Interview / Yoann Richomme : "Il faut savoir dire non, savoir renoncer"

Yoann Richomme © Sealaunay

Vainqueur en Class40 de la route du rhum 2018, Yoann Richomme nous livre ses impressions sur la difficulté de la course, physiquement et moralement. Il revient notamment sur cette édition particulière, où une grande partie de la flotte a choisi de se mettre à l'abri rapidement après le départ, pour éviter une grosse tempête. Episode 2/3.

Cette édition a été particulièrement difficile pour tout le monde. On a même vu Vincent Riou en pleurs à l'arrivée…

Vincent a eu un problème d'aérien, vraiment difficile à gérer et il n'avait pas de quoi réparer. Pour moi aussi, ça aurait pu passer en mode très galère, à un ou deux détails près. J'ai de la chance d'avoir eu des solutions de back-up sinon j'aurai terminé comme Vincent Riou. Ça m'a sauvé ! Ça se joue à peu de détails…

En tant que skipper, être impliqué quasiment 90 % du temps, c'est de la tension. C'est dur physiquement et moralement. On n'a pas la solution sur tout, on ne peut pas tout emmener pour réparer. Il y a un arbitrage à faire pour savoir quoi prendre.

Pour ma part, le bateau étant peu fiable, ayant été préparé que dans un faible temps, j'avais beaucoup de choses à bord pour réparer : une meuleuse, de la résine, du carbone, du composite. Tout peut arriver et au moindre raté, il faut sortir le kit pour réparer.

Sur la Drheam Cup, on a cassé du matériel. Depuis, j'avais des problèmes de structure dans le cockpit, mais c'était trop compliqué à solutionner avant le départ. J'ai eu de la chance, ça a tenu pour la course.

Vincent Riou © Alexis Courcoux #RDR2018

Vas-tu effectuer des améliorations sur ton bateau après cette course ?

On va travailler sur la question du confort. J'avais du matériel qui n'était pas adapté. J'ai aussi mon bout-dehors qui a cassé à la fin. Honnêtement, ça serait chouette de continuer à faire du Class40 pour finir le bateau. Il manque du matériel et de la fiabilisation. On peut aussi apporter des optimisations par rapport à la jauge. J'aimerais bien faire ça comme programme.

Tout au long de la course, j'ai fait une liste d'améliorations que l'on effectuera prochainement. L'architecte travaille également sur une 2e version du bateau, avec un nouveau moule. Ces deux premiers bateaux sont un excellent modèle pour faire d'autres bateaux.

Que penses-tu des skippers qui se sont mis à l'abri ? Notamment en Class40, où ils étaient nombreux.

J'étais contre le report de la course. On sait que c'est une transat d'Automne. On ne peut pas réinventer la course. Il faut être prêt. Après, je suis complètement d'accord sur la mise à l'abri. Chacun décide en fonction de son sens marin. C'est bien, ça permet de responsabiliser les marins. On ne peut pas uniquement se reposer sur la direction de course. Chacun a pris sa décision.

Je pense néanmoins que ce n'était pas si fort que ça, mais qu'ils se sont fait peur lors du briefing météo. Et finalement, lors du nouveau départ, ils se sont retrouvés avec une tempête d'une même intensité, voire même plus forte.

J'ai moi aussi conseillé à des gens de s'arrêter. Il faut savoir dire non, savoir renoncer. Ça m'est déjà arrivé d'avoir envie de mettre un terme à une course. Sur une Figaro, j'étais malade et je n'en pouvais plus. Encore heureux pour moi, elle s'est arrêtée à La Corogne.

Il faut aussi savoir faire la différence entre ce qui est annoncé et les conditions véritables et faire appel à son expérience du large pour l'opposer aux chiffres annoncés. Quand on a vu les fichiers qui annonçaient des vagues de 6/7 m, j'ai appelé des potes pour connaitre la limite acceptable parce que tout dépend aussi de la longueur... Avec Corentin Douguet, qui faisait ma météo, on a posé tous les problèmes.

On a eu des vagues croisées, parfois des trous. La mer était forte, mais longue donc impressionnante, mais pas gênante. On a eu des vagues hautes de 7 m à 7,40 m avec 45 nœuds de vent, mais ce n'était pas un problème.

© Alexis Courcoux

Finalement, ceux qui ont attendu pour (re) partir ont eu une tempête de 60 nœuds et c'était beaucoup plus dangereux !

Les chiffres font peur et sans expérience, on ne sait pas quelles voiles utiliser, comment on vit à bord et c'est forcément stressant. Dans ces cas-là, mieux ne vaut pas mettre sa vie en danger et rester à l'abri.

Après, je trouve ça très beau les gens qui sont repartis. Ils ont fait preuve de courage et de mental. Mais chacun prend ces décisions et tout le monde n'a pas les mêmes sponsors ni objectifs.

Comment ça se passait à bord ? Tu étais courant de ce qu'il se passait ?

Nous on est en black-out total. J'envoyais des messages pour savoir ce qui se passait et c'est ma famille qui me tenait au courant, qui m'envoyait les communiqués de presse, les informations. Je voyais bien que des bateaux faisaient demi-tour, mais au début de la course, je recevais uniquement le classement des Class40 toutes les heures et les fichiers météo. On a aussi les gens de la vacation une fois par jour.

On peut vraiment faire la course sans savoir ce qu'il se passe, même si on a un libre accès à Internet, mais ça a un cout.

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