Comme cette machine est impressionnante ! Pourtant je ne suis pas totalement dépaysé sur cet Ultim grâce à Yves le Blevec et le Team Actual qui m'avaient permis de les accompagner durant la course des Ultims de l'Armen Race.
Cependant aujourd'hui les conditions météo sont bien différentes. Dans les courreaux de l'île de Groix, nous bénéficions d'un flux d'ouest de 15/20 nds, c'est l'idéal pour faire voler l'Ultim Gitana
Paré à border, on décolle !
Franck Cammas est à la barre, il orchestre la manœuvre de départ tandis que Charles Caudrelier rejoint la cellule de vie et sa table à carte qui ressemblent au tableau de bord d'un avion de chasse.
Pas de temps à perdre sur un tel voilier face au vent. Les 4 équipiers sont positionnés face aux 2 colonnes de moulin à café, prêts à mouliner à fond. Franck lance sa consigne, ça déroule le solent et borde à plat dans la foulée. Le chariot d'écoute est légèrement choqué, comme pour libérer le bateau. Le Cunningham est repris pour tendre l'immense guindant de la GV le long du mât 34m.
À cet instant, l'Ultim me fait penser à un albatros. Peut-être un peu pataud pour s'élancer, mais une fois dans les airs, la science et la beauté du vol sont incomparables.
Gitana accélère, et irrépressiblement mes yeux se plissent. Nous sommes encore dans le monde archimédien, mais les foils commencent à pousser. Gitana 17 accélère encore et se cabre franchement, quelque chose ne va pas. Après quelques réglages en jouant sur le rake (l'incidence) et la profondeur des safrans foils et des dérivés à foils, Gitana retrouve enfin une bonne assiette longitudinale.
Le trimaran semble naviguer sur des rails, en appui sur 4 points : à l'arrière le safran à foil de la coque centrale et celui du flotteur ; et au milieu, la dérive "aile de raie" (plan porteur de type foil) de la coque centrale et le foil du flotteur sous le vent.
Charles Caudrelier prend du recul et analyse le réglage des voiles, il demande un peu plus de vrillage sur le solent pour permettre d'accélérer. Effectivement, nous gagnons encore quelques nœuds, le vent siffle dans les haubans en carbone, la dérive entre en résonance, les appendices couinent sourdement dans leurs puits.
En vol, seulement 4 m2 de contact avec l'eau
Les foils sustentent le flotteur sous le vent, il est hors de l'eau. À partir de 60° réels avec 15/20 nds de vent réel, Gitana est propulsé à plus de 30nds. À cette vitesse de "croisiere", la surface mouillée n'est que de 4 m2 (20 m2 en statique). Naviguer sur foil, c'est un peu comme libérer le frein à main.
Pour l'instant, nous cherchons à gagner au vent et c'est un près plus serré que nous effectuons, mais tout de même à 52° du vent, la vitesse oscille entre 22 et 25 nds. Pour le commun des marins, ce VMG est tout à fait indécent.
Tu veux barrer ?
Je suis posté contre la nacelle pour profiter au maximum des sensations du vent. Je me tourne vers Franck installé au poste de pilotage dont seule la tête sort de la casquette. J'ignore si c'est la magie du langage non verbal, mais il me sourit et lance "Tu veux barrer ?"
Moi ? Heuuuu, oui, non, surement, évidemment, sans déconner ? Mon cerveau se demande s'il vient vraiment d'entendre Franck Cammas lui proposer la barre de Gitana 17 en plein vol, pendant qu'il ira faire quelque chose d'autre.
Franck, détendu, me demande de suivre un angle à 55° du vent réel. Je me positionne et prends en main la barre à roue de l'Ultim Gitana lancé en vol à plus de 20 nds.
Soyons clairs, ce quart d'heure de barre est le plus fascinant de ma vie. Pour ceux qui en ont déjà conduit, ça rappelle les tapis volants, pour les autres imaginez. Ça semble peut-être instable, vu de loin, mais ce n'est finalement pas si difficile à contrôler.
La barre est très précise et parfaitement démultipliée, il y a un vrai retour d'information et mis à part le gigantisme ça ressemble beaucoup à un bateau en fait. Je suis gourmand et je profite d'une petite risée pour abattre de quelques degrés, nous montons à 27nds et nous nous élevons un peu plus, c'est magique.
Naviguer à l'aube d'une nouvelle ère
Je sais bien que les conditions de vol sont optimales et qu'il reste encore beaucoup à défricher avant de pouvoir naviguer sereinement dans toutes les conditions de mer. Mais franchement, la maitrise qui semblait régner sur ce vol est convaincante. La technologie est prête et les bateaux vont bientôt voler autour du monde. Et surtout, il ne faut pas oublier de féliciter Sebastien Josse qui a mené ce projet à un très haut niveau d'aboutissement.