Ton Class40 est fait sur mesure, peux-tu nous le présenter ?
Il y a deux ans, on a eu la possibilité de faire un bateau neuf. On avait le choix de faire la même chose que les autres – un Mach 40.3 qui était le bateau le plus high-tech et le plus performant à ce moment. Mais ma logique quand on construit un bateau neuf c'est de faire quelque chose de différent. La Class40 c'est une course de prototype avec un cadre bien défini : longueur, largeur, matériaux… mais ça permet de faire des formes différentes. On a voulu apporter des développements pour faire avancer les choses.
Je suis allé revoir le cabinet Lombard qui était l'architecte de mon ancien bateau pour voir s'il avait des idées pour faire évoluer tout ça. Je ne cherchais pas un bateau qui aille aussi vite que le Match, je voulais quelque chose de différent.
Le groupe Lombard était extrêmement motivé pour développer un bateau. Ils ont planché sur tout ça : étudié la jauge pour voir ce qu'il était possible de faire. Voir si des évolutions étaient jouables. Ils ont fait tourner les logiciels, les idées et les cerveaux et ils ont trouvé qu'on pouvait encore augmenter les formes avant malgré la restriction de largeur à une certaine distance de l'étrave. Ça permettrait de faire une forme de scow tout en restant dans la jauge, augmentant la puissance du bateau. Ils ont fait tourner 40 dessins pour aboutir à cette carène.
Pour réduire les couts et gagner du temps dans la construction, on a utilisé le moule de pont du class40 d'Halvard Mabire.
On a travaillé sur les bouchains et sur la structure. Comme le bateau est plus puissant, il faut le structurer un peu plus. Comme on voit à l'intérieur, il y a beaucoup de couples longitudinaux. La plupart des autres bateaux sont très cloisonnés en latéral, nous avons raidi le bateau par une structure longitudinale. Toutes les varangues sont en L. C'est hyper raide, mais plus long à construire.
Enfin, on a beaucoup travaillé sur le gréement. Depuis quelques années, les Class40 descendent les centres de gravité. Petit à petit, les barres de flèches sont descendues. À un moment je me suis dit : "On ne peut pas supprimer cette barre de flèche presque au niveau du pont ?" Éric Levet qui travaille au cabinet Lombard a travaillé sur ce point et a changé le profil du mât. En gardant l'ancien profil et supprimant une barre de flèche, il aurait fallu ajouter du poids dans le tube, ce qui n'aurait plus eu d'intérêt. Par contre en augmentant un tout petit peu la corde du mât, on pouvait enlever un étage de barre de flèche. On a poussé les constructeurs à aller là-dedans. Au début ils ne voulaient pas, puis ils ont recalculé et ont trouvé qu'il y avait un intérêt. On a trouvé une solution avec Axxon pour que le mât ne coute pas plus cher que les autres. Ils ont fait les études pour développer ce nouveau profil de mât avec un seul étage de barre de flèche. Puis, ça a été repris sur tous les bateaux qui sont sortis après nous.
Ce sont les deux grosses évolutions de mon bateau. On a aussi travaillé sur plein de petites choses notamment l'énergie électrique à bord. On a réfléchi pour être le plus efficace en termes de poids tout en satisfaisant les contraintes de jauges. On a du solaire qui alimente notre bateau toute la journée, et un très gros alternateur qui fait 220 A, qui n'existe pas sur les autres bateaux. Du coup on ne fait que 30 minutes de moteur par jour pour recharger nos batteries. C'est très faible. Avec un alternateur d'origine, il faut faire 4 heures de moteur par jour.
Le bateau est sorti début juillet 2017, il y a un an, brut de dessin. Il a fallu le débugger et l'optimiser. On s'est aperçu qu'on avait des gros points forts au reaching, par contre qu'on avait des grosses lacunes sur d'autres allures dut aux formes et à plein de petites choses. On a travaillé pour réduire les déficits et augmenter les performances globales.
On a continué de travailler sur les voiles. 3 spis ont été dessinés. À chaque fois que le voilier fait une évolution sur une voile, on regarde, on mesure, on redessine et on compare pour voir ce qu'on peut améliorer. De même sur la grand-voile. On avait mis beaucoup de volume en pensant qu'il fallait beaucoup de puissance sur le bateau, mais on s'est aperçu que c'était plutôt néfaste.
Sur le pont, on a un emmagasineur qui fait le tour du bateau. L'intérêt c'est qu'on utilise toujours le winch au vent pour rouler, ça permet de gérer l'écoute en même temps que l'emmag'. Ça roule vite et toujours dans le bon sens.
