Pourquoi avoir choisi ce bateau pour participer à la Route du Rhum ?
À l'origine je n'avais même pas pensé à "l'histoire dans l'histoire". J'ai choisi ce bateau parce que j'aime bien les grands bateaux. J'aime beaucoup les bateaux en bois. C'est ma génération. Ce bateau, je l'ai skippé il y a une vingtaine d'années en tant que skipper professionnel. Je trouve que c'est un bateau élégant. Même si c'est un bateau qui a 40 ans, c'est un bateau physique.
Mais finalement l'histoire est belle : Kriter V, 40 ans après. Il s'avère que c'est un plus pour nous et pour les partenaires.
Le bateau avait besoin d'une sérieuse remise en état. C'est bien de faire revivre des bateaux. On ne pourrait pas mettre autant d'argent s'il n'y a pas un projet route du Rhum ou une course quelconque. Ça permet à ce bateau de retrouver une nouvelle vie et une nouvelle jeunesse.
Peux-tu nous présenter un peu le bateau ?
C'est un grand bateau : 21 mètres. Il est était surnommé le Cigare Bleu.
À l'avant il n'y a rien. Il a deux cabines doubles qui ne me servent plus de cabines donc j'en profite pour y ranger tout mon bazar pour qu'il soit facilement accessible. Que ce soit les repas ou les vêtements de rechange. Ensuite, il y a un carré avec un coin cuisine, un réchaud et une table. Ensuite, une table à carte, et à l'arrière il n'y a rien non plus.
Moi je dors par terre sur un pouf fatboy.
C'est impressionnant la longueur de ce bateau, il est long. C'est un vrai boyau. Il gite rapidement et beaucoup. Je suis toujours sur la tranche.
Qu'avez-vous refait sur ce bateau ?
On a sorti le bateau de l'eau, on l'a déquillé. Il n'avait pas été déquillé depuis 40 ans. Ce n'est pas une opération facile. La quille pèse 7 tonnes. Ce sont de gros frais de grutage et de mise en place. On a vérifié toute la structure du bateau. On l'a démâté et vérifié le mât. On a inspecté le safran, fait un chantier sur le moteur, refait l'électricité et toute l'électronique. Tout ça fait un petit paquet d'argent.
Est-ce qu'il y a des choses qui ont été optimisées depuis 40 ans ?
Non, au niveau coque et mât, le bateau est comme il était il y a 40 ans. Ce qui a évolué depuis 40 ans, c'est la qualité du tissu des voiles, les pilotes qui sont beaucoup plus précis. À l'époque c'était uniquement des régulateurs d'allures. Quelques winches usés ont été remplacés par des winches Pontos. Quasiment tout le reste est d'origine. Le bateau est très proche de ce qu'il était il y a 40 ans.
Est-ce une volonté de le laisser tel qu'il était ?
Le bateau est classé d'intérêt patrimonial. Donc on n'a pas trop le droit de le transformer. On doit le laisser dans son jus, dans sa couleur d'origine. Et puis c'est un bateau mythique et légendaire.
Que fait ce bateau quand il ne court pas ?
On va le garder encore un an pour faire des opérations de relations publiques. Puis il sera à vendre. Mais il n'est pas à moi ce bateau, je l'ai emprunté à une famille de Belge contre une remise en état. Pour un futur propriétaire, c'est le moment de l'acheter, il y a eu tellement de travail de fait dessus.
Quel est l'objectif de cette course ?
De me faire plaisir. J'ai près de 70 ans. Et je voulais effacer ma mauvaise expérience de 2014 où j'ai sombré. Mais aussi de traverser, de faire vivre à mes partenaires et salariés une belle aventure. C'est l'intérêt de la Route du Rhum. Il y a de grands champions qui partent sur de merveilleuses machines et qui vont traverser en quelques jours et puis à l'intérieur de cette Route du Rhum, il y a des projets, des défis personnels, des aventures d'homme. Je me classe dans cette catégorie de marins aventuriers.
C'est ta 5e Route du Rhum, est-ce encore un défi pour toi ?
Je suis le doyen de la course. J'aurais bien aimé être le plus jeune, malheureusement je suis le doyen. J'assume cette maturité, et c'est un petit défi personnel de se dire qu'on peut encore – en faisant attention et à condition que j'arrive de l'autre côté –traverser à près de 70 ans sur un bateau de 21 mètres très physique. Traverser l'Atlantique en solitaire, ce n'est pas nécessairement exceptionnel, mais ça reste toujours une petite aventure.
Quelle va être la difficulté sur le parcours ?
On a tous une petite appréhension du mauvais temps dans la première semaine. On peut aussi avoir des soucis dans les alizées, mais généralement c'est plus cool. Il fait meilleur et on a des vents portants.
Peux-tu nous raconter ton meilleur souvenir sur une Route du Rhum ?
C'est un souvenir qui, j'espère ne se reproduira pas, mais en 2002 j'ai eu la chance – enfin c'est surtout Karine Fauconnier qui a eu de la chance que je passe par là – de la sauver de la mouise dans laquelle elle était. J'ai embarqué cette belle jeune femme à mon bord. Je n'ai rien fait d'extraordinaire. Je passais juste par-là, mais j'étais content d'avoir pu lui donner un bon coup de main. Mais comme elle avait arrêté de fumer et qu'elle n'avait pas emmené de cigarette, elle a commencé à fumer mes cigares et là… ça ne l'a pas fait ! Donc je l'ai débarquée à Madère. [Rire]
Autre souvenir marquant, nettement moins brillant, c'est mon naufrage en 2014. Surtout que ce n'était pas mon bateau : c'était le bateau de mes enfants. J'avais remplacé Servane au pied levé trois semaines avant le départ. Elle était atteinte d'une petite maladie qui l'empêchait de partir.
Comment décrirais-tu la route du Rhum en 2 mots ?
Hum … Je suis un peu séché, d'habitude j'arrive toujours à répondre. C'est une "belle fête" pour tout le monde. Pour les marins et pour les visiteurs.