Fridtjof Nansen a inspiré l'expédition Tara. Ce norvégien né en 1861 est l'un des plus grands explorateurs polaires et le premier à réussir la dérive transpolaire.
L'existence d'un courant polaire ?
C'est lors de sa première expédition — traverser le Groenland d'est en ouest à ski — qu'il fait une étrange découverte. Des prélèvements de boue effectués sur la calotte glacière révèle qu'elle pourrait provenir de Sibérie. Mais comment est-ce possible ? Comment a-t-elle pu traverser l'océan Arctique ?
Déjà, avant ça, lors d'une saison de pêche au phoque sur la côte groenlandaise, le scientifique de formation avait remarqué de bois flotté, dérivant vers le sud. Mais quel trajet avait-il suivi pour arriver dans cet endroit où aucun arbre ne pousse ? Un courant existerait-il entre la Sibérie et le Groenland ? Le futur explorateur pense déjà à l'existence d'un courant transpolaire, mais il lui manque des preuves.
En 1884, des débris de navire sont découverts à l'extrémité sud-ouest du Groenland. Il s'agit de l'épave de la Jeannette, un navire américain brisé par les glaces trois ans plus tôt, au nord des îles de la Nouvelle-Sibérie, alors qu'il tentait de découvrir le pôle nord géographique.
La preuve
La découverte de cette épave est la preuve qu'attendait Nansen pour attester l'existence d'un fort courant marin sur l'océan Arctique. En effet, seule une dérive transpolaire permettrait à la boue, au bois et à l'épave d'avoir atteint le Groenland depuis la Sibérie. Ce courant prendrait les glaces au niveau de la Sibérie, les entrainerait sur une trajectoire au nord, en passant par le pôle nord, puis redescendrait au sud, vers la Norvège et le Groenland. Cette théorie expliquerait également pourquoi la conquête du Nord est impossible. Les bateaux seraient entrainés par un courant sud, ce qui les empêcherait donc d'atteindre le nord, se heurtant à des blocs de glace de plus en plus gros, transportés justement par la dérive.
Pour rejoindre le pôle, il faut donc partir depuis l'endroit où se forme ce courant, en déduit Nansen, et se laisser porter au lieu de se battre contre. Un raisonnement qui contre toutes les logiques de l'époque. Son idée ? Emmener un bateau le plus au nord possible — aux îles de la Nouvelle-Sibérie — le laisser se faire emprisonner par les glaces et profiter de la dérive transpolaire pour atteindre le Groenland.
En rouge : Trajet du Fram vers l'est, depuis Vardø le long de la côte de Sibérie, avant de virer au nord pour entrer dans la banquise près des îles de Nouvelle-Sibérie (juillet – septembre 1893-
En bleu : Dérive du Fram vers le nord et l'ouest, jusqu'au Spitzberg (septembre 1893 – août 1896)
En jaune : Voyage du Fram du Spitzberg jusqu'à Tromsø (août 1896)
Le lancement d'une expédition polaire
Grâce au soutien de la Norvège et aux financements de particuliers, il trouve des fonds pour finance cette expédition. Nansen prend contact avec l'architecte Colin Archer chargé d'imaginer un nouveau type de navire, qui sera capable de résister à la pression de la banquise. Le cahier des charges donné par l'explorateur est osé. La coque doit être renforcée, assez courte, avec des murailles lisses et pentues pour que la glace n'ait pas de prise sur le navire. Ainsi, lorsqu'il sera compressé, il se soulèvera au lieu d'être écrasé. L'avant, l'arrière et la quille sont arrondis, le gouvernail est placé au plus bas et protégé par une longue poupe. Trois mâts porteront une voilure de six cents mètres carrés pour que l'équipage restreint puisse manœuvrer facilement.
La naissance du Fram
Au terme d'études et de croquis, le navire d'expédition polaire prend forme. Le résultat n'est pas des plus esthétique : large, court et trapu, il aura une largeur égale au tiers de sa longueur. Mais il sera confortable, solide et son fond plat lui permettra de reposer sur la banquise.
Les membrures sont en chêne — protégé pendant plus de 30 ans — des bandes de fer sont apposées sur chaque joint, de la craie et de la sciure viennent boucher les interstices. La coque est renforcée et la cale possède des renforts partout. Les murailles ont une épaisseur comprise entre 70 et 80 cm et les parois sont isolés avec plusieurs couches : feutre, liège, sapin, feutre, linoléum et bois. Pour l'électricité, une dynamo s'en charge en navigation et un moulin à vent (éolienne) au mouillage.
La première dérive transpolaire
Le Fram — "en avant" en norvégien — est né et ils seront treize à bord. Le départ est donné depuis Christiana le 24 juin 1893, jour de la fête de l'été en Norvège. Personne ne sait combien de temps durera le voyage, mais l'on a embarqué à bord pour cinq ans de nourriture et pour huit de carburant.
Le 9 septembre 1896, au terme d'une navigation de trois ans et trois mois — 507 jours de dérive sur la banquise — le Fram rallie Oslo. Il est aujourd'hui conservé dans un musée d'Oslo.