On a aussi prévu un étai de tourmentin. Les autres se servent de leur étai de trinquette pour mettre le tourmentin. On a fait comme un J3, on a mis une padeye en avant pour mettre la trinquette en place et rajouter le tourmentin après. C'est de la sécurité, on considère que le tourmentin est une voile utilisée.
On a aussi bossé sur les réglages de mât. On avait des problèmes d'enfournement, on voulait mettre beaucoup de quête pour limiter ça, mais en mettant de la quête on plantait le bateau ailleurs.
Cet hiver on a reculé beaucoup les poids par rapport à l'origine. Mais cela ne suffisait pas. Donc on a reculé le bulbe de 15cm. Ça a transformé le bateau. En reculant le truc le plus lourd du bateau un tout petit peu, on garde un mouvement de tangage correct.
On a une pompe attelée au moteur pour remplir les ballasts. Elle permet de vider les ballasts sous le vent et de transvaser de l'un à l'autre. On a choisi de mettre des petits tuyaux de transfert entre les ballasts (diamètre 50) parce que la jauge dit qu'on a le droit à 1,5 tonne de ballast répartie des deux côtés, tuyauterie incluse. Donc si on a un gros tuyau de transfert, on a moins d'eau dans les ballasts. Comme le bateau est raide à la toile, dans des petites conditions jusqu'à 10-15 nœuds on ne ballaste pas. Par contre au large, on peut tirer toute la puissance du bateau. Mais la contrepartie, c'est qu'on met plus de temps à transvaser d'un bord sur l'autre.
Les ballasts sont hyper reculés. On les a séparés en deux cette année pour augmenter la polyvalence.
Le bateau est-il optimisé à 100% ?
Tu n'es jamais optimisé à 100%. J'ai toujours plein de petites idées. Bonnes ou mauvaise, mais ça on ne le sait qu'après. Mais aujourd'hui on sait qu'on a un bateau polyvalent dans toutes les conditions avec des gros points forts.
Quel est l'objectif pour toi sur cette Route du Rhum ?
On a fait tout ce projet avec un bateau neuf sorti en avance pour le faire évoluer et naviguer dessus. Forcément aujourd'hui ce qu'on veut c'est gagner la course. Mais on est loin d'être les seuls. Il y a au moins 5 bateaux qui peuvent vraiment gagner et 10 autres qui peuvent faire deuxième ou troisième, voire gagner. Ça fait 15 bateaux vraiment dans le coup. Donc l'objectif c'est de gagner, mais on peut vite terminer 8e.
Peux-tu nous raconter un peu ton histoire avec la Route du Rhum ?
J'avais 7-8 ans en 1994, c'est la première course qui m'a donné envie de suivre la course au large. Je me suis assez vite passionné par tout ça. À 8 ans je prenais des photos de tous les bateaux, j'étudiais toutes les évolutions. J'étais passionné par le développement des bateaux. Je regardais les mâts-ailes, en me demandant pourquoi on ne faisait pas pareil sur les monocoques et c'est arrivé quelques années après.
En 1994, il y avait Halvard Mabire qui courait et il se trouve qu'il a appris à naviguer avec mon grand-père. J'étais venu visiter son bateau et je l'avais suivi. Malheureusement il a perdu sa quille dans le golfe de Gascogne. Il m'a beaucoup aidé par la suite quand j'ai arrêté l'école pour bosser. Il m'a pris sous son aile pour me placer dans des chantiers navals. Aujourd'hui on est concurrent.
As-tu un souvenir marquant avec ce bateau ?
Il y en a quelques-uns. Il y a 3 semaines on a été faire les cons dans la brise. On est monté à 30 nœud !
Pourrais-tu décrire la Route du Rhum en 2 mots ?
En deux mots c'est difficile. C'est une "grande épreuve", c'est une "aventure extraordinaire". On est là pour la gagne, mais le but c'est d'abord d'arriver en face. Le pire pour moi ça serait de ne pas arriver de l'autre côté. C'est ce qui s'est passé il y a 4 ans.
Quel sera le programme après le Rhum ?
J'aimerais garder le bateau encore un ou deux ans. On a beaucoup travaillé dessus pour l'optimiser et il y a encore du boulot. Ça n'a pas toujours été facile. J'aimerais continuer à prendre beaucoup de plaisir avec. On passe des moments d'inquiétude, des moments de doutes, mais aussi des moments où l'on s'éclate parce qu'on voit bien que ça déboite. J'aimerais bien avoir une année sereine devant moi où je serais là que pour la performance.