixer la pratique sportive au sein des clubs. S'il en a longtemps été le président, il y est aujourd'hui toujours très actif. À l'étrave de Groupe Apicil s'affiche d'ailleurs clairement le logo de l'association.

"Aujourd'hui c'est un peu la tendance de soutenir une association, mais pour ma part ça ne date pas d'hier. C'est quelque chose d'important et de naturel. D'ailleurs, c'est un projet global avec le groupe Apicil, qui œuvre pour la protection sociale (soutien et intégration des personnes les plus vulnérables)."

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